UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Vendanges, de 2001 à nos jours

2003 - Une suite d’épisodes inédits sur la Champagne

Les incidents débutent par une série de gelées (jusqu’à - 11 °C) du 7 au 11 avril qui ravagent près de 43 % du vignoble, notamment en chardonnay, cépage plus précoce, et en pinot noir. La faible remontre confirme les conséquences fâcheuses de cette catastrophe climatique. Une fois le froid tardif et excessif passé, c’est une période de forte chaleur, à partir de fin mai, puis de canicule qui s’installe avec malheureusement des conséquences irréversibles sur la vigne. Des orages de grêle s’abattent huit fois sur notre vignoble entre le 13 mai et le 3 juillet avec une puissance exceptionnelle le 10 juin. La grêle anéantit 650 hectares soit 2 % du vignoble. Comme si gelée et grêle ne suffisaient pas, les effets de la canicule se font sentir eux aussi, et août, entraînant avec elle le grillage des feuilles et des raisins notamment dans la côte des Bar. Une partie de la récolte disparaît sur ces pieds séchés par le soleil...

La vendange, pour ce qu’il en reste, avance à grands pas. Il faut abréger les congés d’été pour cueillir et bichonner les raisins dès le 21 août dans l’Aube et la Marne et le 25 août dans l’Aisne. Certains secteurs de l’Aube débutent même le 18. Historique !

La récolte se passe bien et rapidement sous un ciel plutôt ensoleillé en cette fin d’été, les raisins sont riches en sucre et en excellent état sanitaire. Le pressurage s’avère être plus difficile pour les chardonnays.
À noter que compte tenu des faibles rendements obtenus cette année, du fait des intempéries citées précédemment, de nombreux récoltants ont été amenés à cueillir des raisins de deuxième voire troisième génération de manière à compléter leur volume de récolte, déficitaire dans la plupart des secteurs.

Globalement, les moûts extraits ont un fort degré potentiel (10,6 % vol. en moyenne), une faible acidité totale (5,8g H2S04/l) et une tache souvent marquée, notamment sur les tailles.

La température élevée des moûts favorise le développement de la flore indigène et donc des départs spontanés en fermentation ; on remarque bien souvent une sensibilité des moûts à l’oxydation et des difficultés à floculer lors du débourbage.

LES ENSEIGNEMENTS OENOLOGIQUES DE 2003

Xavier Rinville et Michel Valade sont longuement revenus sur les enseignements à retenir d’une telle vendange lors de la dernière assemblée générale de l’AVC. Nous nous contenterons ici d’en rappeler succinctement le contenu.

Le premier enseignement est qu’en année déficitaire quantitativement et d’un bon niveau de maturité, le soin apporté au pressurage est, plus encore qu’en année normale, un élément déterminant pour la qualité des futurs vins.

Cette recommandation concerne à la fois la limitation de la durée d’attente des raisins sur les quais, le respect du rendement au pressurage, une conduite du pressurage et un fractionnement adaptés.

Avec l’outil de pressurage dont dispose à présent la Champagne, le respect scrupuleux de ces opérations est le premier et le meilleur atout pour limiter les risques encourus avec une telle vendange à savoir des moûts avec une acidité faible et une forte teneur en composés phénoliques, à l’origine de la tâche et support d’astringence dans les vins.

L’autre élément perturbateur en année précoce est la température qui gène le débourbage et favorise la prolifération des levures indigènes sur le matériel vinaire.

Le deuxième enseignement face à une telle situation est, que faute de disposer de moyens efficaces de refroidissement dans les centres de pressurage, la parade réside essentiellement dans une hygiène accrue de tout le matériel (caisses, pressoirs, citernes, etc...) et une meilleure protection par le sulfitage. Le recours à l’enzymage permet de raccourcir la durée et d’améliorer l’efficacité du débourbage.

Au moment de la vendange, les avis étaient plus partagés sur le comportement à tenir en matière d’acidification et de décoloration.

À l’exception de certaines situations exceptionnelles comme celles rencontrées dans l’Aube, notre position à ce jour, mais aussi celle de la majorité des œnologues et chefs de cave, est que l’acidification et la décoloration n’étaient pas justifiées sur les moûts de cuvées.

A l’issue des fermentations, la couleur résiduelle des vins non traités en fin de vinification est généralement faible sur des vins qui de surcroît ont été assemblés avec près de 50 % de vins de réserve.

L’acidité perçue sur les vins de cuvée 2003 en fin de vinification ne justifiait également pas les réacidifications excessives parfois réclamées et pratiquées dans la précipitation du début de vendange et après les informations alarmantes sur les premiers moûts rentrés.

Les tailles nécessitaient par contre un traitement approprié vu leur forte tâche et leurs faibles caractéristiques acides.
Le dernier enseignement un peu globalisateur est qu’en soignant les opérations de cueillette, de transport, de pressurage on peut, en cuvée, se dispenser de traitement correctif d’acidification ou de décoloration sur moût.

LES VINS ISSUS DE LA RECOLTE 2003

La fermentation alcoolique (FA)

Cette année encore, les fermentations alcooliques se sont achevées sans problème grâce à l’utilisation quasi systématique de levures sèches actives sélectionnées pour les moûts de Champagne. Quelques cas de départ en fermentation spontanée ont été observés comme toujours, notamment avec les transports en citerne et les températures élevées des moûts rentrés cette année. Heureusement la baisse de température en fin de vendange a limité ce phénomène.

Les vins contiennent moins de 0,8 gramme de sucres par litre dans la majorité des cas (0 à 1,6 maximum). Les degrés alcooliques avec chaptalisation vont de 10,6 à 11,8 % vol., avec une moyenne proche de 11,2 % vol.

