UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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Anton Pavlovitch Tchekhov

Littérature générale (1883)

RÉCIT AUQUEL IL EST DIFFICILE
DE DONNER UN TITRE

Au moment du champagne [...] il dit

- Camarades ! [...] Jetez un regard autour de vous ! Que voyons-nous ? [...] Ce n’est partout que filouteries... vols... pillages... concussion. [...] Que de martyrs !... Plaignons-les, pleu... pleurons-les (L’orateur commença à se tirer les larmes des yeux). Nous allons pleurer et boire à...

A cet instant, la porte grinça. Quelqu’un entra. [...] Nous vîmes un petit homme avec un crâne tout chauve, et un sourire protecteur sur les lèvres. Nous le connaissions parfaitement. [...]

- [...] Nous allons pleurer et boire, continua l’orateur qui avait élevé la voix [...], à la santé de notre directeur, de notre défenseur, de notre bienfaiteur : Ivan Prokhoritch !

- Hourrah, reprirent vingt gosiers à tue-tête, et le champagne, en un flot moelleux, coula dans tous les vingt gosiers.

Traduit du russe.
OEuvres de 1883

MARTYRS

u A l’entracte, j’ai bu une citronnade froide, horriblement froide, avec une larme de cognac... La citronnade au cognac ressemble beaucoup au champagne 1. »

BRAVES GENS

Un jour, en rentrant du journal, Liadovski trouva sa sueur en larmes. [...] II se mit à genoux, couvrant de baisers sa tête, ses mains, ses épaules... Elle fit un sourire, un sourire indéfinissable, amer, mais Liadovski [...] prit une revue sur la table et dit avec feu

- Hourra ! Vivons comme par le passé, Vera ! [...] Le beau petit machin

que j’ai mis de côté à ton intention ! Vera, que nous le lisions ensemble en guise de champagne de réconciliation !

1. La narratrice n’avait apparemment jamais bu de champagne

LE CHAMPAGNE

RÉFLEXIONS INSPIRÉES

PAR L’IVRESSE DU PREMIER DE L’AN

Ne vous fiez pas au champagne... Il a les feux pétillants du diamant, la limpidité d’un ruisseau des bois, la suavité du nectar ; on le prise plus cher que le labeur du travailleur, le chant du poète, le baiser d’une femme, mais... gardez-vous du champagne ! Le champagne, c’est une cocotte resplendissante qui mêle à sa séduction le mensonge et l’impudence de Gomorrhe, c’est un cercueil doré, plein d’ossements et d’impuretés de toutes sortes. L’homme ne le boit qu’aux heures de chagrin, de tristesse et d’illusion optique.

Il le boit quand il est riche, gavé, c’est-à-dire quand il lui est aussi difficile de se montrer à la lumière qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille.

Il est le vin des caissiers-voleurs, des Alphonses, des fils à papa, des cocottes... Où règnent orgie, débauche, filouterie, où triomphe la combine, commencez par chercher le champagne. On se l’offre non pas avec le prix du travail, mais avec un argent facile, superflu, tombé du ciel...

Quand une femme s’engage sur la pente savonnée, elle commence toujours par boire du champagne, parce qu’il siffle comme le serpent qui tenta Eve !

On le boit aux fiançailles et aux noces, quand, en échange de deux ou trois illusions, on se charge de lourdes chaînes pour toute sa vie.

On le boit aux jubilés, étendu de flatteries et de discours acqueux, à la santé d’un jubilaire qui a déjà d’ordinaire un pied dans la tombe.

A votre mort, ce sont vos parents qui le boivent dans la joie de l’héritage.

On le boit à l’occasion du nouvel an : une coupe à la main, on crie « hourrah » , avec la conviction absolue qu’exactement dans douze mois on lui donnera une tape dans le dos et on lui crachera sur la tête.

Traduit du russe.
ouvres de 1886

OÙ IL EST QUESTION

DE CHAMPAGNE

RÉCIT D’UN CLOCHARD

L’année où commence mon récit, j’étais chef de gare dans une petite station sur l’une de nos lignes du Sud-Ouest. Vous pouvez juger si ma vie était gaie ou ennuyeuse : à vingt verstes à la ronde il n’y avait ni habitation
1. Tchekhov était buveur et amateur de champagne, mais il avait parfois le vin triste et il devenait
alors cynique et vindicatif.

humaine, ni femme, ni café convenable ; or j’étais alors jeune, solide, bouillant, tête en l’air et stupide [...]

