À ces difficultés, s’ajoute une crise sociale. Jusqu’ici, les ouvriers cavistes avaient été choyés par le patronat. Au XIXème siècle, avec le soutien du Syndicat du Commerce, les Maisons avaient créé la Corporation des tonneliers, société de secours mutuel qui constituait une véritable sécurité sociale avant l’heure. Mais les Maisons ne sont plus aussi prospères.
Pour la première fois, les ouvriers cavistes se syndicalisent de manière massive. Pour répondre à leurs revendications, deux nouveaux syndicats de Négociants sont constitués sur des bases plus larges, en incluant le commerce de la « petite bouteille », l’un à Epernay, l’autre à Reims. Les Maisons de champagne acceptent d’appliquer la loi des huit heures avant même la parution du décret. À Epernay, une convention collective est même signée. Mais, dans la ville meurtrie de Reims, où les conditions de vie sont particulièrement difficiles, une grève éclate, ce qui constitue un véritable traumatisme pour les Maisons qui n’avaient jamais connu pareil incident…
Côté Vignerons, la situation est tout aussi désastreuse mais une nouvelle union sacrée pour la reconstruction va s’instaurer. L’Association Viticole Champenoise (AVC) joue un rôle décisif dans le rapprochement entre les deux familles professionnelles. Son Président, Bertrand de Mun, nomme à la direction un personnage apprécié des Vignerons, Georges Chappaz.
Pour éviter que les Vignerons n’abandonnent leurs vignes pour des emplois plus rémunérateurs, l’AVC encourage le Syndicat du Commerce à revaloriser le prix du raisin qui fait désormais l’objet de négociations intersyndicales annuelles. L’Association organise aussi ses premiers banquets, véritables grand-messes champenoises où se retrouvent Vignerons et Négociants pour festoyer mais aussi échanger et apprendre à se connaître. Enfin, toujours à l’initiative de l’AVC, les Vignerons sont invités, au sein d’un Comité de propagande, à prêter main forte aux Négociants sur le terrain de la publicité ; une manière de leur faire comprendre les problématiques commerciales des Maisons et les variations des prix du raisin qu’ils subissent. L’idée est aussi de détourner vers les caves les flux de touristes internationaux qui viennent en pèlerinage sur les champs de bataille de la Marne.
Pour Bertrand de Mun qui a repris la tête du Syndicat du Commerce en 1919, cette union sacrée ne doit pas seulement toucher la Champagne mais le secteur du vin en général. Dans cette perspective, il est à l’initiative de la Commission d’exportation des vins qui rassemble les grandes régions viticoles exportatrices (Bourgogne, Champagne, Bordelais…). L’objectif est d’inciter le gouvernement à renoncer à sa politique protectionniste qui provoque des mesures de rétorsion dans les grands pays importateurs de vins français. L’ennemi est le Midi viticole : tournés vers le marché intérieur, ses Vignerons craignent la concurrence des vins de masse grecs et espagnols. Bertrand de Mun est aussi à l’initiative de la Ligue internationale contre les prohibitions. Parallèlement, un comité secret présidé par Marcel Heidsieck est chargé d’organiser le commerce du champagne avec les bootleggers via Saint-Pierre et Miquelon. L’organisation interprofessionnelle du champagne en est à ses prémices.