On peut qualifier la campagne 2024 de campagne-marathon, épuisante, qui aura été un combat du début à la fin, avec une lutte permanente contre l’herbe et le mildiou, en raison d’une pluviométrie hors norme. Heureusement, si la quantité n’est pas au rendez-vous en raison des pertes liées au mildiou, au gel de printemps, à la coulure et au millerandage, à la grêle et à l’échaudage, la qualité est là.
Après un millésime 2023 en demi-teinte d’un point de vue météo, l’année 2024 aura été beaucoup plus nette en tendance avec des précipitations incessantes.
L’été 2023 n’aura pas nécessairement été le plus ensoleillé, ni le plus sec enregistré. Pour autant, la canicule vécue durant les vendanges aura fait oublier un été 2023 en demi-teinte. Après cet épisode de beau temps en septembre et début octobre 2023, la pluie fait son retour en octobre et novembre avec des cumuls moyens sur l’appellation doublés par rapport aux normales.
Le mois de décembre est globalement normal en termes de précipitations mais assez doux. Nous pensons l’épisode de précipitations incessantes terminé lorsqu’en janvier les précipitations se calment légèrement. Cependant ce n’est que de courte durée et lié à un anticyclone qui se positionne sur la France et fait baisser assez largement les températures.
Pour autant, les précipitations reviennent de plus belle avec un mois de février à plus de 100 mm et des températures qui s’envolent de nouveau en lien avec l’influence océanique.
Le printemps 2024 ressemble à s’y méprendre à l’hiver précédent si l’on exclut les températures systématiquement au-dessus des normales.
On commence donc par un mois de mars très doux, mais très arrosé lors des deux dernières décades. Le mois d’avril commence par une première quinzaine extrêmement douce, voire chaude pour la saison, elle est également très humide. La vigne débourre donc assez vite et pousse assez rapidement. Cependant, durant la dernière décade, le mois d’avril voit arriver un événement de gelées par advection polaire. En effet, le pôle Nord a été déstabilisé par un réchauffement très rapide et très précoce dans l’année. Le vortex polaire (courant jet qui tourne autour du pôle) a donc entamé des ondulations assez tôt. L’une d’entre elles avait apporté de l’air chaud en début de mois, la seconde apporte de l’air froid… L’appellation est touchée de plein fouet à partir du 20 avril. Les dégâts se chiffrent à 9,2 % en moyenne sur l’appellation, la Côte des Bar est la région la plus impactée. Cet événement étant arrivé sur une végétation déjà bien avancée, des dégâts plus discrets n’ont pas nécessairement été vus et les pertes très certainement sous estimées.
A la suite de cet épisode froid, s’ensuit un mois de mai relativement doux sur les deux premières décades mais bien plus frais sur la dernière. Il est également très pluvieux et se positionne en 3e position des mois de mai les plus arrosés après 2016 et 2013. Le mois de mai a également lancé la saison des orages qui ont été nombreux cette année. L’un d’entre eux a lourdement frappé les communes de Passy-sur-Marne, Trélou-sur-Marne et Barzy-sur-Marne le 12 mai, touchant une surface très importante de plus de 500 hectares.
L’été 2024 commence par une période fraîche, si ce n’est froide pour la saison. Et comme si cela ne suffisait pas, les précipitations font leur retour dès la deuxième décade de juin. La fleur se déroule donc dans des conditions très peu favorables. Ceci impactera la durée de la floraison qui en fonction des cépages durera près d’un mois. Les orages sont également de la partie, expliquant une partie du surplus de précipitations. Ils sont parfois grêligènes. Ainsi des dégâts sont enregistrés dans la région d’Essoyes le 25 juin.
Le mois de juillet aura débuté comme le mois de juin avec une première décade très fraîche mais heureusement assez peu pluvieuse. La suite du mois de juillet est cependant bien plus maussade avec de nombreux passages d’averses et d’orages qui déversent des quantités assez importantes de précipitations parfois sous forme de grêle. Ainsi les environs des Riceys, des vallées de la Seine et de l’Arce ont été touchés à leur tour le 31 juillet.
Le mois d’août a été légèrement plus clément, les températures sont légèrement au-dessus des normales et, si l’on exclut la seconde décade, les précipitations sont contenues. Au cours du mois de septembre, les précipitations ont varié fortement. Durant la première décade des précipitations assez importantes se sont abattues localement sous forme d’averses, parfois orageuses, créant des cumuls de 40 à 50 mm localement sur 1 heure.
La seconde décade, plus clémente mais plus fraîche également a limité les prises de degrés. Enfin la dernière décade fut diluvienne avec des cumuls allant de 80 à plus de 100 mm sur la Marne et l’Aisne en plein milieu des vendanges. Au final, l’été 2024 aura été le plus pluvieux jamais enregistré sur l’appellation avec 364,3 mm en moyenne entre juin et septembre. C’est 6 mm de plus que le précédent record qui datait de 2001. Mais alors comment expliquer cette pluie incessante ?
Pour cela il faut regarder les grands phénomènes climatiques qui régissent les précipitations à l’échelle mondiale.
Tout d’abord, pour qu’il y ait des précipitations, il faut de l’eau sous forme de vapeur dans l’atmosphère. L’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée à l’échelle mondiale, et tout particulièrement au niveau de l’Atlantique Nord. En effet, celui-ci a battu des records de températures à la surface de l’océan durant 421 jours d’affilée entre 2023 et 2024. Qui dit température de l’océan élevée, dit évaporation. Il y avait donc une grande quantité d’eau disponible pour former des précipitations.
Ensuite vient l’oscillation El Niño. Celle-ci, même si elle se déroule entre Amérique du sud et Australie, conditionne le climat global. Elle possède deux phases, El Niño et La Niña. Le Comité Champagne a démontré en 2019 que lors d’événements El Niño, les précipitations en Champagne étaient plus élevées, notamment les orages. Durant La Niña l’inverse est observé. Je vous laisse deviner qui était assez puissant lors de la saison 2024 et a eu du mal à laisser sa place ? El Niño bien entendu !
