Un nombre de grappes inférieur à 2022
Après un millésime 2022 extrêmement ensoleillé, sec et chaud, le millésime 2023 aura été bien plus nuancé quant aux conditions météo.
Après la saison 2022 qui avait été particulièrement sèche et très ensoleillée, l’automne 2022 a vu le retour de la pluie. Le mois d’octobre 2022 est très doux, si ce n’est chaud mais également particulièrement arrosé notamment durant la seconde décade. Ceci laisse présager une bonne recharge des sols après la saison très sèche. Mais finalement le mois de novembre est tout juste dans la normale, le mois de décembre globalement plus sec et le mois de février très doux si ce n’est chaud pour un mois de février et exceptionnellement sec. Heureusement, le mois de janvier, très doux et humide sur les deux premières décades permet de compenser légèrement cela. La période automne-hiver est donc globalement sèche, sauf dans la Côte des Bar qui est plus arrosée.
Le printemps 2023 débute par un mois de mars très pluvieux et particulièrement doux. La végétation, calmée par les températures fraîches de la dernière décade de février et la première de mars, se réveille. Le travail du sol est très complexe du fait des précipitations régulières. Le débourrement, initialement prévu début avril est décalé par une succession d’advections d’air froid polaire qui passent sur l’appellation à partir de la fin mars. Ces apports d’air froid vont durer jusqu’au début de la dernière décade d’avril. Ce mois d’avril est également plus arrosé que la normale, avril étant en général l’un des mois les plus secs en Champagne.
Le mois de mai est lui extrêmement contrasté. D’abord doux et humide, il bascule vers un côté plus sec à partir de la seconde décade pour se terminer par une décade sans aucune pluie.
Finalement le printemps aura donc été une alternance de périodes douces et de période bien plus fraîches, si ce n’est froides. Heureusement, cette année, les dégâts de gel sont très faibles car les événements sont intervenus avant débourrement dans la majeure partie des cas et ont retardé ce dernier. La surface détruite par le gel est estimée à 1,5 % de l’appellation soit 524 hectares.
Ce printemps 2023 a également été particulièrement arrosé sur la quasi intégralité de l’appellation. Même si cela a compliqué le travail à la vigne, ces pluies ont été bienfaitrices du fait de faible recharge hivernale.
Après une dernière décade de mai sans une goutte d’eau et quinze premiers jours de juin chauds et également secs, la crainte d’une nouvelle sécheresse trembler le vignoble. Il n’en fut rien. A partir de la mi-juin de nombreuses pluies, sous formes d’averses plus ou moins intenses s’abattent sur le vignoble. Sur ces événements pluvieux, seuls les vignobles axonais et le barséquanais sont en déficit. Les précipitations de juillet et août, d’abord assez modérées sur les deux premières décades de juillet puis très largement supérieures à la normale sur la dernière décade de juillet et la première d’août, vont compenser les manques axonais et Barséquanais mais également amplifier les surplus dans d’autres régions. Une partie de la Vallée de Marne, le Vitryat, le Sézannais et le Barsuraubois se retrouvent en effet avec des cumuls de pluie très largement au-dessus des normales pour un été. La crainte de dégradations sanitaires est alors très présente.
Le mois de septembre débute par une période très chaude et sèche qui est suivie de périodes plus arrosées réparties de façon assez homogène dans le mois avec des alternances de journées sèches et plus humides.
Les précipitations de l’été 2023 ont donc été très largement excédentaires sans pour autant représenter un record. Elles ont été temporellement réparties sous forme d’une alternance entre périodes normalement pluvieuses à très pluvieuses.
D’un point de vue températures, l’été 2023 a été contrasté. Le mois de commence par deux décades chaudes, marquées une canicule qui n’a pas été extrême mais qui a très nettement tiré les températures vers le haut. La dernière décade de juin marque la baisse des températures. Cette baisse va durer jusqu’à la première décade du mois d’août !
Durant cette période, les conditions sont extrêmement variables. La météo passe de beau et chaud à frais et pluvieux assez rapidement. La dernière décade de juillet et la première décade d’août nous rappellent que la Champagne est située à 49°N de latitude et que les températures au-dessus de 30 °C n’étaient pas monnaie courante 30 ans auparavant. A partir de la seconde décade d’août les températures repassent au-dessus des normales de saison mais ce n’est que temporaire puisqu’elles vont de nouveau chuter nettement durant la dernière décade qui voit même des températures minimales de 3 °C ou 4 °C le 31 août. Les conditions pré-vendanges sont donc à la limite de conditions automnales.
Et pourtant, l’été n’avait pas dit son dernier mot. La première décade de septembre a été la plus chaude jamais enregistrée. Des températures caniculaires, les plus chaudes de l’année ont été enregistrée durant cette période (35,7 °C à Charly-sur-Marne, 34,8 °C à Bar-sur-Seine et 34 °C à Villers-Marmery) qui dura du 2 au 12 septembre.
Cette canicule a donc fait des vendanges 2023, les vendanges les plus chaudes jamais enregistrées avec une température moyenne de 23,2 °C soit 3,2 °C de plus que le précédent record qui datait de 2022... La marque du changement climatique avec des extrêmes de plus en plus nombreux est bien visible une nouvelle fois.
Du point de vue de l’ensoleillement, 2023 a été, comme pour la température, très variable. Le mois de juin avec ses quinze premiers jours caniculaires présente un excédent assez important.
Le mois de juillet, du fait des conditions perturbées, est moins ensoleillé que la moyenne. De même, pour le mois d’août avec les conditions fraîches et humides des deux premières décades.
Le mois de septembre est, lui, logiquement plus ensoleillé que la moyenne, notamment du fait de la canicule du début du mois.
Le tableau ci-dessous résume les conditions de l’été (juin -août) 2023 en moyenne sur la Champagne.
Paramètres | 2023 | Normale |
---|---|---|
Température moyenne | 19,96 °C (+ 0.29 ° C) | 19,67 °C |
Température maximale (°C) | 25,93 °C (+ 0.16 °C) | 25,77 °C |
Nb jours avec tmax supérieure à 25 °C | 54,75 j (+4,96 j) | 49,79 j |
Nb jours avec tmax supérieure à 30 °C | 11,53 j (- 5,25 j) | 16,78 j |
Pluviométrie (mm) | 245,2 mm (+ 68 %) | 168,2 mm |
Insolation (heures) | 718,5 h (-5,2 %) | 756,3 h |
Caractéristiques climatiques juin-août (moyennes vignobles |
Malgré l’impression maussade qu’à laissé cet été, les températures sont légèrement au-dessus des normales décennales (+ 0, 29 °C en moyenne). Le nombre de jours supérieurs à 25 °C est lui aussi au-dessus des normales. En revanche le nombre de jours supérieurs à 30 °C est inférieur à la moyenne, il serait cependant supérieur aux normales si le mois de septembre était pris en compte.
