La première reste celle de 1970 avec ses 800.000 pièces. Mais 1973 arrive tout de suite derrière. Dépassant largement le million et demi d’hectos, elle totalise 768.000 pièces champenoises de 205 litres.
C’est un très beau volume incontestablement. Il met un point final à une campagne qui n’a pas été tellement facile et qui, même, à certains points de vue, a fourni matière à étonnement.
II est vrai que la préparation d’une récolte est toujours un peu une aventure, comme le savent très bien les dizaines de milliers de personnes qui vivent en Champagne du produit du vignoble. L’aboutissement est toujours incertain, les rebondissements souvent imprévus. On dirait que la Nature ne veut jamais recommencer le même scénario.
II se trouve que cette année beaucoup n’attendaient au départ qu’une petite récolte : « La vigne a manqué d’eau et de chaleur en 1972 disaient-ils. Elle s’est épuisée à produire quand même 9.000 kilogs à l’hectare dans des conditions trop défavorables ».
Et pourtant, premier élément de surprise, la sortie des bourgeons a été assez belle dans l’ensemble. Puis mai s’est passé sans gelée matinale tandis que juin connaissait ensuite un temps exceptionnellement favorable pour la période délicate de la floraison. Dès lors de grands espoirs paraissaient permis.
De fait on a vu prendre forme des grappes nombreuses et surtout bien constituées, c’est-à-dire dotées d’une charpente qui laissait aux grains ; suffisamment d’espace pour prendre leur dimension maximum.
Alors survinrent les grandes chaleurs d’août et début septembre. Elles donnèrent lieu à quelques accidents ici et là. On vit des raisins "griller" et se mettre à dessécher. Mais le vignoble en général supporta admirablement ces conditions excessives, le plus singulier étant que les grappes continuaient à prendre du poids en dépit de la sécheresse.
Estimé à 610.000 pièces à la fin de juillet, le volume de la récolte était en effet évalué à 660.000 à la mi-septembre, cependant que le ciel restait encore désespérément vide de tout nuage.
Peu après venait enfin la pluie, brutalement et abondamment, à partir du 18 septembre. Une véritable petite mousson à notre échelle champenoise. Déjà importantes les grappes se mirent à gonfler à nouveau d’une façon spectaculaire.
La cueillette débuta sur ces entrefaites le vendredi 28 septembre.
L’encombrement des vendangeoirs, la lourdeur des paniers, le faible nombre de ces paniers pour la charge d’un pressoir, tout parut donner l’impression d’un débordement massif. Dans leur enthousiasme certains n’hésitaient pas à parler de 850.000 pièces.
Cependant on devait bientôt revenir à une plus juste appréciation des choses. Les prévisions du début de septembre étaient généralement dépassées de 15% à 20% mais ce n’était pas le raz-de-marée que l’on avait connu en 1970 avec 30% à 40% de cuidage.
La comparaison, à tous égards, laisse d’ailleurs un bon avantage à 1970 si l’on observe que le vignoble ne comptait alors que 17.800 hectares au lieu de 20.100 cette année. La moyenne dégagée ressortait à 13.900 kilogs à l’hectare alors qu’elle a été cette fois-ci de 11.600 kilogs.
Mais ces 11.600 kilogs suffisent largement à conserver à 1973 sur le plan du rendement la seconde place qui est déjà la sienne dans le classement en valeur absolue. Assez loin derrière se trouve 1960 avec 9.500 kilogs puis 1972 et 1963 ex-aequo avec 9.000 kilogs.
On prend ici la mesure des progrès accomplis dans la productivité de la vigne depuis une douzaine d’années, cela grâce à l’efficacité des traitements, l’utilisation des engrais et le rajeunissement des plantations. Va t-on enregistrer maintenant d’une façon courante des résultats supérieurs à 10.000 kilogs de moyenne ?
C’est assez probable mais cela ne veut pas dire pour autant que la progression des rendements ne trouvera pas très rapidement ses limites, si même elle ne les a pas déjà trouvées. Car il faut aussi tenir compte des exigences de la maturité.