Enfin, nous évoquions en début d’article la déstabilisation du vortex polaire du fait d’un réchauffement rapide du pôle Nord. Cela a également joué un grand rôle en créant ce que l’on appelle en climatologie des gouttes froides. Celles-ci proviennent d’ondulations du jet stream polaire qui descendent tellement au sud qu’elles finissent par se décrocher à la manière d’une goutte d’au qui tombe d’un robinet. Elles emprisonnent ainsi de l’air froid à l’intérieur d’un système autonome qui tourne sur lui-même, à l’image d’une dépression. Deux problèmes avec ces gouttes froides. Le premier est qu’elles sont totalement imprévisibles. Le second est que l’air froid à l’intérieur de ces gouttes froides va créer beaucoup de condensation, donc beaucoup de pluie et des conflits de masses d’air, ce qui va créer des orages.
Ces trois facteurs réunis ont créé un cocktail détonnant en termes de précipitations et ont fait de la saison viticole 2024 l’une des pires jamais enregistrées.
Du point de vue de l’ensoleillement, pas de grosses surprises. Le ciel perturbé aura masqué une bonne partie du soleil durant l’été. Pour autant, pas de record cette fois : avec 829 heures de soleil entre juin et septembre, 2024 est certes en dessous de la normale de près de 100 heures mais loin de 2006 qui affichait seulement 615 heures.
Ce tableau résume les conditions de l’été (juin-août) 2024 en moyenne sur la Champagne. L’impression maussade se confirme avec des températures moyennes près d’un demi-degré en dessous de la normale et des maximales encore plus basses. Le nombre de jours au-dessus de 25 °C est très inférieur à la normale mais le peu de jours où le mercure est monté, il était assez haut car le nombre de jours au-dessus de 30 °C est plus haut que 2023. Sans surprise, la pluviométrie est très excédentaire et l’insolation déficitaire.
L’année 2024 aura donc été rythmée par les précipitations qui n’auront laissé que peu de répit à la Champagne. Avec un cumul de précipitations de 546,2 mm en moyenne sur l’appellation entre avril et septembre, le record de 2001 tombe et la saison 2024 devient la plus pluvieuse jamais enregistrée. Pour rappel le cumul moyen annuel en Champagne étant de 650 mm, il suffit d’ajouter le mois de mars à ce cumul pour obtenir un cumul annuel.
Paramètres | 2024 | Normale |
---|---|---|
Température moyenne | 19,27 °C (- 0,48 °C) | 19,75 °C |
Température maximale (°C) | 24,96 °C (- 0,87 °C) | 25,83 °C |
Nb jours avec tmax > à 25 °C | 42,22j (- 8,28 j) | 50,50 j |
Nb jours avc tmax > à 30 °C | 13,82 j (- 2,63 j) | 16,45 j |
Pluviométrie (mm) | 257,4 mm (+ 69 %) | 176,8 mm |
Insolation (heures) | 684,4 h (- 9,1 %) | 746,8 h |
Conditions météo de l’été 2024 en moyenne sur la Champagne |
Après un millésime 2023 assez humide, un hiver 2023-2024 très pluvieux, il n’y a eu aucun problème de quasi intégralité de la campagne. Cela a induit des problèmes de chlorose par asphyxie racinaire et un lessivage du fer dans le sol. Quelques problèmes liés à l’utilisation d’herbicides en conditions très humides ont été également constatés.
La météo des sols qui nous sert à étudier l’itinéraire hydrique de la vigne est en fait un modèle de bilan hydrique développé par l’INRA (formule 1). Ce modèle permet d’estimer les quantités d’eau disponible dans le sol pour la vigne, les résultats étant exprimés en pourcentage de la réserve utile. En début d’année, on considère que le sol est à sa capacité maximale de stockage de l’eau donc à 100 % de la réserve utile. Trois niveaux de réserve utile (faible, moyenne et forte) ont été définis grâce aux mesures réalisées par le Comité Champagne depuis plusieurs années. Ensuite, on soustrait à cette réserve utile l’évaporation du sol, l’évapotranspiration de la vigne et on ajoute les précipitations, sachant que la limite maximale est à 100 % de la réserve utile.
ASWj = ASWj-1 + Pj - ESj - TVj ASW = Available transpirale Soil Water (eau restante dans le sol) (en mm) Pj = pluie (en mm) ESj = évaporation du sol (en mm) TVj = transpiration de la vigne (en mm) j = jour de l’année |
Formule 1. Calcul du bilan hydrique |
Pour faire fonctionner ce modèle, nous utilisons des données climatiques qui sont fournies par les différentes stations météorologiques déployées par le Comité Champagne : pluie, température et évapotranspiration potentielle. Puis des mesures en cours de campagne permettent d’évaluer l’efficacité du modèle et de le recaler si nécessaire.
Il s’agit des mesures de potentiel hydrique foliaire de base. On prélève une feuille qu’on introduit dans une chambre à pression et on applique une pression pour extraire la sève du pétiole. Plus la pression nécessaire pour extraire la sève est élevée, plus la contrainte subie par la vigne est importante. Cette mesure est effectuée la nuit car c’est le moment où la vigne ferme la majorité de ses stomates et rentre en équilibre de tension d’eau avec le sol. Cette mesure est ensuite convertie en pourcentage de réserve utile grâce à une corrélation établie par l’INRA. Enfin, on compare cette mesure aux données fournies pour le modèle et si l’écart est important, on réajuste le modèle pour correspondre à la réalité du terrain.
