CES MESSIEURS DU CHAMPAGNE
Philippe Clicquot, banquier et marchand de laines [...] fonda la maison le 20 septembre 1772 ayant reçu de sa femme, en dot, 8 hectares de vignes du côté de Bouzy et Verzenay. Faisant du vin, il le vendit comme on vendait alors le champagne, à l’étranger et à des amis. [...]
De 1 700 bouteilles vendues en 1798, François Clicquot fait passer ses ventes à 24 000 bouteilles en 1802. Son père décide alors de se retirer de toutes ses affaires [...] pour les laisser mener à son fils. [...J En 1806, [...] à 30 ans, il meurt d’une méchante fièvre en deux semaines. Il ne reste, décide tristement son père, qu’à fermer la maison. [...] II a simplement oublié de consulter la femme de son fils, Nicole Barbe née Ponsardin, 27 ans passés. [...] Elle informe tout à trac son beau-père que c’est elle qui va reprendre et mener l’affaire.
Madame Pommery [...] réussit à convaincre un descendant des Ruinart de lui céder une partie des crayères gallo-romaines qu’il possédait sur la butte Saint-Nicaise. Elle entreprit d’en faire de solides caves en creusant des galeries, mais également une oeuvre d’art que ses clients seraient flattés de visiter. Elle s’offrit, sur 18 kilomètres de long, des voûtes romanes et gothiques et confia à un sculpteur local, Navlet, le soin de sculpter des bas-reliefs à même la craie. [...] Elle offrit enfin à ses caves un monumental escalier de 116 marches.
Il restait miraculeusement dans son vignoble deux parcelles de vigne épargnées par le phylloxera à Ay et à Bouzy, qu’on continuait par tradition de cultiver [...] à l’ancienne. En 1969, Madame Bollinger accepta l’idée d’en faire une cuvée spéciale, pour son parfum de passé et pour quelques amis et clients restaurateurs. La cuvée spéciale des Vieilles Vignes Françaises, tout en blanc de noirs, est plus vin de musée que champagne1 .
1. "La cuvée s’est révélée être de même nature que le champagne classique de la maison. On peut donc affirmer que le greffage de la vigne française sur plants américains a assuré la continuité de la qualité du vin." (F. Bonal - "Le Livre d’or du champagne").
RUINART PÈRE ET FILS
Ruinart est aujourd’hui la Maison de champagne la plus ancienne. Acte fait foi sur parchemin : « Au nom de Dieu et de la Sainte Vierge », le 1er septembre 1729 la maison Ruinart vendait son premier champagne.
Le grand homme qui redonna l’élan à la marque et même à toute la Champagne, s’appelait Robert-Jean de Vogüé. [...]
Sa maison lui doit [...] l’idée des bouteilles extraordinaires que reprendront la plupart des autres marques. [...] Moët & Chandon racheta la marque "Dom Pérignon" à Mercier (qui a depuis rejoint le groupe Moët & Chandon) et lança, après la guerre, les cuvées exceptionnelles Dom Pérignon.
II faut que Frère Oudart, simple convers, ait eu bien des mérites pour que la hiérarchie religieuse ait accepté de l’enterrer le 12 mai 1742 dans l’église paroissiale de Pierry. [...] Alors, que faisait donc Frère Jean Oudart à l’époque ? Du vin de Champagne. [...] A Pierry, [...] Frère Oudart [...] était cellerier pour l’abbaye de Châlons.
Quand Pierre Taittinger a racheté le château de la Marquetterie [...], il a eu Frère Oudart en prime. C’est en effet à l’abbaye de Saint-Pierre à Châlons qu’appartenait jadis le domaine.
Paul Krug est toujours là, décidant des cuvées avec ses deux fils, Henri et Rémi, [...] tous apprenant dès leur naissance comment on fait du Krug, ce champagne de fanatiques qui ne ressemble à aucun autre.
On dit de lui qu’avec son corps, sa rigueur, sa charpente, c’est plus un vin qu’un champagne. Il n’a pas la bulle parisienne. Il est d’un élitisme austère. Il ne sort jamais avant sept ans d’âge, il se refuse aux cuves en inox, [...]. Lui reste en fût de chêne, est soutiré à la main dans des bassines de cuivre et demande six semaines de travail artisanal.
S’il y a une bouteille spéciale, le Cristal Roederer, dans la maison, ce n’est pas pour copier le Dom Pérignon, c’était parce que le Czar l’avait exigé en 1876.
