UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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Noël Antoine Pluche

Littérature générale (1736)

LE SPECTACLE DE LA NATURE
OU
ENTRETIENS SUR LES PARTICULARITÉS DE
L’HISTOIRE NATURELLE
Qui ont paru les plus propres à rendre
les jeunes gens curieux, & à leur former l’esprit.
ENTRETIEN XI

Mélange
Le Comte. [...] J’ai des vignes de différentes qualités. L’une, située dans une terre extrêmement légère & pierreuse, donne un vin qui a beaucoup de finesse & d’odeur : une autre, placée dans un fond plus nourissant, donne un vin qui a plus de corps. Si je veux réunir ces bonnes qualités en un même vin, & perfectionner l’un par l’autre, je puis le faire, ou à la vigne par le mélange des raisins de ces différents cantons, ou à la cave par le mélange des différents vins que j’en aurai exprimés. [...] Ce que je dis a été justifié par une longue expérience : et c’est la connoissance du bon effet que produisent les raisins de trois ou quatre vignes de différentes qualités qui a porté à la perfection les fameux vins de Silleri, d’Aï et d’Hautvilliers. Aussi faut-il convenir que tous les différens agrémens qui peuvent flatter la langue semblent s’y être réunis.
Le Pere Pérignon, réligieux Bénédictin d’Hautvilliers sur la Marne, est le premier qui se soit appliqué avec succès à assortir ainsi les raisins de différentes vignes. Avant que cette méthode se fût répandue, on ne parloit que du vin de Pérignon, ou d’Hautvilliers.
Le Chevalier. Hier en lisant le festin de Despréaux, je trouvai tous les noms dont Monsieur vient de parler, dans l’explication de l’ordre des côteaux, qui étoit, dit le commentateur, une compagnie de gens de plaisir pargagés sur le mérite des vins qu’on recueille sur les côteaux des environs de Reims. Je voulus ensuite voir sur la carte les noms de Pérignon, de Silleri, d’Hautvilliers, d’Aï, de Taissi, de Verzenai, de S.Thieri, dont il est parlé dans la note : mais j’avois beau chercher Pérignon sur la carte avant que de l’y trouver.
La Comtesse. Le faiseur de notes a pris un homme pour une montagne c’est une bagatelle. [...]
Vin mousseux
Le Comte. En le tirant vers la fin de mars, lorsque la sève commence à monter à la vigne, on parvient communément à rendre le vin mousseux, en sorte qu’il blanchisse comme du lait jusqu’au fond du verre au moment qu’on le verse. On réussit encore quelquefois à faire du vin mousseux, en le tirant durant la sève d’août. [...] Mais cette mousse, qui est du goût de quelques personnes, paroît aux connaisseurs une chose étrangère à la bonté du vin ; puisque le vin le plus verd peut mousser, & que le plus parfait très-ordinairement ne mousse point. [..]
Parallele du vin de Bourgogne et du vin de Champagne
Le Prieur. [...] J’ai toujours cru qu’il en étoit du vin de Bourgogne, comme du bon esprit, dont l’impression est moins vive, mais dont on ne se lasse point ; & que le vin de Champagne ressembloit au bel esprit, qui brille & qui réjouit davantage ; mais qui n’est pas toujours de service.

Le Comte. Permettez-moi de ne pas admettre votre comparaison. Si vous la faisiez entre la mousse de quelques vins de Champagne, & les saillies du bel esprit, je la trouverois juste. II y auroit des choses assez plaisantes à dire sur ce pétillement sans fond & sans solidité.

1736