UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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Joris-Karl Huysmans

Littérature générale (1884)

À REBOURS

Texte de l’édition originale, Charpentier, 1884 — 1884
Romanciers réalistes et naturalistes

11 — p. 205

A la Bodéga, cave à vins parisienne.
Une sorte de commodore américain, boulot et trapu, les chairs boucanées et le nez en bulle, s’endormait, regardant, un cigare planté dans le trou velu de sa bouche, des cadres pendus aux murs renfermant des annonces de vins de Champagne, les marques de Perrier et de Roederer, d’Heidsieck et de Mumm, et une tête encapuchonnée de moine, avec le nom écrit en caractères gothiques de Dom Pérignon, à Reims.
Un certain amollissement enveloppa des Esseintes dans cette atmosphère de corps de garde ; étourdi par les bavardages des Anglais causant entre eux, il rêvassait, évoquant devant la pourpre des porto remplissant les verres, les créatures de Dickens qui aiment tant à les boire, peuplant imaginairement la cave de personnages nouveaux, voyant ici, les cheveux blancs et le teint enflammé de Monsieur Wickfield ; là, la mine flegmatique et rusée et l’oeil implacable de Monsieur Tulkinghorn, le funèbre avoué de Bleak-house. Positivement, tous se détachaient de sa mémoire, s’installaient, dans la Bodéga, avec leurs faits et leurs gestes ; ses souvenirs, ravivés par de récentes lectures, atteignaient une précision inouïe. La ville du romancier, la maison bien éclairée, bien chauffée, bien servie, bien close, les bouteilles lentement versées par la petite Dorrit, par Dora Copperfield, par la soeur de Tom Pinch, lui apparurent naviguant ainsi qu’une arche tiède, dans un déluge de fange et de suie. Il s’acagnarda dans ce Londres fictif, heureux d’être à l’abri, écoutant naviguer sur la Tamise les remorqueurs qui poussaient de sinistres hurlements, derrière les Tuileries, près du pont.

 

Autre référence : 1884, Fasquelle, 1907, p. 176