Le facteur qui a réellement influencé la perception de cet été, qualifié comme maussade dans l’esprit collectif, est la pluviométrie.
En effet, la pluviométrie est presque 70 % supérieure à la moyenne décennale. Cependant, malgré cette pluviométrie très largement excédentaire, l’ensoleillement n’est, lui, en recul que de 5, 2 %.
2023 aura donc eu une multitude de visages d’un point de vue météorologique. Températures en dents de scie, qui ont tantôt fait craindre les gelées, tantôt l’échaudage et qui ont nécessité des adaptations importantes durant la vendange. Ce a quoi s’ajoutent des précipitations importantes à des moments clé qui ont également fait craindre pour la situation sanitaire. La météo de la campagne 2023 a donc été l’un des défis de l’année à relever pour la Champagne.
Après un millésime 2022 particulièrement sec, l’hiver 2022-2023, assez peu pluvieux, a grandement limité la recharge des sols pour débuter cette année. L’arrivée des précipitations au printemps a permis de recharger les sols, certes tardivement mais durablement. En effet, du fait des précipitations régulières jusqu’à la mi-mai les sols sont resté à la capacité au champ longuement. S’en est suivi une période assez sèche jusqu’à la mi-juin durant laquelle les sols ont perdu près de la moitié de leurs réserves. La suite n’est qu’alternance entre périodes sèches et précipitations qui ont permis d’éviter tout stress hydrique à la vigne.
La météo des sols qui nous sert à étudier l’itinéraire hydrique de la vigne est en fait un modèle de bilan hydrique développé par l’INRA (formule 1). Ce modèle permet d’estimer les quantités d’eau disponible dans le sol pour la vigne, les résultats étant exprimés en pourcentage de la réserva utile. En début d’année, on considère que le sol est à sa capacité maximale de stockage de l’eau donc à 100 % de la réserve utile. Trois niveaux de réserve utile faible, moyenne et forte ont été définis grâce aux mesures réalisées par le Comité Champagne depuis plusieurs années. Ensuite, on soustrait a cette réserve utile l’évaporation du sol, l’évapotranspiration de la vigne et on ajoute les précipitations sachant que la limite maximale est à 100 % de la réserve utile.
ASWj = ASWj-1+ Pj - ESj - TVj |
ASW = Available transpirable Soil Water (eau restante dans le sol) (en mm) Pj = pluie (en mm) ESj = évaporation du sol (en mm) TVj = transpiration de la vigne (en mm) j = jour de l’année |
Formule 1. Calcul du bilan hydrique. |
Pour faire fonctionner ce modèle, nous utilisons des données climatiques qui sont fournies par les différentes stations météorologiques déployées par le Comité Champagne : pluie, température et évapotranspiration potentielle. Puis des mesures
en cours de campagne permettent d’évaluer l’efficacité du modèle et de le recaler si nécessaire.
Il s’agit des mesures de potentiel hydrique foliaire de base. On prélève une feuille qu’on introduit dans une chambre à pression et on applique une pression pour extraire la sève du pétiole. Plus la pression nécessaire pour extraire la sève est élevée, plus la contrainte subie par la vigne est importante. Cette mesure est effectuée la nuit car c’est le moment où la vigne ferme la majorité de ses stomates et rentre en équilibre de tension d’eau avec le sol. Cette mesure est ensuite convertie en pourcentage de réserve utile grâce à une corrélation établie par l’INRA. Puis on compare cette mesure aux données fournies pour le modèle et si l’écart est important, on réajuste le modèle pour correspondre à la réalité du terrain.
Des mesures menées en 2016 ont permis de déterminer la réserve utile d’une quarantaine de parcelles à travers le vignoble champenois. A cette occasion, nous avons pu remarquer que la Côte des Bar présente des sols avec des réserves utiles plus faibles que les autres secteurs de la Champagne. Cela s’explique par la nature même des sols. En effet les sols de la Côte des Bar sont majoritairement issus de l’érosion d’une roche mère Jurassique assez dure. Leur profondeur est donc, en général, assez limitée, ce qui ne permet pas de retenir beaucoup d’eau. Les sols du reste du vignoble sont majoritairement issus de la dégradation de roches mères Crétacé ou Tertiaire qui sont plus facilement érodables. Les sols sont donc majoritairement plus longs et peuvent ainsi contenir plus d’eau. Attention cependant au parcelles sur sables Tertiaire car ces derniers sont particulièrement drainants et ne permettent pas de retenir de grandes quantités d’eau. Bien entendu, cette description est très globale et ne permet pas de décrire finement la réserve utile des
sols.
Après une saison 2022 très sèche, où les sols ont effleuré le point de flétrissement par endroit, l’hiver se devait d’être très pluvieux pour les recharger. Ce ne fut pas le cas avec une période automne-hiver assez peu pluvieuse. Le printemps, en revanche, l’a été bien plus et a permis une recharge totale et durable des sols.
Itinéraire hydrique du millésime 2023 pour les sols moyennement profonds. |
En effet, à partir de début mars, les précipitations tombent en abondance. Les températures douces favorisent la minéralisation de l’azote qui servira par la suite à la vigne.
Le mois d’avril est également plus arrosé que la normale ce qui maintient les sols à la capacité au champ. Cet état est maintenu jusqu’à la mi-mai du fait des précipitations toujours abondantes.
A ce moment, la plante commence à récupérer les ressources du sol (eau et minéraux) pour continuer à se développer et contrairement à 2022, en l’absence de manque d’eau ni d’azote, le vignoble pare d’une belle couleur vert profond.
Arrivé à la mi-mai, les précipitations cessent et la température remonte. Cette situation sèche fait assez rapidement chuter les réserves en eau du sol mais sans préoccupation du fait des réserves élevées.
Arrivé à la floraison (mi-juin), le bilan hydrique est situé entre 50 et 70 % de la réserve utile soit un itinéraire hydrique idéal.
La seconde moitié du mois de juin, plutôt arrosée, va même faire remonter les réserves sans pour autant atteindre un excès.
Les deux premières décades de juillet, plutôt sèches, vont faire de nouveau baisser les réserves. Ceci est tout à fait normal durant l’été. Pour la première fois de l’année, certaines zones vont franchir le seuil de contrainte hydrique légère. Ceci ne pose aucun problème à la plante qui peut supporter des niveaux de contrainte bien plus élevés, nous avons pu le constater durant les années précédentes.