Avec ma femme, [...j en dépit de l’ennui qui me rongeait, nous nous apprêtions à fêter le Nouvel An avec une solennité inaccoutumée et attendions minuit avec quelque impatience. C’est que nous avions en réserve deux bouteilles de la Veuve Clicquot, ce trésor, je l’avais gagné à l’automne lors d’un pari avec le chef de district. [...] Nous restions silencieux et regardions tantôt la pendule, tantôt les bouteilles.

Lorsque l’aiguille marqua minuit moins cinq, je me mis à déboucher lentement ma bouteille. Je ne sais si la vodka m’avait enlevé mes forces ou si la bouteille était trop humide, je me souviens seulement que lorsque le bouchon sauta bruyamment au plafond, elle me glissa des doigts et tomba à terre. Il ne s’en perdit pas plus d’un verre parce que je réussis à la rattrapper et à boucher du doigt le goulot écumant.

- Allez, bonne et heureuse année ! fis-je en emplissant les deux verres. Bois !

Ma femme prit son verre et arrêta sur moi ses yeux remplis d’effroi. Elle avait pâli et son visage exprimait la terreur.

- Tu as laissé tomber la bouteille ? me demanda-t-elle.

- Oui. Qu’est-ce que ça fait ?

- Ce n’est pas bon, fit-elle en posant son verre et en pâlissant encore davantage... Mauvais présage. Ça veut dire qu’il nous arrivera malheur cette année. [...]

Elle n’approcha même pas son verre de ses lèvres, s’éloigna et devint songeuse. Je débitai quelques vieilles phrases sur les préjugés, bus la moitié de la bouteille, fis quelques pas dans la pièce et sortis.

Dehors, dans toute sa beauté froide, déserte, régnait la nuit silencieuse et glacée. [...] Je marchais le long du remblai. [...] Un peuplier de haute taille, couvert de givre surgit dans la brume bleuâtre comme un géant drapé d’un suaire. Il me regarda d’un air sévère et lugubre, comme si, tout comme moi, il comprenait ma solitude. Je le contemplai longuement.

Le chef de gare, à son retour, a la surprise d’apprendre qu’une jeune tante de sa femme est arrivée à 1 improviste. Le clochard reprend sa narration.

Je trouvai assise à table une petite femme aux grands yeux noirs. Ma table, les murs gris, le divan rustique... tout, me semble-t-il, jusqu’au moindre grain de poussière se trouvait rajeuni et égayé par la présence de cet être nouveau, jeune, exhalant une sorte de parfum subtil, beau et dépravé. [...]

On soupa une deuxième fois. Le bouchon de la seconde bouteille sauta bruyamment, ma tante vida d’un trait un demi-verre, et quand ma femme sortit pour un instant, elle ne fit plus de cérémonie et vida un verre entier. J’étais ivre de vin et de la présence de la femme. [...]

Je ne me rappelle plus ce qu’il advint ensuite. 1 ...] Tout alla au diable cul

par-dessus tête. Je me souviens d’un tourbillon terrible, exaspéré qui m’emporta comme une plume. Il me fit tourbillonner longtemps et balaya de la surface de la terre ma femme, ma tante même et ma vigueur. D’une gare au milieu de la steppe, il m’a jeté, comme vous le voyez, dans cette rue obscure...

Dites-moi maintenant : que peut-il encore m’arriver ?
Traduit du russe.
UNE BANALE HISTOIRE
Œuvres de 1887
La femme de chambre enlève le samovar et met sur la table [...] une bouteille de champagne de Crimée’, un assez mauvais vin.
Traduit du russe.
A Alexis Souvorine
OEuvres de 1888 à 1891
Correspondance
Moscou, 30 décembre 1888

Je vous souhaite une bonne année nouvelle. Hourra ! Heureux que vous êtes, vous boirez ou vous avez déjà bu du vrai champagne, et moi je boirai un louche breuvage.

A Alexis Pléchtchèiév

Moscou, 15 janvier 1888

La vodka me dégoûte chaque jour de plus en plus ; je n’aime pas le vin rouge. Il ne me reste que le champagne, que je remplacerai par le claret ou par quelque chose de ce genre-là jusqu’à ce que j’ai épousé une riche sorcière.

A Vladimir Nemirovitch-Dantchenko

Yalta, 2 novembre 1903

J’ai très envie maintenant d’aller à l’Ermitage . ...Un jour, j’y ai bu, seul, une bouteille de champagne et je n’étais pas ivre.

Traduit du russe.
1. Abus d’appellation.