UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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Alfred de Vigny

Littérature générale (1864)

LA BOUTEILLE À LA MER
Quand un grave marin voit que le vent l’emporte
Et que les mâts brisés pendent tous sur le pont,
Que dans son grand duel la mer est la plus forte
Il ouvre une bouteille et la choisit très forte,
Tandis que son vaisseau, que le courant emporte,
Tourne en un cercle étroit comme un vol de milan.
II tient dans une main cette vieille compagne, Ferme, de l’autre main, son flanc noir et terni. Le cachet porte encor le blason de Champagne, De la mousse de Reims son col vert est jauni. D’un regard, le marin en soi-même rappelle Quel jour il assembla l’équipage autour d’elle, Pour porter un grand toast au pavillon béni.

IX

On avait mis en panne, et c’était grande fête ; Chaque homme sur son mât tenait le verre en main Chacun à son signal découvrit la tête, Et répondit d’en haut par un hourra soudain. Le soleil souriant dorait les voiles blanches ; L’air ému répétait ces voix mâles et franches, Ce noble appel de l’homme à son pays lointain.
Après le cri de tous, chacun rêve en silence. Dans la mousse d’Aï luit l’éclair d’un bonheur, Tout au fond de son verre il aperçoit la France. La France est pour chacun ce qu’y laissa son coeur :

XIV

Le Capitaine encor jette un regard au pôle Dont il vient d’explorer les détroits inconnus L’eau monte à ses genoux et frappe son épaule, Il peut lever au ciel l’un de ses deux bras nus. Son navire est coulé, sa vie est révolue ; Il lance la bouteille à la mer, et salue Les jours de l’avenir qui pour lui sont venus.
1864
Les Destinées
OEuvre posthume