Dans certaines situations, les niveaux de réserve hydrique chutent assez rapidement en dessous de l’itinéraire hydrique optimal. Cela n’a pas duré du fait d’une météo bien plus maussade qui est arrivée à partir de la fin juillet et ce jusqu’au 5 août. Ces pluies abondantes ont fait remonter très rapidement les niveaux d’eau dans les sols dans le tracé de l’itinéraire optimal.
A partir de ce moment, deux scénario se distinguent : le premier avec des régions assez peu arrosées dans lesquelles le bilan hydrique diminue assez lentement du fait de conditions assez peu évaporantes. De l’autre, certaines régions qui subissent des orages. A mi-véraison, on retrouve cette situation où localement le bilan hydrique est plus élevé comme le Bar-sur-Aubois ou l’ouest de Château-Thierry.
Malgré la couleur de la carte assez orangée, les niveaux oscillent entre 25 et 50 % de réserve utile ce qui est très largement suffisant, voire excédentaire. A titre de comparaison, l’an dernier les niveaux étaient 5 à 15 fois inférieurs par endroits.
Entre véraison et vendanges, la situation n’a que peu évolue. Les niveaux d’eau ont légèrement baissé jusqu’à atteindre des valeurs équivalentes à un stress hydrique léger et dans de très rares cas un stress modéré. Ceci ne pose aucun problème à la vigne et ce sont plus les fortes chaleurs du début du mois de septembre qui ont eu un impact que le stress hydrique a proprement dit.
Encore une fois, les couleurs de la figure, ci-dessous, peuvent sembler inquiétantes mais les valeurs majoritaires entre 15 et 30 % sont normales pour des vendanges.
Bilan hydrique du vignoble champenois aux vendanges. |
La saison 2023, contrairement aux années précédentes n’aura donc pas présenté d’excès. Malgré un recharge hivernale incomplète, l’alternance de périodes de pluies et de périodes plus sèches aura permis de maintenir les réserve en eau dans un itinéraire convenable sur la majorité de la saison viticole.
Malgré une pression mildiou et oïdium non négligeables, 2023 se caractérise par une campagne plutôt facile. En fin de saison, la qualité sanitaire se dégrade pour les cépages noirs, en particulier le Meunier (pourriture grise et pourriture acide). Heureusement, des poids de grappes hors normes permettent de réaliser un tri sévère à la vendange.
En mars, le vignoble sort doucement de son repos hivernal. Fin mars, les bourgeons commencent à gonfler en tous secteurs.
En plus d’être humide, avril 2023 est frais, avec une succession de gouttes froides sur la région, et joue les prolongations de l’hiver. Heureusement, la végétation dort encore suffisamment pour éloigner le stress d’un débourrement trop précoce. Le débourrement de la vigne survient finalement le 19 avril, avec un retard de 5 à 6 jours par rapport à la moyenne décennale. La pousse de la vigne reste très modérée. Une succession d’épisodes de gel sera enregistres au cours du mois, mais sans pour autant provoquer d’importants dégâts étant donné la faible avancée de la végétation. Il faut attendre fin avril pour voir enfin les températures remonter et le risque de gel s’éloigner.
Le mois de mai est scindé en deux parties. En début de mois, les précipitations sont quasi quotidiennes. Les cumuls ne sont pas très élevés, mais cela amplifie l’impression de fraîcheur. La pousse de la vigne reste modérée, avec en moyenne 1 à 2 nouvelles feuilles par semaine. Il faut attendre la dernière décade de mai pour que le temps s’assèche et que les températures remontent, atteignant même les 30 degrés en fin de mois. La pousse s’active enfin, avec 2 à 3 nouvelles feuilles par semaine. Le retard phénologique se comble petit à petit.
Début juin, les premières fleurs sont vues au vignoble dans les parcelles de Chardonnay les plus hâtives. La floraison progresse rapidement en raison des températures élevées, la date moyenne retenue pour le stade "pleine fleur" est le 13 juin, soit 1 jour de retard par rapport à la moyenne décennale.
En juillet, les baies se nouent puis grossissent, pour atteindre, le début de la fermeture de la grappe durant la première décade. Une avance de 2-3 jours est alors constatée au niveau phénologique. Les premières baies vérées sont vues aux alentours du 22 juillet et le stade "début véraison" est atteint dans les tout premiers jours du mois d’août.
En août, la véraison progresse lentement, en raison de l’alternance de périodes chaudes et sèches et de périodes plus fraîches et humides. Le stade mi véraison sera constaté le 19 août, dans la moyenne décennale. Les vendanges débutent durant les premiers jours de septembre.
En raison des températures fraîches, les mange-bourgeons ont profité d’une période d’exposition allongée et d’une vitesse de pousse modérée durant tout le mois d’avril. Pourtant, ils n’ont pas provoqué d’importants dégâts à large échelle. La pression 2023 est qualifiée de modérée.
La population de pyrales a effectué sa remontée des écorces jusqu’aux apex tout le mois de mai. Le niveau de pression reste globalement faible à modéré.
Une fois de plus, mange-bourgeons et pyrales restent des ravageurs secondaires à l’échelle du vignoble, même si ponctuellement ils peuvent occasionner des dégâts.
Si avril est traditionnellement le mois où les papilles de tordeuses de la grappe de première génération commencent à voler, ça n’a pas été le cas en 2023. Les conditions météorologiques ne sont pas favorables aux vols, trop humides, fraîches et venteuses. Aucun papillon n’a été capturé en avril.
Le vol débute timidement durant les premiers jours de mai et peine ensuite à s’intensifier. Il faut attendre le milieu du mois de mai pour que les conditions deviennent plus favorables aux papillons. Toutefois, les pontes et glomérules restent exceptionnels, et cantonnés aux parcelles hors confusion sexuelle.
Le vol de la seconde génération de papillons débute le 26 juin et la surveillance des oufs démarre alors sur les différents réseaux d’observations. De rares pontes sont vues à partir du 10 juillet. Les perforations restent anecdotiques.
2023 peut être qualifiée d’année à pression très faible.
Concernant la technique de confusion sexuelle, elle est déployée sur près de 17 000 hectares dont près de 4 000 ha via le dispositif de diffusion active par aérosol. Des chantiers de pose d’aérosols ont été installés dans le but d’éprouver l’efficacité de ce-mode de diffusion, dans le contexte champenois (vignoble de côteau, morcellement du parcellaire, vallées encaissées). Malheureusement, une fois de plus, l’absence de pression "tordeuses" ne permet pas de tirer de conclusion.
