LES VIVEURS DE PARIS
La salle à manger d’Albine était une charmante chose. [...] Six candélabres d’argent, supportant chacun huit bougies allumées, répandaient dans l’appartement une clarté diurnale. [...] Le vin de Champagne, décoiffé de ses bouchons argentés, achevait de se frapper de glace dans des rafraîchissoirs ciselés. [...]
Cependant les heures s’écoulaient. [...] Maxime versait du vin de Champagne à Albine. Blandine remplissait à la fois son verre et celui de René. Tous trois buvaient à qui mieux mieux. [...] René [...] pétillait comme une allumette entre deux feux et il s’abandonnait de plus en plus à la double ivresse du plaisir et du vin de Champagne.
Mais, peu à peu, ses lèvres s’alourdirent, ses yeux se fermèrent à demi. Il essaya de lutter, ce fut vainement. [...] Sa tête se pencha et il s’endormit sur la table. [...]
- Soyez indulgentes, dit Maxime, c’est son premier souper !...
- Et puis il est si jeune !..., appuya Albine d’un ton de bonhomie. Il n’avait pas encore vu le feu, ce pauvre enfant...
Mais il l’a vu maintenant, répliqua Blondine, son apprentissage est fait !...
Et la folle jeune fille, grimpant sur une chaise, et saisissant son verre, encore à moitié plein de vin de Champagne, en laissa tomber quelques gouttes sur la jolie tête de René, en s’écriant d’un ton solennel et avec un geste comique
- René de Savenay, je te baptise viveur !
1856