Une dernière remarque enfin d’un ordre tout différent mais qui concerne encore cet aspect quantitatif de la récolte : la Champagne n’a connu cette fois-ci aucune difficulté notable pour pressurer, transporter et loger un volume aussi important. Les équipements existants ont été, il est vrai, considérablement renforcés depuis trois ans tant au vignoble et dans les coopératives que du côté des Maisons elles-mêmes.
C’est la main d’œuvre de vendanges, maintenant, qui aurait plutôt du mal à suivre. Il faut d’ailleurs s’attendre, semble-t-il, à des difficultés croissantes à ce sujet dans les années qui viennent.
Cette récolte promettait à la fois la quantité et la qualité et elle a effectivement réalisé ses promesses en ce qui concerne la quantité, en les dépassant même largement. Elle n’a par contre tenu qu’une partie de celles qu’on lui prêtait en ce qui concerne la qualité.
Ceci ne veut pas dire qu’il faille aller jusqu’à parler de déception. Car le résultat reste à cet égard beaucoup mieux qu’honorable. Tout simplement il ne justifie pas les superlatifs que l’on s’apprêtait à décerner à profusion un mois avant la cueillette des raisins.
Que s’est-il donc passé ?
Les spécialistes invoquent à ce sujet deux explications très naturelles dans tous les sens du mot.
D’abord ils constatent que l’été fut un peu trop chaud et surtout trop sec. Ces conditions excessives ont obligé la végétation à puiser dans ses réserves. Les ressources utilisées à se défendre lui ont manqué ensuite au moment du travail d’assimilation.
La seconde raison est le corollaire de la première : les pluies sont arrivées trop tard. Et puis leur intensité a été telle que leur effet n’a pas été aussi bienfaisant qu’il aurait dû l’être.
Une fois de plus il se confirme donc que la quantité de chaleur et la quantité d’eau ne suffisent pas. La bonne combinaison des deux éléments est au moins aussi importante. Or elle ne s’est pas réalisée d’une façon idéale cette fois-ci.
Cela étant il reste tout de même beaucoup de bien à dire des raisins de cette vendange. Il est incontestable que les grappes avaient belle allure et que les paniers étaient presque toujours impeccablement présentés, surtout après les tout premiers jours quand la pluie fit place à nouveau au soleil, un soleil qui devait ensuite tenir compagnie aux vendangeurs presque jusqu’à la fin de la cueillette.
Il était temps d’ailleurs que cette fin arrive, la menace d’une altération des raisins commençant in extremis à se préciser d’une façon inquiétante.
En fin de compte et étant donné les circonstances il apparaît que le niveau de maturité obtenu a été dans l’ensemble fort satisfaisant.
D’après les analyses effectuées tout au long de la vendange par les Services Techniques du C.I.V.C. les moûts obtenus accusaient pour la plupart une richesse alcoolique comprise entre 9 et 10 degrés, bien qu’il ait été fréquent de trouver des marcs dépassant les 10 degrés, même dans les chardonnays, qui ont d’ailleurs réalisé cette année une très belle prestation d’ensemble.
Quant à l’acidité elle évoluait autour de 7,5 grammes par litre, ce qui est une bonne moyenne.
Si l’on rapproche ces résultats concernant l’alcool et l’acidité on s’aperçoit qu’à l’évidence les produits de cette récolte possèdent une constitution assez bien équilibrée.
Dans ces conditions pourquoi donc ne pas penser que les vins à naître auront la finesse et l’élégance dont se réclament les meilleures cuvées champenoises ?
Sans affirmer que le 1973 pourra prendre place parmi les grandissimes bouteilles de ces cinquante dernières années il est permis d’assurer que s’ouvre à lui dès maintenant un avenir des plus prometteurs.
Ce sont ceux des 11.000 vignerons qui se sont obligés, par la signature donnée en 1967 ou depuis cette date, à vendre au Négoce dès la vendange tout ou partie de leur récolte.
Malgré les désengagements du mois de mai leurs apports représentent encore la production de 7.200 hectares de vignes.
Seuls ces apports constituent maintenant le marché soumis à une répartition entre les acheteurs.
Mais si la répartition voit ainsi son domaine se rétrécir rien n’a changé fondamentalement dans les mécanismes mis en œuvre jusqu’à cette année.