Le suivi biologique de l’évolution de la maturité des "Œufs" d’hiver de mildiou s’est déroulé tout le mois d’avril, pour finalement observer son acquisition au laboratoire en conditions contrôlées le 20 avril, soit en même temps que le débourrement de la vigne. Les températures, souvent supérieures aux premières contaminations, seule la phénologie de la vigne est limitante et freine un peu la mise en place de l’épidémie en tous secteurs. Le mildiou est dans les starting-blocks. Le potentiel épidémique, modélisé avec le modèle Potentiel Système (S. Strizyk - version 2017), qualifié de moyen en début de printemps, évolue petit à petit à la hausse en raison des épisodes pluvieux successifs de fin avril-début mai et qui se poursuivent jusqu’à la mi-mai. Dans ce contexte, les premières taches sur feuilles sont vues le 8 mai et sont assez rapidement signalées en tous secteurs. Il s’agit, la plupart du temps, de taches isolées, même si quelques foyers de plus grande ampleur ont pu être observés, et même quelques inflorescences en crosse. Le risque épidémique est alors important. L’épidémie s’installe.
Heureusement, à partir de la dernière décade de mai, le temps se remet au sec pendant environ un mois. Cette accalmie est la bienvenue et éloigne le spectre d’une nouvelle campagne 2021. Le potentiel épidémique redescend à un niveau modéré.
Des successions d’épisodes orageux avec des cumuls parfois importants et des températures élevées sont signalés a partir du 11 juin. Mais la période de grande sensibilité de la vigne s’éloigne progressivement, et si du rot brun est régulièrement signalé à partir du mois de juillet, généralement seules quelques baies sont touchées, sauf dans les secteurs qui ont été les plus arroses en juin.
Durant l’été, la succession d’épisodes pluvieux et d’orages provoque des symptômes sur jeunes feuilles (broues, entrecœurs), tournant en mildiou mosaïque en fin de saison, mais les grappes restent saines, leur stade de sensibilité à de nouvelles contaminations étant dépassé.
Finalement, après un démarrage sur les chapeaux de roue ayant fait craindre le pire, l’année 2023 se classe parmi les années à pression modérée, avec une présence notable de la maladie au vignoble, sans perte de récolte.
Parmi les outils disponibles, le modèle "Oïdium Champagne", développé par la société Modeline (adaptation pour la Champagne du modèle bourguignon "Système Oïdium Vigne"), permet notamment de prédire le risque épidémique en sortie d’hiver. En 2023, le modèle calcule un potentiel épidémique en sortie d’hiver modéré à élevé. Les conditions météo semblent plutôt favorables à l’oïdium. La vigilance est donc de mise, l’oïdium est la priorité de la campagne.
Notre suivi de la maturité des cléistothèces, conduit en collaboration avec la société OH. SARL et Moët & Chandon, montre un pic de projection d’ascospores entre le 5 et le 19 avril. Les captures sont insignifiantes dès la fin du mois d’avril. Ce pic de projection d’après l’abaque de latence de l’INRA (A. Coulounec et al. ), est cohérent avec découverte des premiers symptômes au vignoble le 8 mai, en parcelles de Chardonnay à historique. La surveillance sur feuilles vignoble s’enclenche alors. Les symptômes sur feuilles sont de plus en plus présents au vignoble, et, début juin, des symptômes sont observés sur inflorescences, en témoins non traités. En période de floraison, l’indicateur régional "feuille classe 2023 parmi les années à pression modérée à élevée.
La surveillance sur grappes prend ensuite le relais à partir du 19 juin, sur tous les cépages.
La proportion de parcelles concernées augmente petit à petit, de semaine en semaine, pour atteindre 27 % des parcelles du réseau SBT avec symptômes d’oïdium sur grappes au stade fin fermeture-début véraison. Au sein des parcelles concernées, fréquence et intensité des grappes touchées progressent tout au long de l’été.
Finalement, l’année 2023 se classe parmi les années à pression oïdium élevée.
Les premiers foyers de pourriture grise sont observés au retour du week-end du 14 juillet. La taille des grappes et surtout des baies soulève déjà de fortes inquiétudes. Les foyers de pourriture vont se développer tout au long de la période de maturation, pour atteindre une fréquence moyenne de 8, 14 et 20 % respectivement sur le Chardonnay, Pinot noir et Meunier le 4 septembre, d’après les données extraites du portail matu collaboratif (1 200 parcelles renseignées). Les statistiques 2023 naviguent entre les courbes de 2021 et heureusement assez loin des courbes de 2017.
Les premiers signalements de pourriture acide remontent au 17 août. Ils sont alors parfois confondus avec des symptômes "d’échaudage frais", qui auront de toute façon tendance à ne pas sécher et à évoluer in fine vers de la pourriture acide. Suite aux fortes chaleurs en début de vendanges, cette pourriture s’est fortement développée, sur les cépages noirs, et sur les blancs oïdies.
Du fait du volume de récolte généreux, consigne est donnée bien sûr de trier, sans cueillir les grappes atteint de pourriture, même si la pourriture acide, à l’usage est plus difficile à trier.
Une fois de plus, les moyens mis en œuvre par le Comité Champagne, les DRAAF ; Grand Est, Hauts-de-France, Ile-de-France et la Fredon Grand Est, avec l’appui des partenaires du groupe de Concertation Technique, pour déployer au vignoble les prospections collectives, obligatoires et réglementaires, sont sans précédent.
Sans précédent également, et très préoccupant, c’est la progression des foyers de flavescence dorée, contaminés par le variant très épidémique M54. Une surveillance renforcée est donc mise en place dès fin juin dans plusieurs communes (Trélou-sur-Marne, Passy-sur-Marne, Dormans, Courthiézy, Vert-Toulon), par les techniciens et les exploitants, via une pré-prospection précoce fin juillet.
Par la suite, les surveillances collectives "jaunisses" débutent fin août et se poursuivent jusqu’au 30 septembre, avec une pause pendant les vendanges.
Les prospections collectives obligatoires ont démarré dès le 25 août dans les communes des Zones délimitées (ZD, ex-Périmètre deLutte Obligatoire), là où des cas avérés de flavescence dorée avaient été détectés les années précédentes. Les trois région de l’AOC étaient concernées, avec la nouvelle ZD de Nanteuil-sur-Marne et Crouttes-sur-Marne localisée à cheval sur la Seine-et-Marne et l’Aisne, la ZD de Trélou-sur-Marne/Passy-sur-Marne/Barzy-sur-Marne dans l’Aisne, les ZD de Dormans/Courthiézy, de Reuil/Binsonet-Orquigny/Villers-ss-Châtillon/Montigny-ss-chatillon, de Trois-Puits/Taissy/Ludes, de Mardeuil, de Chouilly/Cuis/Oiry/Cramant, Grauves/Mancy, de Saudoy et de Vert-Toulon dans la Marne et enfin la ZD de Montgueux dans l’Aube, soit au total 3 300 hectares de vignoble.
