Thierry Ruinart, né en 1657 est baptisé en l’église Saint-Thimotée de Reims avec le prénom d’un saint local : Saint Thierry du Mont d’Or. Grand Champenois de coeur, il sera inhumé en 1709, à l’abbaye d’Hautvillers. Issu d’une famille de la bourgeoisie marchande, Thierry est le sixième de 9 enfants dont trois suivront une vocation religieuse à l’instar de plusieurs autres membres de sa famille
Ses dix-huit premières années se passent à Reims où il obtient brillamment le diplôme de maître-es-arts (premier grade universitaire d’alors) en 1674. Attiré par la vie monastique, il entre au noviciat de l’abbaye de Saint-Remi, et poursuit ses études de philosophie et de théologie dans diverses abbayes d’lle-de-France : à Saint-Faron de Meaux, Saint-Pierre de Corbie, Saint-Denis, Saint-Corneille de Compiègne. II a vingt-cinq ans, quand il est appelé par Dom Mabillon, à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés de Paris, afin de l’y seconder.
Jean Mabillon (1632-1707) est également Champenois d’origine. Agé de cinquante ans, c’est un homme reconnu pour sa grande érudition qui rassemble autour de lui à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés les plus grands savants de l’époque : des ecclésiastiques bien sûr mais aussi des laïcs.
Vingt sept ans durant, Thierry Ruinart va vivre en étroite relation avec Dom Mabillon, l’accompagnant dans ses nombreux voyages de travail. Les plus fréquents sont réalisés en France : à Tours, à Angers, à Clairvaux, en Alsace et en Lorraine mais aussi en Allemagne et en Italie. Bien entendu, ils ne manquent pas de venir, ensemble ou séparément, séjourner dans leur Champagne natale.
Alors âgé de 39 ans s’en retournant de la Lorraine, Dom Ruinart écrit dans son journal : "Nous descendions de Sainte-Barbe-de Versy au milieu d’un vignoble aux produits célèbres". II salue au passage la Montagne de Reims qui produit un vin déjà fort réputé. En 1699 et 1703, ils resteront plusieurs mois à Reims et il est vraisemblable qu’ils en profiteront pour visiter confraternellement Hautvillers, ne serait-ce que pour consulter son importante bibliothèque.
Ni vigneron ni oenologue, mais...
II est établi que Dom Ruinart entretient des relations champenoises régulières, en particulier avec sa famille. II est même sollicité en 1709 par le garde des Sceaux, M. d’Aguesseau de fournir des renseignements sur l’un de ses frères Nicolas, alors marchand de draps et notable de Reims, en vue de sa réélection comme grand garde des marchands : "afin que l’on puisse parler correctement dans la lettre qui sera écrite".
Rien ne prouve par contre (ni ne contredit) que Dom Ruinart se soit directement intéressé à l’élaboration de nos vins, même si nos vignobles et ses vins font partie de ses évocations. En 1696, lors de son étape à Hautvillers sur le chemin de retour d’un voyage en Lorraine, il aurait rencontré le procureur de l’abbaye, Dom Pérignon. La notoriété de celui-ci est déjà grande et il est vraisemblable que chacun des moines se seront intéressés à leurs activités respectives : l’élaboration des vins de Champagne pour Dom Pérignon et les recherches littéraires pour Dom Ruinart.
Résidant à Saint-Germain-des-Prés et côtoyant les plus grands noms de la ville et de la cour royale, Dom Ruinart pouvait observer l’engouement progressif pour les vins de sa région natale. Son intérêt devait être renforcé par l’existence de vignes dans le patrimoine familial et les liens étroits qu’il entretenait avec sa famille, en particulier son frère Nicolas, en faveur duquel il était intervenu à Paris. Le moine bénédictin qui rayonnait "à la capitale" conservait bien entendu un ascendant sur sa famille restée en province. Son principal interlocuteur rémois est l’archevêque Maurice Le Telher qui fut son protecteur et celui de Dom Mabillon durant toute leur vie. II les a toujours aidés, soutenus, et la plus célèbre des publications de Dom Ruinart "Les Actes des premiers Martyrs" lui est dédiée.
Dom Ruinart a-t-il suggéré à son frère Nicolas de se lancer dans le commerce des vins de Champagne pour compléter le traditionnel négoce de draps ? Bien sûr on l’ignore mais on peut constater que c’est le fils de Nicolas Ruinart (lui-aussi prénommé Nicolas) qui fondera la toute première Maisons des vins de Champagne en 1729. Non seulement cette hypothèse est crédible mais les Champagnes étant aussi des vins de rêve ne convient-il de laisser une petite place à l’imagination ?
Né en Champagne, il termine sa vie, par les hasards de ses études, dans sa région natale. C’est à Saint-Pierre d’Hautvillers qu’il meurt le 21 septembre 1709. Frappé d’une fièvre brutale, alors qu’il revient de Reims, il succombe après dix-sept jours d’agonie, malgré les soins diligents de médecins accourus de Reims et les prières ordonnées par l’abbé commanditaire, Gaston de Noailles, évêque de Châlons. Portant une longue épitaphe à sa gloire, sa pierre tombale se trouve aujourd’hui encore dans le choeur de l’église abbatiale d’Hauvillers.
Bien que nous ne disposions d’aucun document historique supplémentaire permettant de préciser le rôle rempli par Dom Thierry Ruinart en faveur des vins de Champagne, son nom fait partie des grands symboles historiques de la Champagne. Le nom de Dom Ruinart est pérennisé par la plus ancienne de toutes les Maisons de Champagne qui contribue au développement de la notoriété des vins de Champagne dans les plus grands pays du monde depuis plus de 250 ans.
Eric Glâtre Docteur en Histoire
Janvier 1997