UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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Maurice Healy

Littérature du vin et de la table (1939)

STAY ME WITH FLAGONS

L’auteur raconte une anecdote dont il a été le témoin dans les années 1900. A Cork la nouvelle vient de se répandre que la G. Hilton st. Just Grand Opera Company va y jouer pendant trois semaines, Mr. St Just tenant lui-même les parties de ténor.

La ville bourdonna avec l’excitation d’une agréable anticipation. Nous apprîmes avec joie que notre excellent Lord-Maire, M. Augustine Roche, lui-même soutien enthousiaste de la musique et des arts, avait décidé de leur offrir un accueil municipal ; et, comme M. Roche était marchand de vins dans la vie privée, nous étions certains que la compagnie serait bien reçue. Nos supputations n’étaient pas erronées. La réception eut lieu à 6 heures du soir, et la représentation de "La Traviata" commença à 8 heures. J’avais réservé une bonne place, et tandis que j’attendais que débute l’ouverture, je pouvais entendre que l’hospitalité du Lord-Maire s’était transportée sur la scène ; les bouchons sautaient par intermittence, mais fréquemment. [...]
Le rideau se leva sur les festivités du 1er acte. Les comédiens étaient en costume du dix-huitième siècle ; mais les serveurs de M. Roche apportaient une note moderne, et continuaient à déboucher les bouteilles de champagne, avec une assiduité et une générosité telles que je fus envahi de sinistres présages. La chanson à boire1 ne fut jamais rendue avec plus d’enthousiasme ; les choristes diffusaient partout le champagne et les chefs de pupitres chantaient avec le choeur. [...]
Le vin effervescent emmena la compagnie à travers le 1er acte avec un formidable élan ; mais quand le rideau se leva pour le 2me acte, il devint bientôt évident qu’il y avait quelque chose de pourri au royaume de Danemark.

Les acteurs se tirent assez mal de leurs rôles et les spectateurs protestent sans que cela les émeuve le moins du monde.

L’opéra finit triomphalement, les accents musicaux du finale "O Violetta !" de Mr. St Just dégénérant magnifiquement en sanglots hystériques. Jamais le champagne n’avait remporté un plus agréable triomphe. Et connaissant mon Gussie Roche, ce n’était pas un simple vin sans année qui avait été offert ; c’était probablement le millésime 1900 et d’une marque de premier ordre.

L’auteur évoque les champagnes produits pendant la première guerre mondiale.

Trois millésimes furent expédiés, 1914, 1915 et 1917 ; pour chacun d’eux, les grappes durent être récoltées sous les obus et les vins mûris, au moins en ce qui concerne Reims, sous un bombardement perpétuel. J’ai un jour suggéré que les hôteliers continuent à mentionner ces vins sur leurs cartes, même quand dans leurs caves les casiers correspondants sont vides, et même de les y faire figurer avec l’année entourée d’une petite couronne de lauriers ; car jamais vins ne furent aussi vaillamment produits.

L’auteur passe en revue les caractéristiques du champagne.

Le champagne doit être traité sérieusement et comme un grand vin, ce qu’il est. Il est aussi de tous les vins celui qui a le meilleur caractère ; il ne demande pas à être dorloté et il ne se ressent pas des mauvais traitements. Envoyez une caisse au Pôle Nord, puis au Sahara ; renvoyez-la à Londres, en terminant le voyage dans les plus mauvaises conditions ; mettez le champagne une demi-heure au réfrigérateur, et versé dans votre verre il sera, non pas, naturellement, au meilleur de sa condition, mais clair et parfumé, et tout à fait agréable à boire. Aucun autre vin ne peut le faire. Un homme fatigué ne peut trouver meilleur remontant ; un homme assoiffé désaltérant mieux venu. [...] Il a un effet tonique sur le cerveau plus rapide que celui de tout autre jus de la grappe ; et s’il peut arriver au champagne de devenir plat, tel ne peut jamais être le cas d’un dîner au champagne.

1939
Traduit de l’anglais.
1. Scène II de "La Traviata" ; que Verdi a placée sous le signe du champagne puisque c’est la coupe à la main que Germont chante : « Libiam nei lieti calici. »