En parallèle, le Syndicat Général des Vignerons en collaboration avec le Comité Champagne, a coordonné les prospections collectives volontaires dans toute la Champagne : plus de 150 communes ont ainsi organisé des prospections. L’encadrement de ces prospections a été assuré par les différents référents jaunisses communaux, formés au préalable courant juillet par le SGV et Comité Champagne. Les techniciens du groupe de concertation technique se sont également mobilisés pour accompagner les communes novices. La mobilisation des professionnels a été importante dans l’ensemble des petites régions viticoles, avec encore la région du Vitryat un peu moins active par rapport aux autres secteurs. Le bilan des surfaces ainsi couvertes sera fait dans les prochaines semaines. Difficile de l’estimer à ce stade au vu de la diversité des situations communales.
Conséquence de forte mobilisation, les signalements de ceps douteux est en hausse, et plus de 16 000 ceps ont été prélevés pour analyse, hors vignes-mères de greffons. A l’heure de la rédaction de cet article, des résultats de diagnostic au laboratoire (pour savoir si les ceps douteux "jaunisses" sont du bois noir ou de la flavescence dorée) sont encore attendus. Les résultats "positif Bois noir" ou "ceps indemnes des 2 phytoplasmes" sont publiés au fur et à mesure que nous les recevons sur l’extranet professionnel. Le bilan des foyers Flavescence dorée sera quant à lui publié tout début 2024, une fois les exploitants concernés informés par les DRAAF SRAL. Le carte bilan FD sera alors également disponible sur l’extranet du Comité Champagne.
Les notations effectuées sur 83 parcelles du réseau de surveillance biologique du territoire (SBT) aboutissent a une expression moyenne des maladies du bois cette année.
Les conditions idéales autour de la floraison et la charge légèrement inférieure à l’année dernière laissaient présager une maturation sereine si les conditions du mois
d’août restaient clémentes. Il n’en fut rien.
Dès le mois de juillet, la conformation des grappes et le volume des baies largement au-delà des standards champenois interrogent, sur le plan sanitaire d’une part et sur la capacité de la vigne à faire mûrir d’aussi grosses grappes d’autre part. Retour en chiffres sur une nouvelle maturation hors référentiel.
La distribution des parcelles dans le réseau matu officiel est restée stable entre 2022 et 2023 avec une très légère progression : de 623 parcelles enregistrées en 2022 à 629 cette année.
La distribution par cépage est légèrement déséquilibrée avec une sur-représentation du Meunier (33,5 %) et une sous-représentation du Chardonnay (29,4 %) par rapport à l’encépagement réel.
Au total, sur la campagne 2023, ce sont 533 parcelles sur les 629 qui ont été prélevées au moins une fois.
En complément du réseau officiel, s’ajoutent les résultats du portail collaboratif. Depuis son lancement en 2020, nous notons une progression constante du nombre de prélèvements renseignés. En 2023, c’est plus de 5 418 prélèvements complémentaires au réseau officiel qui ont été enregistrés, soit un total de 8 145 échantillons sur la campagne.
Un des avantages du portail matu collaboratif est de poursuivre la collecte des données matu après la publication du ban des vendanges avec, cette année, plus de
1 700 prélèvements effectués sur le mois de septembre. Comme en 2022 sur l’ensemble de la campagne, le Chardonnay et le Pinot noir sont sur-représentés par rapport au Meunier si l’on tient compte de l’encépagement réel.
Lors du premier prélèvement sur le réseau officiel, le 14 août, les paramètres de TAVP (titre alcoométrique volumique potentiel) et d’acidité totale sont conformes à ceux attendus compte-tenu de la phénologie de l’année. A cette date, le TAVP s’élevait à 5 % vol. et l’acidité totale à 18,6 g/L avec une grande homogénéité entre cépages. Au-delà du TAVP, ce premier prélèvement confirme les observations de foyers précoces de pourriture grise constatés dès la mi-juillet avec une fréquence moyenne de 5 %. Le poids des grappes ne rassure pas sur ce point, avec des conformations extrêmement compactes et des poids moyens qui égalent déjà le record à la vendange de 2005.
Les écarts se sont ensuite creusés au fil des prélèvements. Une semaine plus tard, au 21 août, les résultats des prélèvements interrogent et inquiètent. La progression du TAVP est plutôt faible avec 0,17°/jour en moyenne. A chaque extrémité du spectre, nous observons le Pinot noir de l’Aube (0,11°/jour) et le Chardonnay de la Marne (0,22°/jour) annonçant déjà une précocité surprenante du Chardonnay par rapport aux cépages noirs. L’évolution languissante du degré surprend mais elle ne reflète pas le très bon fonctionnement de la vigne. Au 21 août, la quantité moyenne de sucre par grappe est de 21 g pour un TAVP de 6,2 % vol. En 2018, avec 21 g de sucre par grappes, le degré moyen était proche de 9 % vol. La vigne fonctionne donc bien, contrairement à ce que suggère ce ralentissement du paramètre "degré".
La chute d’acidité totale est forte et place 2023 à cette date et à degré équivalent, comme un millésime moins acide que 2018 c’est la conséquence logique des fortes chaleurs de fin août et du volume des baies hors norme.
Autre fait surprenant, la véraison semble particulièrement en avance par rapport au TAVP ce qui rejoint les observations sur le chargement en sucre et laisse penser que le métabolisme de la vigne est bien actif.
Le 30 août, à l’approche des commissions des dates, l’ensemble des prélèvements réalisés confirme un ralentissement de la prise de degré sur les 3 cépages mais tout de même plus marqué sur le Meunier. Contrairement aux précédents prélèvements, il semble cette fois que le chargement en sucre commence à ralentir, avec un poids moyen des grappes à l’échelle Champagne qui plafonne à 220 g. Cette observation ne constitue pas une bonne nouvelle à un stade si précoce car ce ralentissement annonce généralement l’arrêt du flux de sève vers les baies. Au 30 août, il semble donc que de nombreuses parcelles de Meunier peineront à atteindre l’ambition à 9,5 % vol. en conditions saines voire, le minimum légal de 8,5 % vol. A l’opposé, le Chardonnay poursuit sa course en tête et la vendange devrait logiquement démarrer par ce cépage.
Parallèlement, la situation sanitaire s’est dégradée, sans toutefois exploser comme en 2017. Au 30 août, la fréquence moyenne de pourriture grise est de 11,2 %. Nous observons également de manière très ponctuel des signalements de pourriture acide sur le Pinot noir et le Meunier.