Des mesures menées en 2016 ont permis de déterminer la réserve utile d’une quarantaine de parcelles à travers le vignoble champenois. A cette occasion, nous avons pu remarquer que la Côte des Bar présente des sols avec des réserves utiles plus faibles que les autres secteurs de la Champagne. Cela s’explique par la nature même des sols. En effet, les sols de la Côte des Bar sont majoritairement issus de l’érosion d’une roche-mère Jurassique assez dure. Leur profondeur est donc, en général, assez limitée, ce qui ne permet pas de retenir beaucoup d’eau. Les sols du reste du vignoble sont majoritairement issus de la dégradation de roches-mères Crétacé ou Tertiaire qui sont plus facilement érodables. Les sols sont donc majoritairement plus longs et peuvent ainsi contenir plus d’eau. Attention cependant aux parcelles sur sables Tertiaire car ces derniers sont particulièrement drainants et ne permettent pas de retenir de grandes quantités d’eau.
Réserves utiles (RU) des sols champenois calculées sur le réseau "météo des sols" (sol superficiel : 1er quartile des RU, sol moyennement profond : moyenne des RU, sol profond : 3e quartile des RU). |
Bien entendu cette description est très globale et ne permet pas de décrire finement la réserve utile des sols. L’année 2024 ne restera clairement pas gravée dans le marbre concernant des problèmes liés à un manque d’eau. C’est même plutôt l’inverse qui s’est produit avec un surplus d’eau quasi constant durant la saison.
Le printemps très pluvieux ne fait que peu baisser l’eau disponible dans les sols. Certaines vignes montrent des symptômes de chlorose ferrique du fait du surplus d’eau dans les sols qui asphyxie partiellement le racinaire et lessive le fer disponible. Dans certaines régions du vignoble, on voit donc beaucoup de vignes jaunissantes. Ce n’est globalement qu’au début du mois de juin, un petit peu plus sec, que ces vignes vont pouvoir reverdir. Arrivé à floraison le bilan hydrique est très élevé, en particulier dans la côte des Bar où l’on se situe entre 90 et 100 % d’eau disponible soit un niveau de sortie d’hiver. Dans l’Aisne les valeurs sont légèrement plus basses mais tout de même entre 80 et 90 %. Dans la Marne les valeurs oscillent entre 60 et 80 %.
L’été n’a fait baisser que peu le bilan hydrique en comparaison à d’autres années. Le stade de contrainte hydrique légère n’est rencontré que dans une partie de la Marne et dans le sud de la Côte des Bar. Les vignes ne présentent aucun symptôme car ce seuil est trop faible pour contraindre la vigne à prendre des dispositions physiologiques.
Les précipitations de début septembre vont faire remonter assez rapidement les valeurs d’eau dans le sol et, aux vendanges, aucune région ne sera en dessous de 50 % de réserve utile.
La saison 2024 aura présenté des extrêmes une nouvelle fois, non pas de sécheresse mais de pluviométrie. Cette année, l’outil bilan hydrique aura donc servi à décrire des symptômes de stress par excès d’eau et non par manque.
On peut qualifier la campagne 2024 de campagne-marathon, épuisante, qui aura été un combat du début à la fin, avec une lutte permanente contre l’herbe et le mildiou, en raison d’une pluviométrie hors norme. Heureusement, si la quantité n’est pas au rendez-vous en raison des pertes liées au mildiou, au gel de printemps, à la coulure et au millerandage, à la grêle et à l’échaudage, la qualité est là.
Au début du mois d’avril, les bourgeons sont bien gonflés en tous secteurs du vignoble. Le débourrement se généralise petit à petit, d’abord en secteurs de Chardonnay hâtifs. La date retenue pour le débourrement est le 09 avril, tous cépages confondus, soit quelques jours d’avance par rapport à la moyenne décennale (14 avril).
Toutefois, les températures restent fraîches et cette avance phénologique est bien vite perdue. En effet, la végétation stagne et, pendant 2 semaines, on observe plutôt une augmentation de la surface des feuilles qu’un gain de nouvelles feuilles étalées. La phénologie revient donc dans la moyenne décennale. Des épisodes de gel, tant redoutés, se produisent au vignoble, notamment entre le 22 et le 25 avril. Au global, le bilan sera d’un peu moins de 10 % de dégâts, essentiellement en Côte des Bar. Après une pause liée au froid, la végétation évolue à nouveau en fin de mois, à la faveur des températures plus douces. Le vignoble verdit enfin (1 à 4 feuilles visibles selon les cépages).
En mai, les températures restent douces, mais l’impression (justifiée !) de mauvais temps est entretenue par les épisodes pluvieux réguliers. Des orages parfois violents éclatent, et le secteur de Barzy-sur-Marne à Trélou-sur-Marne subit la grêle. Près de 500 hectares de vigne sont touchés, et les pertes sont de l’ordre de 70 % du potentiel de récolte. En raison de la douceur, la phénologie progresse de manière active. Le développement végétatif reprend un peu d’avance et, fin mai, les parcelles les plus avancées atteignent voire dépassent les 12 feuilles étalées. La surface foliaire augmente, et les inflorescences s’agrandissent puis les boutons floraux se séparent. Les toutes premières fleurs sont vues de manière anecdotique fin mai.
La pleine floraison est attendue autour du 5 juin, soit avec quelques jours d’avance (moyenne décennale le 11 juin). Toutefois, le temps, toujours maussade, et les températures qui peinent à atteindre les 20 degrés en journée et descendent sous la barre des 5 degrés le matin (même proche de zéro le 12 juin matin), ne permettent pas à la fleur de se généraliser rapidement au vignoble. La floraison traîne. L’avance acquise courant mai est donc perdue et on constate même 4 à 5 jours de retard pour le stade "pleine floraison". Celui-ci est finalement acquis vers la mi-juin pour le Chardonnay, et les cépages noirs suivent avec quelques jours de retard. La date moyenne retenue est le 17 juin. On redoute la coulure et le millerandage. Autre conséquence du temps frais, humide et peu ensoleillé qui règne depuis plusieurs semaines : les vignes sont pâles, voire très pâles.