La seule innovation véritable - et son importance il est vrai n’est pas négligeable - concerne le calcul des bases d’approvisionnement des acheteurs : à la suite d’un accord entre Vignoble et Négoce il a été décidé en effet que les exportations compteraient pour 10 de plus dans le volume des sorties à remplacer.
Ce n’est pas tout à fait la première fois que des dispositions semblables sont prises puisqu’un avantage avait déjà été donné aux exportateurs dans les premières répartitions du lendemain de la guerre mais cette discrimination avait été abandonnée par la suite, sauf pour certains plafonds à déterminer en cours de campagne. Le fait de l’introduire à nouveau dans les attributions de raisins est sans aucun doute un signe à retenir.
Quant aux opérations elles-mêmes, le C.I.V.C. les a conduites comme à l’habitude en deux temps distincts :
- à la veille des vendanges mise en place d’une première tranche d’attributions aux acheteurs ;
- en cours de vendanges et en fonction des possibilités distribution d’un complément intitulé « deuxième tranche ».
La première tranche a représenté 192.000 pièces. Elle a permis de couvrir à 50 dès le départ les engagements réévalués comme il vient d’être dit en ce qui concerne le remplacement des exportations (1).
(1) Ne pas confondre engagements d’approvisionnement et remplacement des sorties. Dans l’ensemble les engagements d’approvisionnement des Maisons représentent 120 % du remplacement de leurs sorties de la campagne.
Pour la deuxième tranche l’ambition était d’arriver à couvrir les engagements d’approvisionnement à 62 % de leur volume, ce qui supposait que l’on puisse répartir à nouveau 55.000 pièces en cours de vendange.
Mais grâce au cuidage cet objectif a été assez largement dépassé.Finalement les 7.200 hectares engagés ont pu fournir au Négoce, les deux tranches additionnées, 268.000 pièces au total.
C’est un résultat satisfaisant en lui-même mais qui l’est davantage encore si l’on considère les conditions particulières dans lesquelles se déroulait cette année la répartition. Car on pouvait craindre que la présence d’un nouveau secteur d’approvisionnement hors répartition ne soit un facteur de désorganisation pour le marché demeuré organisé.
Or il faut reconnaître qu’il n’en a rien été. Tout s’est déroulé en bon ordre. Les liaisons habituelles ont bien fonctionné entre acheteurs, vendeurs, courtiers et C.I.V.C. Les vignerons engagés, il faut le dire aussi au passage, ont manifesté une grande fidélité à leurs engagements.
Quant au problème irritant des différences de situation entre pressoirs à la suite des désengagements il semble qu’il ait reçu les solutions souples souhaitées par tous. En fait le C.I.V.C. s’est toujours efforcé de donner priorité dans ses attributions aux courants commerciaux habituels.
Par contre on est bien obligé d’admettre que la physionomie d’ensemble de la répartition a été assez différente cette année au point de vue qualitatif de ce qu’elle était précédemment.
Ceci tient évidemment au fait que les désengagements du mois de mai ont affecté surtout les grands crus.
Ces changements s’inscrivent directement dans la proportion des achats effectués cette année par grandes régions dans le cadre de la répartition :
Grands crus de Blancs | 10 % |
Grands crus de Noirs | 26 % |
Moyens crus | 36 % |
Aisne et Aube | 28 % |
100 % |
Le glissement vers la partie basse de l’échelle a posé des problèmes aux Maisons acheteuses principalement dans les grands crus. Sans doute certaines ont-elles trouvé par ailleurs des compensations dans leurs propres récoltes ou dans des achats de raisins non engagés. Mais elles n’ont pu en général assurer confortablement le niveau de leurs attributions de raisins engagés qu’en acceptant de diversifier davantage leur approvisionnement et en se portant acheteuses dans des régions du vignoble où elles n’avaient, pas jusqu’ici leurs habitudes.
LE SECTEUR HORS REPARTITION
II s’agit cette fois des raisins non engagés, c’est-à-dire provenant de vignerons non signataires d’engagements ou d’engagés partiels désireux de vendre davantage que la quantité à laquelle ils étaient tenus.
En vertu de l’accord interprofessionnel du 5 avril 1973 les transactions sur ces raisins pouvaient donc s’effectuer hors répartition et à des prix convenus librement entre acheteurs et vendeurs.
