LETTRES SUR LA CHAMPAGNE ET LA LORRAINE
adressées à un agriculteur de Silésie par K.A. von Boguslawski
Épernay est une petite ville ouverte, bien assise dans une vallée que dessine, entre des collines fertiles, un ruisseau qui descend vers la Marne. Leur prospérité, les habitants la doivent non seulement à la culture de la vigne, mais aussi, et combien, au commerce du vin. [...]
J’appris que le cellier le plus important et le plus intéressant était celui de M. Moët, le maire de l’endroit, et qu’il était très facile aux étrangers de le visiter. J’y allai : M. Moët n’était pas chez lui, mais son maître tonnelier—car M. Moët a plus de vingt compagnons tonneliers journellement au travail—m’y conduisit : nous y descendîmes ; munis chacun d’un lumignon. [...] Il y avait là, couchées sur des lattes en lits superposés, plus de 400.000 bouteilles de fin champagne mousseux. Plusieurs milliers d’autres étaient debout, bouchon en bas, pour permettre au dépôt intérieur de s’amasser afin d’être enlevé plus facilement. Huit cent tonneaux renfermaient, les uns du vin blanc (champagne non encore mousseux), les autres du vin rouge, ordinaire de table. [...]
Le jour suivant, par une matinée radieuse et riante, je me rendis de l’autre côté de la Marne, vers les terroirs d’en face, terroirs célèbres d’Ay, pour contempler et parcourir ces vignobles qui donnent à toutes les tables royales d’Europe le plus fin des vins de dessert. Les auberges d’Ay sont pitoyables. Je logeais mal, mais mangeais bien, et bus délicieusement. Le vin mousseux que je payai ici 2 livres la bouteille est tellement bon, tellement meilleur par son bouquet et son arôme que le meilleur de ceux que nos marchands de Silésie nous offrent pour 2 thalers et 16 groschen !... Les grappes étaient en fleurs, et embaumaient, et les collines étaient pleines de vignerons qui redressaient les paisseaux et liaient ; des vignobles rayés comme par un peigne, j’avais une vue infiniment pleine de charme par-dessus les collines de ceps plus basses et au-delà de la vallée de la Marne, que les villages, les prairies, les troupeaux et les gras labours recouvraient comme d’un blason multicolore.
1806
Traduit de l’allemand.