Les températures montent ensuite franchement durant la dernière semaine de juin, dépassant enfin les 30 degrés, ce qui permet aux baies de grossir rapidement et de combler un peu ce retard.
Au niveau pluviométrie, le début du mois de juin voit enfin une accalmie d’une dizaine de jours. Toutefois, ce répit est temporaire et les épisodes pluvieux parfois orageux se succèdent à nouveau tout au long du mois, avec des cumuls importants notamment dans le Sézannais et surtout en Côte des Bar.
Juillet est régi par une alternance entre périodes fraîches et pics de chaleurs soudains rapidement interrompus par des orages plus ou moins violents, parfois accompagnés de grêle (Montgueux en début de mois, Côte des Bar en fin de mois). Le nord de l’appellation est particulièrement arrosé. Le déficit d’ensoleillement est notable sur toute l’AOC. L’été peine à se montrer. Dans ce contexte, les jeunes baies grossissent tout de même et la fermeture de la grappe est observée en milieu de mois. La phénologie conserve quelques jours de retard.
Après ce début d’été bien terne et très pluvieux, août voit revenir le soleil et les températures dépassent les 35 °C le 12 août. Une fois de plus, cette vague de chaleur est vite dissipée par des orages. Août est, comme les mois précédents, excédentaire d’un point de vue pluviométrique sur une bonne partie de l’appellation. Les grappes, bien fermées depuis fin juillet, se colorent très progressivement. La véraison se fait attendre et n’est constatée comme véritablement débutée qu’à la mi-août. La mi-véraison est enregistrée en moyenne vers le 1er septembre, soit une dizaine de jours de retard sur la moyenne décennale. Plusieurs épisodes de chaleur, toujours suivis d’orages, accélèrent le processus de coloration des baies. Ces différents épisodes de chaleur ne sont hélas pas sans conséquence : des dégâts d’échaudage viennent apporter leur triste contribution à l’amenuisement du potentiel de récolte. Les pluies régulières permettent aux grappes de bien grossir, avec de fortes disparités entre les Chardonnays de la Côte des Blancs et les Pinots noirs de la Côte des Bar. Le réseau Matu démarre le 19 août, et les premières analyses montrent des degrés très bas.
La vendange démarrera dans les premiers jours de septembre et s’étalera sur tout le mois. En effet, les dates de cueillette ont été repoussées, dans certains cas les vendanges démarrées puis interrompues pour laisser le raisin mûrir. Elles commencent sous la pluie et se terminent sous la pluie également, avec une accalmie d’une dizaine de jours au milieu. Les rendements sont très hétérogènes, amputés par les évènements climatiques (gel de printemps, grêle, échaudage, mauvaises conditions de floraison) et par le mildiou.
Avec la météo chaotique du printemps, les tordeuses ne sont pas à la fête. Le vol débute vers la mi-avril, mais le temps frais, humide et venteux perturbe fortement la première génération. Le vol perdure sur plusieurs semaines mais il peine à s’intensifier. L’activité de ponte est quasiment nulle. La 1re génération est finalement inexistante.
Quelques papillons de la 2e génération sont capturés dans les derniers jours du mois de juin, mais les conditions météo qui règnent en juillet (températures fraîches, cumul important de pluie, manque d’ensoleillement) sont toujours défavorables à l’activité des papillons. Malgré la surveillance mise en place par les différents techniciens sur les réseaux d’observation, aucune ponte n’est détectée au vignoble, même en secteurs non confusés.
2024 peut donc être qualifiée d’année à pression très faible.
Concernant la technique de confusion sexuelle, elle est déployée sur près de 17 000 hectares dont environ 6 000 hectares via le dispositif de diffusion active par aérosol. Des chantiers de pose d’aérosols sont installés dans le but d’éprouver l’efficacité de ce mode de diffusion, dans le contexte champenois (vignoble de côteau, morcellement du parcellaire, vallées encaissées). Malheureusement, une fois de plus, l’absence de pression "tordeuses" ne permet pas de tirer de conclusion technique.
La campagne démarre avec un potentiel épidémique au plus haut, suite à la pluviométrie élevée de l’hiver et du printemps. Les œufs d’hiver sont considérés comme mûrs vers le 8-9 avril, alors que la vigne est déjà réceptive en secteurs précoces et que la pluie continue de tomber. Les premières contaminations ont lieu. Les épisodes pluvieux suivants continuent d’entretenir le potentiel mildiou à un niveau élevé, mais les températures sont limitantes pour de nouvelles contaminations. Toutes les conditions nécessaires aux contaminations sont à nouveau réunies en fin de mois.
Le 30 avril, les premiers symptômes issus des pluies du 8-9 avril commencent à s’exprimer au vignoble. Epars dans la plupart des secteurs du vignoble, ils sont réguliers voire très réguliers dans le sud Sézannais. Quelques inflorescences en crosse sont même observées.
Petit à petit, au cours du mois de mai, toutes les petites régions du vignoble sont concernées par la présence de symptômes sur feuilles et plus rarement sur inflorescences. Les épisodes pluvieux, parfois sous forme d’orages violents, se succèdent au vignoble, entretenant le potentiel épidémique à un niveau très élevé et provoquant de multiples évènements contaminants. Les sorties de taches se succèdent au vignoble. Des foyers plus importants sont détectés, y compris en dehors du secteur sud Sézannais où les premiers foyers ont été découverts fin avril. Fin mai, alors que la vigne entre dans une période de grande sensibilité aux maladies, ce sont déjà presque 40 % des parcelles du réseau SBT qui sont concernées par du mildiou sur feuilles et 4 % par du mildiou sur inflorescences. La situation est équivalente sur les autres réseaux, dont le nouveau réseau mutualisé champenois mis en place en avril regroupant des parcelles des différents partenaires techniques.