Pour éviter des confusions avec les raisins qui restaient soumis par ailleurs à la répartition, il avait été convenu que le C.I.V.C. délivrerait aux acheteurs des bons d’enlèvement semblables aux autres mais surchargés d’une bande rouge.
Il avait été spécifié d’autre part que ces bons ne seraient remis par le C.I.V.C. que sur justification du contrat intervenu entre les parties. A cet effet des carnets à souches étaient à la disposition des intéressés. Le document constatant la transaction devait être établi en quatre exemplaires, dont l’un pour l’acheteur, le second pour le vendeur, le troisième pour le C.I.V.C. et le quatrième pour le courtier éventuel.
Mises à part quelques complications matérielles auxquelles des remèdes pourront être apportés par la suite, les opérations se sont également déroulées dans des conditions satisfaisantes sur ce marché tout nouveau des raisins non engagés.
Quant aux prix pratiqués ils sont généralement restés assez proches de ceux dont vont bénéficier les raisins engagés compte tenu de la prime qui leur sera versée au mois de mai prochain.
Précisons aussi que tous les négociants, en dehors de rares exceptions, ont acheté des raisins non engagés, quoique dans des proportions très variables évidemment. L’important demeure à ce sujet que le marché n’ait pas été accaparé par quelques-uns et que ceux qui voulaient en profiter aient pu y avoir accès sans difficultés.
L’éventail des vendeurs, de l’autre côté, a été également très large. On y a trouvé une représentation assez complète des différents crus et régions du Vignoble. Précisons que la proportion des grands crus de blancs, dans le volume total traité, a été de 25 %, celle des grands crus de noirs de 31%, celle des autres crus de la Marne de 28 %, celle des crus de l’Aisne et de l’Aube de 16 %.
Sur le résultat global, enfin, qui représente 41.000 pièces, il est bien difficile à vrai dire de porter un jugement catégorique. En général on s’accorde tout de même à penser qu’il aurait pu être un peu plus important compte tenu du volume de la récolte.
En mettant bout à bout toutes les sources d’approvisionnement du Négoce (achats de raisins engagés, achats de raisins non engagés et quantités récoltées dans les vignes appartenant aux Maisons elles-mêmes), on arrive à un total de 414.000 pièces, ce chiffre comprenant 9.000 de V.N.C.
Les seules rentrées à appellation couvrent à 110% les expéditions réalisées par le Négoce au cours des douze mois de référence, c’est-à-dire la période allant de juillet 1972 à juillet 1973.
Mais la proportion de 110 % est évidemment une moyenne. Les situations individuelles varient suivant les achats effectués au secteur libre et aussi suivant que les Maisons ont ou n’ont pas de vignoble propre, ce vignoble pouvant être lui-même plus ou moins important.
En fait les positions vont de 90 % des sorties pour les Maisons les moins favorisées à 155 % et même un peu plus pour celles qui sont les mieux placées.
L’an dernier, on s’en souvient, les sorties du Commerce n’avaient été couvertes en moyenne qu’à 93,4% en raisins à la vendange. Ce qui était tout de même mieux qu’en 1971 : 55 % seulement.
Et en 1970 ? Le Négoce avait rentré alors en raisins 324.000 pièces, ce qui n’est pas beaucoup plus que cette année, mais la récolte classée en appellation n’était que de 660.000 pièces au moment de la vendange. Néanmoins ces rentrées avaient couvert les sorties de l’époque à 147 % !
Pour revenir maintenant à 1973 on ne manquera pas de relever l’importance du volume que laisse à la Propriété l’approvisionnement réalisé par le Négoce. Il représente plus de 350.000 pièces.
Si l’on retire de ce chiffre ce qu’il faut pour remplacer les expéditions en bouteilles des récoltants (150.000 pièces), il reste quand même une marge importante que le vignoble utilisera d’abord pour augmenter son propre stock ; mais il est prêt aussi sans doute à en négocier une partie appréciable.
Les Maisons comptent bien sur cette ressource pour compléter dans les mois qui viennent leurs belles rentrées de la vendange.
Bulletin CIVC 4ème trimestre 1973 n° 107
Analyses réalisées par les Ingénieurs & Œnologues des services techniques de l’AVC - CIVC.