UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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J.-B. A. Mennesson

Littérature du vin et de la table (1806)

L’OBSERVATEUR RURAL DE LA MARNE

Vous voulez, mon cher ami, que je vous offre le riant tableau des bords de la Marne, [...] et que je vous fasse jouir en quelque sorte, sans sortir de votre cabinet,
Et de cette montagne,
Et de ces lieux fameux,
D’où coule le champagne,
D’où jaillit le mousseux. [...]

Toute l’Europe connaît ces vins précieux, ces vins pleins d’agrément et de délicatesse, appelés "vins de rivière", célébrés si souvent par les Muses, et que Voltaire a chantés. [...]

Ces vins délicieux tiennent sans contredit le premier rang entre les vins de Champagne.

Les jeunes gens et les femmes (naturellement amis de la gaîté) préfèrent

le Champagne : le Français d’un âge mûr au contraire, les vieillards et les valétudinaires préfèrent le Bourgogne. L’Anglais qui a plus besoin qu’un

autre d’une boisson légère et coulante, regarde le Champagne comme le premier de nos vins ; il le considère comme un spécifique contre le spleen

et la "goutte", et il est certain qu’il y a plus de saillie, d’esprit et de gaîté dans une bouteille de mousseux que dans tout une cuve de Bourgogne.

Le Champagne est sémillant ; il a une saveur piquante qui flatte et qui réjouit, il chasse la mélancolie, délie la langue et provoque la saillie ; il

inspire une aimable folie, il anime la conversation ; il est admirable dans un festin ; l’impression en est vive et pourtant délicieuse, mais bientôt évanouie ; l’effet en est prompt, mais il passe rapidement ; c’est un éclair, c’est l’étincelle du fluide électrique.

Le pétillant champagne, en égayant nos sens, Ranime de nos corps les ressorts languissans.

M. Chaptal est tombé dans une erreur grave au sujet des vignobles de la Marne, lorsqu’il avance dans son excellent "Essai sur le vin", « qu’on redoute dans ce pays une vendange composée de raisins parfaitement mûrs, et qu’en général le vin n’est mousseux et piquant que lorsqu’on travaille des raisins qui n’ont pas acquis une maturité entière. » C’est précisément tout le contraire 1, car dans ces vignobles on choisit toujours pour faire les vins blancs et mousseux ce qu’il y a de plus beau, de plus mûr dans toute la vendange, et les cantons qui fournissent ces vins précieux sont connus pour être les meilleurs et les mieux exposés de la Champagne.

L’habitant des vignobles est en général d’un caractère franc, ouvert et obligeant. II a plus d’énergie et de vivacité que les autres Champenois. Naturellement gai, mais brusque et pétillant comme le vin que son sol natal lui fournit et dont il abuse quelquefois, il fermente et s’apaise avec la même promptitude.

1806
1. Au XVIIIe siècle, et même encore au XIXe, pour que les vins moussent plus facilement certains préféraient cueilir les raisins avant complète maturité (voir p. 719 ce que Godinot dit de "la verdeur des vins’). Chaptal navait pas tout A fait tort.