En juin, le risque mildiou reste très élevé et les contaminations s’enchaînent. Les sorties de taches sur feuilles et le rot gris sur inflorescences progressent. En fin de mois, ce sont 100 % des parcelles du réseau de Surveillance Biologique du Territoire (SBT), ainsi que des autres réseaux, qui sont concernées par du mildiou sur feuilles et plus de la moitié par du mildiou sur inflorescences. Si la fréquence de parcelles touchées est très élevée, l’intensité d’attaque au vignoble est variable et corrélée à la combinaison de plusieurs facteurs.
En juillet et jusque mi-août, le combat contre le mildiou continue sans relâche. La fermeture de la grappe est attendue de pied ferme pour enfin atteindre la fin de la sensibilité des baies au mildiou. Les estimations de rendement témoignent de l’impact de ce dur combat. Fin juillet, lors des dernières tournées d’observation, 95 % des parcelles du réseau SBT sont concernées par du mildiou sur grappes. De grandes disparités sont observées entre régions. Le sud Sézannais, concerné par les attaques de mildiou très précoces, a redressé la barre et, excepté quelques cas particuliers, le secteur s’en sort plutôt mieux que prévu.
Le risque épidémique, important en sortie d’hiver, a été amplifié par la précocité phénologique de certains secteurs de Chardonnay, par le cumul des précipitations, par la multiplicité des épisodes pluvieux depuis fin avril conjuguée à une dynamique de pousse active et à des contraintes d’organisation. Les fenêtres pour assurer les renouvellements ont été peu nombreuses et assez éphémères. S’ajoutent à cela les pratiques culturales (produits, qualité de pulvérisation et conditions de mise en œuvre). Au bout de 4 mois d’un dur combat, es rendements sont hétérogènes entre petites régions.
2024 est sur le podium des plus fortes années à mildiou, juste derrière 2021.
La situation est toute autre que pour le mildiou. Le potentiel épidémique en sortie d’hiver est faible.
Le suivi de la maturité des formes de conservation hivernales (cléistothèces) assuré au vignoble révèle que les projections d’ascospores, effectives en début de mois, déclinent fortement à partir de mi-avril. La période de chevauchement avec la réceptivité de la vigne est donc très courte. Sur le réseau collaboratif Champagne de dépistage d’ADN d’oïdium par qPCR (regroupant une quarantaine de parcelles), les analyses ne révèlent que de rares contaminations.
Aucun symptôme ne sera observé au vignoble en avril. Il faudra attendre début mai pour voir la première tache à Avize, en parcelle à historique. Courant mai, le suivi se poursuit et quelques autres taches éparses sont signalées dans une poignée de communes de l’appellation, en parcelles à historique, mais toujours rien sur les parcelles du réseau SBT. Ceci est de bon augure quant à la pression oïdium, en cette période de pré- floraison. En effet, plus une épidémie démarre tardivement, plus les dégâts sur la récolte sont limités.
Les premiers symptômes sur feuilles seront signalés sur le réseau SBT durant la première semaine de juin, et évolueront très peu, passant de 2 % de parcelles concernées à 5 %. Fin juin, quelques symptômes sont décelés sur inflorescences, toujours en parcelles à historique. La proportion de parcelles touchées progresse doucement tout au long de l’été, mais reste faible (13 % du réseau SBT). Dans les parcelles déjà touchées, les symptômes sur grappes évoluent également.
Au final, l’oïdium reste plutôt discret et cantonné à une poignée de parcelles à historique d’attaque sur grappes.
Les moyens mis en œuvre par le Comité Champagne, les DRAAF Grand-Est, Hauts de France, Ile de France, la Fredon Grand Est et le SGV, avec l’appui des partenaires du groupe de concertation technique, pour déployer au ignoble les prospections collectives, obligatoires et volontaires, sont sans précédent.
L’encadrement des prospections est assuré par les techniciens, mais aussi par les référents jaunisses communaux, formés au préalable courant juillet par le SGV et le Comité Champagne.
Dans les secteurs contaminés par le variant très épidémique M54, la surveillance du vignoble par les techniciens débute fin juin, et se poursuit tout au long de l’été. Des prospections précoces anticipées ont lieu
fin juillet avec les exploitants volontaires et l’aide des partenaires techniques, dans certaines communes, afin de repérer et d’arracher au plus vite les ceps exprimant déjà des symptômes de jaunisses et ainsi ôter la possibilité aux cicadelles "FD" de se nourrir sur des ceps malades et de propager la maladie.
Les prospections collectives s’étalent ensuite du 26 août au 10 septembre pour les obligatoires en Zone Délimitée (ZD) et du 26 août au 30 septembre pour les prospections volontaires, avec une pause pendant les vendanges.
Au global, 4 000 hectares ont été prospectés en ZD, et 8 200 hectares en prospections volontaires.
Le bilan est extrêmement préoccupant. La situation "flavescence dorée" s’est fortement dégradée, avec localement une forte propagation et la découverte de gros foyers de plusieurs centaines de ceps, voire des milliers. Près de 10 500 ceps FD+ ont été répertoriés, contre 920 ceps fin 2023. Des foyers importants ont été décelés dans 14 communes situées en Vallée de Marne, en Montagne de Reims et dans le Vitryat. 13 autres communes sont concernées par des ceps positifs isolés en Vallée de Marne, Montagne de Reims, Coteaux du Petit Morin, et dans l’Aube (Montgueux).
Ceps symptomatiques "jaunisse" coupés suite à la prospection précoce fin juillet 2024. |
A l’heure où ce bilan est publié, les résultats des génotypages ne sont pas encore connus, mais il est fort probable que le variant M54 du phytoplasme soit responsable des gros foyers.