En ce temps-là, [...] le Czar envoyait son sommelier chaque année en Champagne voir comment était la cuvée Roederer. C’est donc lui qui s’étonna qu’on ne fit pas une bouteille spéciale pour un si illustre et si fidèle client. Alors Louis Roederer II fit faire une bouteille pour le Czar de même forme mais transparente et capable, par son épaisseur, de mieux supporter le voyage. C’est que 80 % du marché Roederer, qui produisait alors 2 500 000 bouteilles [...], était russe.
L’époque était belle, elle savait boire et les caves Pol Roger étaient pleines. [...] En pleine nuit, en ce mois de mars 1900, quand Maurice Pol Roger entendit une sourde explosion, il se dit qu’il devait avoir eu un accident de chemin de fer pas loin. Et il se rendormit. Deux ou trois heures plus tard, une deuxième explosion, plus un franc bruit de catastrophe, le tiraient de son lit. Plus de doute, cela venait de chez lui. A la place des caves, il y avait un curieux cratère et, dessous, pour quatre millions de fûts et bouteilles enterrés à jamais. [...]
Jacques Pol-Roger avait épousé l’arrière-petite-fille de Richard Wallace, et Winston Churchill éprouvait, dit-on, autant d’admiration pour sa beauté que pour son champagne. Chaque Maison de champagne a un grand homme de l’histoire dans ses amitiés. Chez Pol Roger, c’est Winston Churchill (quand il mourut, on ajouta un liseré noir aux étiquettes en signe de deuil).
Chez Lanson Père et Fils, on aime bien citer la philosophie familiale : « Nous, on fait du vin, on produit du champagne et on vend ce qu’on ne peut pas boire. » [...] On a toujours appris aux fils à boire les vins, et pas seulement le champagne, à la table familiale et dès l’âge du collège. On leur a appris le goût du champagne classique, celui que l’on peut boire légèrement en toute occasion et en tout pays. On n’y favorise pas l’exceptionnel, le millésimé, mais le Lanson tout simple, le "black label" que l’on veut parfait.
Charles-Camille Heidseick fonda [...] "Charles Heidseick" en 1851 et, dès 1852, prit la route des Etats-Unis, car le marché russe était déjà encombré. Il fit ainsi quatre voyages [...] avec tant de panache que partout où il passait on ne voulait plus boire que du Heidseick, un champagne qui avait sûrement les vertus de ce jeune homme séduisant, fin chasseur et aventureux. Le quatrième voyage le dégoûta de l’Amérique. Il s’était hâté de partir dès qu’il avait appris les débuts de la Guerre de Sécession. [...] Il fut arrêté et enfermé au fort Jackson où il devait chaque jour se défendre à coups de cailloux contre les caïmans. Delà, on le transféra au fort Pickens, qui était tout aussi malsain. Ce n’est qu’après des mois d’intervention de l’ambassade de France que [...] Charles-Camille reprit le bateau.
PIPER-HEIDSEICK
Pendant la guerre de 1940, [...] le marquis Suarez d’Aulan [...], de façon louable et intrépide, [...] avait transformé secrètement les caves en dépôt d’armes parachutées par les Alliés. La Gestapo l’apprit et fit une descente. Le marquis n’était déjà plus là. Il passa la frontière d’Espagne, fut emprisonné par Franco, s’évada, gagna l’Algérie, s’engagea dans la fameuse escadrille Lafayette et finit aux commandes de son avion au-dessus de Mulhouse en 1944.
En 1969, fouillant au fond d’un placard, un caviste de la maison exhuma une étrange bouteille émaillée de fleurs en arabesque. On s’aperçut qu’elle était signée d’un artiste verrier de 1900 qui redevenait à la mode : Gallé. On décida de rendre la bouteille à son champagne, le plus dur étant de retrouver un atelier de maître-verrier connaissant encore les secrets de ce procédé de vitrification à 600°. Il en restait un seul en France. IL se remit à faire la bouteille Belle Epoque pour laquelle Perrier-Jouët réserva son meilleur champagne.
G.H. MUMM & C°
Monsieur René Lalou [...] fit de la maison et de son Cordon Rouge un succès mondial, modernisant les caves, étendant les marchés, [...1 René Lalou à qui Mumm a dédié une cuvée spéciale et qui fit construire près de ses caves une chapelle décorée par son ami Foujita.
1977
Le Vin de Champagne
Ouvrage collectif