Comparativement aux 11 années précédentes, l’acidité totale en 2003 des vins fin FA est de loin la plus faible pour tous les secteurs et cépages. La différence avec les autres années est encore plus marquée pour le pinot noir de l’Aube dont les acidités tartrique, et malique surtout, étaient déjà très faibles à la vendange.

Comme pour l’acidité totale, les pH se distinguent en 2003. Ils sont les plus élevés de ces 12 dernières années et de façon très significative. Les minima sont de 3,08 et les maxima de 3,35 pour les cuvées fin FA.

Globalement, la récolte 2003 bien mûre conduit à des vins peu acides avec des pH forts pour la Champagne.

La fermentation malolactique (FML)

La plupart des FML se sont parfaitement déroulées. Il faut dire que les conditions étaient plutôt favorables (pH élevé) et les teneurs en acide malique faibles d’où des durées de fermentation réduites, mais aussi et heureusement des augmentations limitées du pH.

A noter également des teneurs très faibles pour l’acidité volatile qui à l’issue des deux fermentations est seulement de 0,15g H2SO4/l en moyenne. Les cuveries avaient terminé leur « malo » fin octobre. Quelques fermentations malolactiques plus difficiles ont été observées sur les dernières cuves de la seconde récolte.

LES ASSEMBLAGES DU PRINTEMPS 2004

La récolte 2003 étant très particulière (faibles rendements, peu de chardonnay, cueillette avec tries successives), les assemblages réalisés en 2004 le sont aussi. En effet, il a fallu « jongler » entre le manque de cuvées de chardonnays, la présence de tailles relativement marquées, des vins issus de raisins de deuxième génération (qualitatifs tout de même) et la nécessité d’incorporer une grande quantité de vins de réserve.

Nous rendons hommage là encore au savoir-faire des techniciens, œnologues et chefs de cave qui savent, avec talent, tirer le meilleur lors de la réalisation des assemblages et assurer ainsi une continuité dans les cuvées de brut non millésimé.

Cette année, très peu de vinificateurs ont élaboré des assemblages millésimés, ce qui signifie que les champagnes « 2003 » seront rares sur le marché dans les années à venir.

Les moûts de 2003 se différenciaient de ceux des millésimes antérieurs par leur faible acidité.

La vinification, l’assemblage avec des vins de réserve et parfois quelques corrections d’acidification ont un peu atténué ces écarts au niveau des vins.
Les assemblages 2003 demeurent néanmoins les moins acides de ces dix dernières années.

APPRECIATIONS SENSORIELLES

L’année 2003 très particulière et accidentée a conduit à une vendange précoce, très mûre et hétérogène entre secteurs. Globalement les vins semblent relativement mûrs et sensibles à l’oxydation.

Le Chardonnay

De façon très exceptionnelle, les chefs de cave ne font pas l’apologie des vins issus de chardonnay. En effet, la succession d’incidents climatiques les a touchés de plein fouet et leurs faibles rendements ont eu du mal à encaisser la maturation galopante liée à un ensoleillement et une chaleur exceptionnels en fin de cycle.

Les vins semblent très mûrs dès le stade vin de base. Ils sont riches et généreux, mais souples, gras avec une vivacité plus faible qu’à l’accoutumée.
Même si leurs nez sont francs (quetsches), fleurs blanches, anis, fruits exotiques, les chardonnays sont peu expressifs et n’ont ni l’ampleur, ni le potentiel des vins issus de blancs auxquels nous sommes habitués. Le secteur du sézannais donne des vins encore plus matures.

Le pinot noir

Les vignes de pinot noir ont donné des vins riches et amples, harmonieux et équilibrés, dans lesquels se mêlent des arômes de fruits jaunes, blancs et rouges, minéraux et épicés.

Un certain nombre de vins présente cependant des caractéristiques d’évolution assez marquées à ce stade avec des nez de fruits confits, de confiture et des notes beurrées.
Pour la grande majorité, ces vins ne semblent pas destinés à une longue garde et ont servi de base aux assemblages de brut sans année.

A noter que la maturité des vins issus des pinots noirs de l’Aube est encore plus marquée. Leurs arômes sont plus lourds avec des notes confiturées, fumées et des teintes plus rosées (tachées) voire tuilées. Des vins qui devront plutôt être destinés à une commercialisation rapide.

Le meunier

Les vins issus du cépage meunier constituent les plus belles réalisations de l’année 2003 !
Ils sont charmeurs et moins marqués par la maturité que les autres cépages. Très portés sur les fruits rouges et blancs, ces vins gourmands sont à la fois ronds et frais, avec une structure et un équilibre exceptionnels. On leur accorde de belles potentialités parfois dignes de figurer dans les cuvées de longue garde, notamment pour les meuniers de la Marne.

Conclusion

Une année 2003 bien compliquée pour les viticulteurs et les vinificateurs...
Mais malgré toutes les difficultés rencontrées, la Champagne a réussi à élaborer des vins de bonne facture, notamment en meunier. Les assemblages réalisés en incorporant plus de vins de réserve qu’à l’accoutumée (pour combler le déficit quantitatif) notamment en chardonnay, devraient bientôt donner naissance à une belle gamme de champagnes...
Certains établissements ont eu la curiosité de réaliser des cuvées millésimées. Les informations sur le devenir de ces vins seront précieuses pour l’avenir car 2003 reste une année complètement atypique et sans comparaison possible avec des millésimes antérieurs.

Extrait Le Vigneron Champenois – n° 8 – septembre 2004
Analyses réalisées par les Ingénieurs & Œnologues des services techniques de l’AVC - CIVC.