Le bilan final sera connu courant décembre.
A l’usage, après une année catastrophique en mildiou, nous n’observons pas de dégâts de pourriture importants… Ne serait-ce que parce que les précipitations finissent habituellement par s’interrompre et parce que les grappes sont susceptibles d’être passablement éclaircies. De rares et insignifiants foyers précoces sont signalés dès la mi-juillet sur certaines parcelles. L’état sanitaire se maintient pendant la maturation. En pré- Vendanges, une partie de la Côte des Bar est particulièrement arrosée. Aussi, sur le réseau matu, la fréquence de foyers de pourriture décolle dans la Côte des Bar à partir de fin août.
Les intempéries frappent à nouveau le vignoble en troisième semaine de vendanges, avec 50 à plus de 100 mm d’eau tombés la dernière semaine de septembre. Les températures plutôt fraîches empêchent un développement explosif de la pourriture.
L’estimation des dégâts, d’après les données de marqueurs analytiques tels que la concentration en glycérol ou le test immunologique sur bandelettes, mesurés sur la "cartographie des moûts" du Comité, atteint 5 %.
Les notations effectuées sur 94 parcelles du réseau de surveillance biologique du territoire (SBT) aboutissent à une expression faible des maladies du bois cette année.
Ils sont restés très discrets tout au long de la campagne. Aucun fait marquant.
la campagne viticole 2024 nous a habitués à faire face à des aléas constants et à être témoins de l’hétérogénéité du vignoble. La campagne de suivi de la maturation, qui a débuté mi-août, n’a pas été en reste.
Le réseau matu officiel reste presque stable entre 2023 et 2024 avec une légère augmentation du nombre de parcelles, de 629 à 636.
La distribution par cépage est légèrement déséquilibrée avec une sur-représentation du Meunier (33,5 %) et une sous-représentation du Chardonnay (29,4 %) par rapport à l’encépagement réel.
Sur la campagne 2024, ce sont 500 parcelles sur les 636 qui ont été prélevées au moins une fois. Une légère baisse est enregistrée par rapport à 2023, probablement due à l’impact de la campagne viticole sur les rendements.
En complément du réseau officiel, s’ajoutent les résultats du portail Matu collaboratif. En 2024, plus de 6 000 prélèvements complémentaires au réseau officiel ont été enregistrés, soit un total de 8 530 échantillons sur la campagne.
Depuis son lancement en 2020, le portail Matu collaboratif est en constante évolution. Depuis cette année, il permet de simuler des dates probables de récolte par parcelle, à partir des données de prélèvements préalablement saisies et de l’objectif de degré. De nouvelles fonctionnalités devraient encore voir le jour pour la vendange 2025.
Lors du premier prélèvement sur le réseau interne Comité Champagne le 12 août, certaines parcelles démarrent tout juste leur véraison. La situation sur l’ensemble du réseau, lancé le 19 août, est à peine plus avancée. Le TAVP moyen est de 4,3 % vol., l’acidité de 20,9 g H2SO4/L, avec de fortes disparités et un taux de véraison inférieur à 20 %. C’est surtout le Chardonnay qui étonne, avec un net retard, tant au niveau de la véraison (la date moyenne retenue de mi-véraison se situe au 1er septembre, 3 à 4 jours après les cépages noirs) que du TAVP moyen qui se situe 1,5 % vol. en dessous du Pinot noir et du Meunier.
La forte hétérogénéité intraparcellaireet même intragrappe, conséquence d’une floraison longue, joue sur l’évaluation de la véraison. On constate toutefois que le profil d’évolution de la véraison en 2024 diffère fortement de ceux des années passées, traduisant une entrée en phase de maturation plus tardive et étalée.
Passé ce cap, la dernière quinzaine d’août voit un rythme de maturation très important sur les trois cépages. Avec des précipitations importantes et régulières, l’état hydrique des sols n’entraîne aucune situation de stress. La vigne fonctionne bien et la dynamique de prise de degrés est excellente, autour de 0,24 par jour à partir du 19 août. La moyenne Champagne tous cépages confondus s’établit donc à 7,2 % vol. en date du 2 septembre. Le chargement en sucres est très bon et similaire à celui constaté en 2012 et en 2016, années où les rendements et la situation au vignoble, hétérogènes, étaient similaires à 2024.
Alors que des foyers de pourriture grise ont été signalés très tôt, dès la mi-juillet sur certaines parcelles, l’état sanitaire se maintient de manière générale à l’échelle de l’appellation tout au long de la maturation, à la faveur de conditions météorologiques plutôt fraîches et ensoleillées.
A partir de début septembre, on constate une inflexion dans le rythme de prise de degrés. Les poids de grappes progressent de manière significative. Au 2 septembre, le Chardonnay dépasse déjà sa moyenne décennale à récolte (140 g). Ajouté à un régime de pluies toujours fréquent et une durée du jour diminuant de presque 2 heures entre le 15 août et le 15 septembre, cela conduit à une augmentation des degrés plus lente. Pour autant, la maturation avance. La dynamique de chargement en sucre reste nette, tout particulièrement pour le Chardonnay ; seule la courbe du Meunier montre un fléchissement. Certaines dates de récolte ont été retardées pour permettre d’atteindre des degrés plus élevés, d’autant que les circuits de cueillette habituels ont été perturbés par l’hétérogénéité de la maturation.
Les décisions de dates de cueillette traduisent aussi l’important travail de concertation qui a été nécessaire dans un vignoble très hétérogène. Elles sont cohérentes au sein des secteurs et fournissent la marge de manœuvre indispensable aux secteurs précoces ou à l’état sanitaire fragilisé. Les cépages noirs commencent en moyenne au 15 septembre, sauf dans l’Aube où les premiers coups de sécateurs ont pu être donnés dès le 7 septembre. Le Chardonnay, plus en retard, sera coupé à partir du 17 septembre en moyenne. Ces dates témoignent aussi de l’ambition qualitative qui a été donnée, d’autant plus que dans de nombreux secteurs, les premiers coups de sécateurs ont été donnés 2 à 4 jours après les dates prévues initialement.