Au dernier prélèvement du 4 septembre, les tendances se confirment. Le poids moyen des grappes plafonne, voire commence à régresser, sur certaines parcelles de Meunier et de Pinot noir et la prise de degré est toujours très lente. L’acidité totale semble se stabiliser autour de 8,5 g/L mais ceci reste une valeur basse alors que la plupart des communes n’ont pas encore entamé leur vendange. Avec le temps humide du week-end précédent, la pourriture grise a continué de progresser de
manière linéaire et la fréquence moyenne s’élève désormais à 15 %.
Les données collectées sur le portail matu collaboratif nous ont permis de suivre assez précisément l’évolution de la maturation jusqu’au 12 septembre. Les températures élevées sur les 15 premiers jours de septembre et l’arrêt du chargement en sucre des baies, ont conduit à des phénomènes de concentration sur les 3 cépages et plus particulièrement sur le Pinot noir et le Meunier. Visuellement, ce phénomène se traduit par un flétrissement des baies principalement sur cépages noirs.
Ce flétrissement est bien entendu préjudiciable pour le rendement mais il aura permis une augmentation rapide du TAVP bienvenu sur certaines parcelles. Vraisemblablement, la fréquence de pourriture grise n’a pas explosé au cours des
vendanges, mais c’est principalement la pourriture acide qui a pris le dessus dans les
cépages noirs avec des fréquences dépassant ponctuellement les 50 %.
A l’issue des vendanges, la cartographie des moûts réalisée par le laboratoire d’analyse du Comité Champagne confirme que 2023 est une nouvelle année record sur les paramètres analytiques des moûts. Notamment, l’acide tartrique et la concentration en azote ammoniacal sont les plus faibles jamais enregistrés depuis 1992.
Ces valeurs records sur ces deux paramètres sont en grande partie liées aux composantes du rendement de l’année. En effet, un nombre important de baies par grappe ainsi qu’une forte augmentation du volume des baies ont tendance à "diluer"
la concentration de certains composés. Concernant l’acide tartrique, sa quantité par baie est fixée avant le début de la véraison, sa concentration à la vendange dépend donc principalement de la quantité initiale synthétisée et de la variation du volume de la baie au cours de la maturation. En 2023, le volume maximal des baies a dépassé la moyenne des 3 derniers millésimes d’environ 25 %. On peut donc considérer que si le volume des baies avait été dans la moyenne, la concentration d’acide tartrique aurait été supérieure à la moyenne décennale.
Cartographie des moûts de cuvée | 2023 (n = 204) | Moyenne décennale |
---|---|---|
TAVP (% vol. | 9,6 | 10,2 |
Acidité totale (g H₂SO₄/L) | 6,3 | 7,1 |
pH | 3,13 | 3,08 |
Malique (g/L) | 5,0 | 5,7 |
Tartrique (g/L) | 6,6 | 7,6 |
Azote total (mg/L) | 400 | 331 |
Azote ammoniacal (mg/L) | 67 | 99 |
Résultats Temporaires de la cartographie des moûts 2023 du Comité Champagne par rapport à la moyenne décennale - 204 échantillons |
Nous parlions déjà de découplage de maturité dans ces colonnes en 2022. Pour rappel, l’année dernière, face aux conditions chaudes et sèches, nous observions des
maturités aromatiques particulièrement en "retard" par rapport aux concentrations en sucres. Ceci se traduisait notamment par une perception végétale intense à des degrés potentiels habituellement jugés suffisants pour l’élaboration du Champagne.
En 2023, il semble que nous ayons été confrontés à un scénario bien différent. En effet, dès le 20 août, les premières dégustations de baies, effectuées sur nos parcelles de référence, témoignent d’un végétal déjà très discret malgré des TAVP autour de 6 % vol. De la même manière, nous avons observé un fruité déjà intense sur les cépages noirs dès le 25 août alors que les degrés moyens avoisinaient 7 % vol.
A 7 % vol. en TAVP, la perception végétale jugée par le panel était déjà proche de "absente" en 2023 alors qu’à ce même TAVP en 2022, le végétal était jugé "intense" à "très intense". Il en est de même pour le critère fruité qui est jugé "peu intense" à "intense" en 2023 contre "absent" en 2022. Nous avons constaté des résultats similaires sur le Pinot noir. Pour le Chardonnay, la perception végétale était faible mais l’intensité du fruit s’est révélée plus tardivement.
Il apparaît une nouvelle fois que la maturité aromatique des raisins semble décorrélée de l’évolution du TAVP, mais alors pourquoi la fiabilité de cet indicateur est-elle remise en cause dans ces conditions de millésime ?
La limite du TAVP comme indicateur, c’est que celui-ci n’est pas un reflet parfait du métabolisme de la vigne. En effet, le TAVP reposant sur une mesure de concentration, il est susceptible d’être influencé par d’autres paramètres que le flux de sucres des organes source vers les baies.
Le rendement, et plus particulièrement le volume des baies, est un facteur déterminant puisque pour une quantité de sucres donnée, plus le volume de la baie est important et plus le TAVP est faible c’est un phénomène de dilution. De même, le TAVP peut continuer d’évoluer même lorsque le flux vers les baies est stoppé. En effet, selon l’état physiologique et les conditions de températures, la baie peut perdre de l’eau et le TAVP augmente alors par concentration.
Pour ce millésime 2023, nous avons eu à la fois des volumes de baies record, puis des phénomènes de concentration. Le TAVP n’a donc jamais été un bon indicateur du métabolisme de la vigne dans ces conditions. Existe-t-il alors un indicateur mieux corrélé au fonctionnement de la vigne ?
Pour s’affranchir des biais en suivant une concentration, nous étudions depuis 2022 le chargement en sucres des baies, c’est-à-dire la quantité de sucres contenue dans chaque baie. Cette quantité, ne dépend que du métabolisme de la vigne et n’est pas influencée par des phénomènes de concentration ou de dilution.
Ainsi nous avons observé cette année sur nos parcelles de référence, que le plateau de chargement en sucres, c’est-à-dire l’arrêt du flux vers les baies, est intervenu très tôt, avant même l’ouverture des vendanges pour les 3 cépages.
On remarque que ce plateau a été atteint au 28 août pour le Chardonnay (240 mg / baie) et au 4 septembre pour le Pinot noir et le Meunier (225 et 200 mg/baie respectivement).
Un autre point marquant pour appréhender la dynamique de maturation sur le millésime 2023 est la comparaison du chargement en sucres à TAVP équivalent avec des millésimes antérieurs.
