En 1914, le Syndicat du Commerce tarde à prendre en main la situation. Pour son nouveau président, Raoul de Bary, le conflit ne sera l’affaire que de quelques mois. Et comme il est dangereux de se réunir à Reims sous les bombardements, mieux vaut mettre l’activité du Syndicat entre parenthèses et attendre la fin des hostilités. Mais le temps passe ; la guerre s’enlise et devient aussi économique, mobilisant toute l’industrie française. Pour Raoul de Bary, il faut se rendre à l’évidence : cette situation va durer et justifie de réactiver le Syndicat qui s’installe dans l’immeuble de l’établissement parisien de Moët & Chandon.
Dans un contexte de rationnement général, la priorité du Syndicat consiste à assurer les conditions matérielles du maintien de la production. La main d’œuvre fait cruellement défaut ; le Syndicat négocie des permissions pour assurer les vendanges. Les matières premières manquent également : l’étain nécessaire aux plaques et aux muselets est mendié auprès du bureau des métaux ; les alcools entrant dans la composition des liqueurs ont trouvé un nouvel emploi dans la fabrication de la poudre ; le charbon, indispensable à l’industrie du verre, alimente les fonderies produisant canons et obus…
Par ailleurs, l’Etat, soucieux d’éviter toute pénurie, entend réserver la production nationale aux Français. Il interdit sans distinction toutes les exportations. Pour les Maisons qui expédient 70 % de leurs bouteilles à l’étranger, c’est un désastre. Après de longues démarches, le Syndicat parvient à faire entendre que le champagne n’est pas un produit de première nécessité…
Enfin, le Syndicat cherche à préserver les Maisons de toute accusation de « commerce avec l’ennemi » : des bouteilles de champagne cédées à des intermédiaires situés dans des pays neutres ont été revendues sur le marché allemand. Pour éviter ce genre d’incident, le Syndicat tient à jour la « liste noire » des importateurs avec lesquels les Maisons doivent éviter de commercer. À l’inverse, les origines allemandes de nombreuses Maisons que trahissent leur nom, constituent un lourd handicap. Le Syndicat du Commerce délivre aux clients des certificats attestant de la nationalité française de leurs propriétaires. Mais certaines familles n’ont pas adopté la nationalité française ; elles voient leurs Maisons placées sous séquestre. C’est le cas notoire des établissements G.H. Mumm. Le Syndicat milite pour que les stocks de ces Maisons ne soient pas commercialisés par les séquestres, afin de servir à terme à indemniser les Maisons détruites ou dont les bouteilles placées en dépôt à l’étranger ont été pillées.