Alors que l’on estimait atteindre les équilibres aromatiques à 10 % vol. sur Meunier et 10,5 % vol. pour le Chardonnay et le Pinot noir aux dates annoncées, l’augmentation des poids de grappes et des phénomènes de dilution par les pluies ont permis de constater la disparition des arômes végétaux à des degrés plus bas (autour de 9,0 % vol. pour le Meunier, 9,5 % vol. pour le Pinot noir et le Chardonnay). Cela témoigne du bon fonctionnement de la maturation physiologique durant cette période.
Pour estimer la bascule aromatique, des dégustations de baies sont réalisées sur plusieurs parcelles du réseau interne Comité Champagne. Plusieurs paramètres sont évalués : l’écrasement de la baie, le caractère végétal, fruité et sucré de la pulpe, ainsi que celui de la pellicule. Ces critères sont notés sur une échelle de 0 à 10. A partir des données d’analyse sensorielle collectées ces dernières années, des seuils pour les descripteurs "fruité " et "végétal" ont été établis pour identifier la date de bascule aromatique. La moyenne des notes de fruité attribuées par les juges pour chaque parcelle doit dépasser 2,5, signe d’une perception "intense". À l’inverse, la note pour le végétal doit être inférieure à 1,5, ce qui signale une perception qui tend à disparaître.
Cette année, les toutes premières dégustations de baies de Chardonnay ont révélé un goût végétal très prononcé. Nous avons observé une bascule aromatique nette (le passage d’une aromatique évaluée par le panel de "majoritairement végétale" à "majoritairement fruitée") pour des TAVP compris entre 9,0 et 9,5 % vol. sur les parcelles de Chardonnay suivies dans le réseau du Comité.
A titre d’exemple, pour un même degré alcoolique équivalent à 8 % vol., on constate en 2024 une moindre valeur des descripteurs végétal, fruité et sucré par rapport à 2023. Cette réduction des arômes fruités et sucrés à ce stade s’est aussi accompagnée d’une moindre teneur en sucres dans les baies pour un même degré potentiel. Ce niveau était de 235 mg/baie en 2023, contre 154 mg/baie en 2024, la taille des grappes et des baies étant remarquablement importante en 2023.
La cartographie des moûts de 2024 confirme que le millésime a un beau potentiel, quand il a été préservé. Avec un cycle végétatif dont la longueur n’était plus dans nos habitudes (plus de 95 jours pour le Chardonnay), les équilibres sont intéressants, avec des niveaux d’acidité élevés par rapport au degré potentiel. Ces niveaux d’acidité sont liés à des niveaux importants d’acide malique, dont la réserve était importante en début de maturation.
La situation sanitaire s’est révélée globalement saine et peu altérée. Toutefois, les indicateurs frôlent la moyenne décennale, certains secteurs ou certaines parcelles ayant été fragilisés dès le début de la maturation.
Les moyennes traduisent mal l’hétérogénéité du vignoble lors de cette vendange. Elles résument cependant le fait que le meilleur parti a été tiré de chaque parcelle, durant 3 semaines de vendanges particulièrement contrastées. Les conditions météorologiques de la semaine du 14 au 21 septembre ont été salvatrices pour la vendange. Elles ont permis la cueillette de l’essentiel des volumes de l’appellation dans d’excellentes conditions. Les journées ensoleillées et les nuits fraîches ont permis au Chardonnay de réduire son retard de maturation. Paradoxalement, de mémoire de vendange pluvieuse, 2021 n’arrive pas à la cheville de 2024, seule 2001 présente des cumuls similaires mais répartis sur toute la durée de la vendange. Des cumuls de pluie records sont en effet tombés sur les parcelles les plus chargées, essentiellement les parcelles de Chardonnay, à partir du 23 septembre. Cela a pu entraîner des phénomènes de dilution des baies, la prise de degrés étant stoppée, mais aussi de dilution de la vendange, causée par des cueillettes sous la pluie.
Les pluies importantes de la 3e semaine de septembre auront eu raison d’une augmentation finale des degrés. Toutefois, l’essentiel de la vendange a été récolté dans d’excellentes conditions. La maturation s’est très bien déroulée d’un point de vue physiologique et 2024 confirme l’intérêt de pouvoir s’appuyer sur de multiples indicateurs (sucres, acidité, dégustation des baies, etc.) et sur la force des réseaux matu pour piloter au mieux les dates de cueillette et la qualité de la vendange sur l’ensemble du vignoble.
Cuvées | TAVP moyen | Acidité totale | pH | Acide malique | Glycérol | Acide gluconique |
^ | (% vol.) | (g H₂SO₄/l) | ^ | (g/L) | (g/L) | (g/L) |
Chardonnay (n = 110) | 9,65 | 7,45 | 3,04 | 6,36 | 0,11 | 0,03 |
Pinot noir (n = 95) | 9,59 | 7,75 | 3,03 | 7,00 | 0,20 | 0,14 |
Meunier (n = 92) | 9,75 | 7,60 | 3,03 | 6,64 | 0,16 | 0,14 |
Moyenne 2024 | 9,66 | 7,59 | 3,03 | 6,65 | 0,16 | 0,10 |
Moyenne décennale | 10,1 | 6,9 | 3,08 | 5,7 | 0,17 | 0,08 |
Résultats de la cartographie des moûts 2024 du Comité Champagne (297 échantillons). |
Le gel est venu impacter fortement les rendements du Barséquanais et du Bar-sur-Aubois alors que la campagne viticole n’avait pas encore commencé. Ailleurs, alors qu’au printemps la sortie de grappes était généreuse, les déboires de la campagne viticole 2024 auront eu raison d’une vendange volumineuse. Filage, fleur chaotique, grêle, mais surtout échaudage et mildiou, les rendements se sont dégradés jusque fin août. Avec des estimations rendues très compliquées, seul le poids des grappes sur Chardonnay a parfois apporté de bonnes surprises.