On remarque qu’en 2023 pour un TAVP compris entre 6,0 et 6,5, la quantité de sucres par grappe est de 20,6 g/grappe soit prêt du double de la quantité observée en 2021 ! A titre de comparaison, une quantité de 20,6 g de sucres/grappe donnait un TAVP de 8,8 % vol. en 2022. Le métabolisme de la vigne et le flux de sucres vers les baies a donc été très intense dès le début de la maturation des fruits. Au dernier prélèvement matu du 4 septembre, la quantité de sucres par grappe s’élevait en moyenne à 29,9 g soit une masse d’environ 2,3 tonnes par hectare alors qu’au dernier prélèvement de 2022 la masse moyenne était seulement de 1,8 tonnes/ha.
Pour aller plus loin dans la compréhension du millésime, nous étudions maintenant les liens qui peuvent exister entre le chargement en sucres et le profil aromatique des raisins, l’étude est en cours. Rendez-vous à l’assemblée de l’AVC le 30 novembre
pour de nouveaux éléments sur ce point.
L’année dernière à cette même période, nous constations déjà que 2022 était une maturation hors référentiel. Force est de constater que 2023 l’est aussi mais pour des raisons bien différentes.
Cette campagne nous renvoie face à certains fondamentaux de la viticulture. Nous avons vu que les conditions météo n’auront pas été limitantes cette année, en revanche, il semble que nous avons atteint certaines limites physiologiques de la vigne. Les rendements pléthoriques de l’année étaient en déséquilibre avec les capacités photosynthétiques de la vigne et l’analyse du rapport feuille/fruit traduit bien ce phénomène.
On remarque que sur les 3 cépages, le rapport feuille-fruit est très largement inférieur à celui observé sur les 3 derniers millésimes. Plus particulièrement sur Meunier, ce ratio inférieur à 1 cette année est une des principales causes des difficultés de maturation rencontrées sur ce cépage.
Toutefois, l’anticipation de pratique, telle que la vendange en vert, reste délicate dans un scénario comme 2023 pour lequel le poids des grappes était extrêmement difficile à prévoir. A l’avenir, la détermination d’un rapport feuille-fruit précoce à floraison, combiné à une évaluation du taux de nouaison, pourrait permettre d’appréhender la maturation des raisins plus sereinement.
Ces nouveaux indicateurs seront donc intégrés au Réseau physio du Comité Champagne dès 2024.
Le millésime 2022 avait été généreux avec des grappes en nombre et un poids moyen au-delà de la moyenne. 2023 s’annonçait un cran en dessous avec une charge légèrement inférieure, mais le poids moyen des grappes, largement au-delà de la moyenne dès les premiers prélèvements matu, a rebattu toutes les cartes.
Le tout début de la campagne 2023 est plutôt clément avec des dégâts de gel très limités. Les secteurs touchés sont principalement le Sézannais et la côte des Bar. A l’échelle AOC, la perte de récolte estimée est de 1,5 %, soit largement inférieure à la moyenne décennale (8 %).
Malgré cela, le démarrage de la saison viticole n’est pas serein. Les dernières semaines d’avril sont particulièrement arrosées et le risque mildiou est très élevé. Globalement, grâce à une bonne réactivité sur les opérations de traitement et une météo favorable, les pertes liées au champignon resteront très contenues.
Dès la fin mai avec le développement des inflorescences, les premières observations faisaient état d’une montre satisfaisante sans toutefois être excessive.
Les comptages de grappes se mettent en place dès la fin de la floraison et nous collectons cette année des données sur un peu plus de 2 700 parcelles au total, soit
un échantillonnage d’une parcelle pour 12 hectares en production approximativement.
Contrairement à 2022, les comptages révèlent une grande homogénéité des charges entre cépages et régions. Nous notons que les montres du Meunier dans des secteurs en retrait les années précédentes sont à des niveaux équivalents au Pinot et au Chardonnay. Cette homogénéité est en partie liée à de très bonnes conditions d’initiation florale en 2022, suivi d’une belle fin de saison, qui aura permis une mise en réserve efficace sur les 3 cépages.
. | Potentiel (grappes/m2) fourrières déduites |
Chardonnay | 9,5 |
Pinot noir | 9,4 |
Meunier | 9,1 |
Moyenne (pondérée à la surface) | 9,3 |
Résultats des comptages de grappes sur plus de 2 000 parcelles (source : Réseau AVC) |
Comme toujours lorsque nous réalisons les estimations de rendement début juillet, la principale inconnue est le poids moyen des grappes, pour lequel il est très délicat d’obtenir des estimations fiables. A ce stade précoce, nous utilisons généralement la moyenne décennale du poids de grappes pour réaliser les estimations. Toutefois, nous observons déjà des grappes très bien conformées et la moyenne décennale de 132 grammes nous semble largement sous-estimer le potentiel de l’année. Partant de ce constat, nous avons réalisé des comptages de baies sur les 3 cépages sur le domaine expérimental. Ces comptages ont confirmé notre intuition puisque les résultats font état d’un nombre de baies par grappe moyen de 150. Cette valeur est déjà supérieure de 5 à 10 % par rapport à 2022. Par ailleurs, la moyenne du poids d’une baie sur les trois dernières années est d’environ 1,3 g. Avec ces valeurs, la prévision du poids moyen des grappes à la vendange est proche de 200 g, ce qui semble peu probable compte-tenu que le précédent record de 2005 s’établit à 170 g.
Avec ces données, nous formulons donc une hypothèse basse avec une estimation du poids moyen à 150 grammes ce qui représente un rendement moyen de 14 000 kg/ha à la vendange ainsi qu’une hypothèse optimiste avec un poids moyen de 180 g soit environ 17 000 kg/ha.
Par ailleurs, nous enregistrons des valeurs record de concentrations de pollen dans l’air au cours de la floraison. Les concentrations enregistrées sont largement au-delà des valeurs de référence que nous collectons depuis les années 1980.
. | Nombre moyen de baies/grappes | Poids moyen d’une baie (11 juillet 2023) | Poids probable à la vendange | Poids des grappes potentiel à la vendange |
CH | 142 | 0,59g | 1,35 g | 192 g |
PN | 140 | 0,57 g | 1,35 g | 190 g |
MN | 160 | 0,60 g | 1,35 g | 216 g |
Moyenne | 147 | . | . | 200 g |
Résultats des comptages de baies par grappe sur le domaine expérimental de Plumecoq au 11 juillet 2023 (échantillon 30 grappes/cépage). |
Ces valeurs records altèrent la précision du modèle qui fournit des estimations aberrantes pour le scénario optimiste. La valeur retenu cette année est donc la valeur du scénario le plus pessimiste avec 17 000 kg/ha.
Enfin, à l’issue des tournées AVC, les estimations de rendements annoncées par les correspondants s’échelonnent de 12 500 kg/ha à 19 000 kg/ha selon les crus, pour une moyenne globale de 15 300 kg/ha.