A l’échelle de l’appellation, l’épisode de gel de 2024 entraîne des dégâts légèrement supérieurs à la moyenne décennale : 9,2 % avec 5 631 hectares touchés, contre 8,3 % en moyenne. Mais ce chiffre cache une importante disparité, c’est essentiellement le vignoble du Barséquanais et du Bar-sur-Aubois qui a été touché, avec 30 % et 45 % respectivement. Le reste du vignoble est peu touché en apparence, mais on considère que les températures proches de zéro ont entraîné un filage important des grappes formées dans les bourgeons, principalement sur Chardonnay. En effet, alors que le nombre d’inflorescences était important, ces grappes potentielles n’ont pas été retrouvées lors des comptages du début de l’été.
Les comptages de grappes ont été effectués dès la fin de la floraison, et nous collectons cette année des données sur plus de 3 000 parcelles au total. Contrairement à 2023, ces comptages révèlent une grande variabilité de charge entre les cépages et les secteurs.
Du fait du gel, le nombre de grappes est hétérogène entre secteurs. Il est bien inférieur aux comptages 2023 avec plus de 2 grappes de moins en moyenne. C’est le Pinot noir qui est le plus impacté, avec une moyenne régionale largement diminuée par le gel en Côte des Bar. Lorsqu’il est possible de donner de premières estimations début juillet, l’inconnue est le poids moyen des grappes. En simulant un poids moyen des grappes à leur moyenne décennale, le rendement agronomique se situe aux alentours de 10 000 kg/ha. La question du poids moyen des grappes perturbe les estimations fin juillet et les correspondants AVC se heurtent à la forte hétérogénéité intra-parcellaire pour confirmer leurs chiffres avec certitude. Les rendements estimés se situent entre 4 000 et 12 000 kg/ha selon les secteurs.
- | Potentiel (grappes/m3 fourrières déduites (- 13 %) |
Chardonnay | 7,4 |
Pinot noir | 5,3 |
Meunier | 7,5 |
Moyenne (pondérée à la surface) | 7,0 |
Résultats de comptages de grappes sur plus de 3 000 parcelles (source : Réseau AVC). |
Avec une fleur perturbée par des épisodes de froid et de pluie, très chaotique et très longue, on pouvait craindre que les estimations du capteur à pollens soient peu fiables. Il n’en est rien et cet outil et les modèles associés confirment leur pertinence pour guider ou confirmer les estimations précoces de rendements.
La pression de mildiou s’est révélée élevée tout au long de la campagne viticole, avec des dégâts jusque mi-août. L’impact du champignon est venu dégrader le potentiel de récolte semaine après semaine et occasionner de mauvaises surprises à la veille des vendanges. Ainsi, les poids de grappes sur Pinot noir et sur Meunier sont décevants lors des contrôles maturation. Ils le seront d’autant plus à la récolte.
A l’inverse de 2023, les poids de grappes sont particulièrement hétérogènes. Le réseau maturité relève des parcelles à moins de 50 g par grappes et d’autres à plus de 200 g, variabilité typique des années à forts aléas.
A la vendange, les grappes de Pinot noir et de Meunier pèsent peu. Fortement impactées par l’échaudage par endroit, même des grappes de belle taille semblent creuses. Certaines caisses pèsent à peine 40 kg.
Alors que Pinot noir et Meunier montrent habituellement une croissance des poids de grappes durant la maturation de 35 % en moyenne ces vingt dernières années, cette évolution n’atteint que 27 et 30 % cette année. Cette croissance durant la maturation est supérieure pour le Chardonnay avec une moyenne de 45 %. Le Chardonnay de la Marne montre une augmentation moyenne des poids de grappes entre le 19 août et le 12 septembre de 43 %, dans la moyenne. Toutefois, les poids de départ étaient supérieurs à la moyenne décennale (+ 12 %), d’où des poids de grappes élevés à la récolte sur les parcelles de ce cépage cette année. A l’inverse, Pinot noir et Meunier débutaient la maturation avec des poids de grappes inférieurs à la moyenne (-12 et -15 %).
La forte hétérogénéité des rendements à toutes les échelles continue de compliquer son estimation. A la veille des vendanges, les comptages de grappes et le poids moyen des grappes pouvaient laisser espérer un rendement à 10 000 kg/ha, au niveau du rendement commercialisable. On sait aujourd’hui qu’il n’en sera rien et les déclarations de récolte devraient établir une moyenne plus basse. Les données des entrées en distillerie penchent pour une estimation entre 7 600 et 8 000 kg/ha à l’échelle de la Champagne, avec 68 000 tonnes d’aignes collectées. Pour le vignoble de l’Aube, très impacté par les aléas, cette estimation descend entre 3 000 et 3 300 kg/ha avec 6 700 tonnes d’aignes collectées. Quelques bonnes surprises sont à signaler en fin de vendange, essentiellement sur Chardonnay.
- | Rendement agronomique estimé mi-octobre (kg/ha) |
Meunier - Aisne | 8 000 à 10 000 |
Pinot noir - Côte des Bar | 3 000 à 3 500 |
Pinot noir - Marne | 8 000 à 10 000 |
Chardonnay - Marne | > 10 000 |
Meunier - Marne | 8 000 à 10 000 |
Moyenne | Vers 8 000 |
Estimation du rendement agronomique à la vendange (source AVC) |
Source Le Vigneron Champenois novembre 2024