Le mois de juillet se déroule sereinement avec des précipitations régulières et une absence totale de contrainte hydrique sur le vignoble. Les grappes sont exceptionnellement compactes et volumineuses. Le premier prélèvement sur le réseau matu officiel, le lundi 14 août, vient confirmer ces impressions en révélant un poids moyen de grappes de 169 g alors que la véraison n’est que de 25 % à cette date. Le précédent record de poids de grappe datait de 2005 avec 171 g de poids moyen à la vendange, celui-ci sera largement dépassé cette année. Nous constatons d’ores-et déjà des différences de poids significatives entre cépages, à l’avantage du Meunier et du Pinot noir.
En moyenne, la prise de poids entre le premier prélèvement sur le réseau matu et l’ouverture des vendanges est d’environ 30 % ce qui devrait théoriquement amener un poids moyen de 220 g à l’ouverture en 2023.
Jusqu’au prélèvement du 24 août, la prise de poids est dynamique et linéaire, les cépages noirs dépassent les 210 g et le Chardonnay rattrape son retard en atteignant 200 g. On observe tout de même un ralentissement de la cinétique qui annonce le plateau. Selon les données du portail matu collaboratif, le pic, tous cépages confondus, est atteint au 31 août avec un poids moyen de 219,2 g. La dernière valeur enregistrée sur le réseau officiel est, quant à elle, de 218 g le 4 septembre.
Le retour des températures élevées sur les 2 premières semaines de septembre et l’arrêt du chargement en sucres des baies conduit inévitablement à une perte significative de poids. On observe sur les données du portail matu collaboratif que ce phénomène a principalement concerné les cépages noirs. Toutefois, les données collectées sur nos parcelles de référence nous ont montré que la dessiccation des baies a aussi eu lieu sur certaines parcelles de Chardonnay. Le phénomène est rapide, et entre le 1er et le 11 septembre, le poids moyen sur cépages
noirs passe de 222 g à 198 g soit une perte d’environ 11 %. Malgré cela, 2023 s’inscrit très largement comme le record absolu sur ce paramètre.
Le poids moyen des grappes est déterminé par deux composantes : le nombre de baies par grappe et le poids moyen d’une baie. Dans la littérature scientifique, il est admis que 75 % de la variabilité interannuelle du poids de grappe provient du nombre de baies par grappe et que les 25 % restant sont attribués à la variation du poids des baies (Guilpart, N., Metay, A. et Gary, Christian, 2013. Grapevine bud fertility and number of berries per bunch are determined by water and nitrogen stress around flowering in the previous year. In : European Journal of Agronomy. 1 octobre 2013. n° 54, p. 9 20.)
Au-delà de la qualité du matériel végétal et des conditions de l’année n-1, le nombre de baies par grappe est principalement déterminé par :
• les niveaux de réserves glucidiques dans les bois,
• les conditions météorologiques dans les semaines précédent et encadrant la floraison.
Concernant les réserves glucidiques dans les bois, nous avons constaté que celles-ci étaient supérieures d’environ 25 % en 2023 par rapport à 2022 (en g sucres/kg bois). Ceci est un premier élément qui peut influencer positivement la qualité de la nouaison (Réseau physio Comité Champagne).
Par ailleurs, les conditions météo encadrant la floraison ont été particulièrement clémentes cette année avec des températures douces et l’absence de précipitations sur la plupart des secteurs du vignoble. Ainsi, les quantités de pollen émises ont été
extrêmement importantes et les taux de coulure très faibles, permettant une fécondation optimale.
Le poids moyen d’une baie, quant à lui, est principalement déterminé par :
• le microclimat dans la zone des grappes, et plus particulièrement la quantité de
radiations perçues par les baies,
• la disponibilité en carbone, en eau et en azote.
Comparaison des niveaux d’azote et de carbone disponibles aux stades 5-6 feuilles et floraison entre 2022 et 2023 (tous cépages confondus). Mesures issues de l’observatoire physiologique du Comité Champagne. |
En 2023, l’insolation sur la période de développement des raisins est inférieure à la moyenne décennale, en revanche la disponibilité en ressource carbonée, hydrique et azotée a été très bonne tout au long de la campagne. En effet, nous n’avons rencontré aucune contrainte hydrique grâce à des précipitations régulières sur l’ensemble du cycle. De plus, les mesures effectuées sur notre observatoire physiologique font état d’une quantité d’azote disponible supérieur de 11 % et d’une surface foliaire totale supérieure de 37 % en 2023.
En résumé, c’est essentiellement la combinaison d’excellentes conditions météo autour de la fleur et d’une très bonne efficacité photosynthétique qui a généré les poids de grappes record. Contrairement à ce qui existe dans la littérature scientifique, il semble que cette année, la part la plus importante de la variabilité du poids des grappes provient du poids moyen des baies.
La variation du poids des grappes au cours des vendanges et le tri important effectué au vignoble rendent l’estimation du rendement agronomique délicate pour cette campagne 2023.
Si l’on combine les comptages de grappes de juillet (9,3 grappes/m2) avec le poids de grappe moyen enregistré au 4 septembre sur le réseau officiel Matu (218 g), nous arrivons à un rendement agronomique de 20 000 kg/ ha.
A la date où nous rédigeons cet article, nous ne disposons pas encore des informations sur les déclarations de récolte. En revanche, les données des rentrées en distillerie nous indiquent que 132 292 tonnes de marcs ont été réceptionnées, soit l’équivalent de 530 000 tonnes de raisins. La surface en production actuelle étant de 33 800 hectares, on estime que le rendement cueilli avoisine les 16 000 kg/ha.
En intégrant les pertes liées au tri estimées à 5 % sur Chardonnay, 20 % sur cépages noirs, ainsi que les parcelles non vendangées (environ 15 % des parcelles sur cépages noirs), nous arrivons à une estimation de 21 000 kg/ha.
Ces chiffres seront à confirmer dans les semaines qui viennent mais le rendement agronomique de 2023 devrait donc se trouver entre 20 000 kg/ha et 21 000 kg/ha, plaçant ainsi 2023 en seconde position des années les plus généreuses après 2004 (estimé à 23 000 kg/ha).
. | Grappes/m2 | Poids moyen des grappes au 4 septembre (g) | Rendement agronomique estimé (kg/ha) |
Chardonnay | 9,5 | 211 | 20 045 |
Pinot noir | 9,4 | 222 | 20 860 |
Meunier | 9,1 | 219 | 19 920 |
Moyenne (pondérée à la surface) | 9,3 | 218 | 20 270 |
Estimation du rendement agronomique à la vendange à partir des données du dernier prélèvement sur le réseau matu officiel (327 échantillons). |
Source Le Vigneron Champenois novembre 2023