LES MANDARINS
(Prix Goncourt 1954)
Henri a invité dans un cabaret Nadine, une `jeune fille qu’il regarde comme une sorte de nièce".
Quand il revint s’asseoir près d’elle, elle avait rempli les deux coupes de champagne et les contemplait d’un air méditatif. - Vous êtes très gentil, dit-elle en lui faisant les yeux doux ; elle sourit brusquement - Est-ce que vous devenez drôle quand vous ête soin ? - Quand je suis soin je me trouve très drôle. - Et les autres, qu’est-ce qu’ils pensent ? - Quand je suis soin, je ne m’occupe pas de ce qu’ils pensent. Elle désigna la bouteille - Soulez-vous. - Avec du champagne je n’irai pas loin. - Combien de coupes pouvez-vous boire sans être soin ? - Des tas. - Plus de trois ? - Certainement. Elle le regarda d’un air incrédule - Je voudrais bien voir ça. Vous avaleriez ces deux coupes d’un trait ça ne vous ferait rien ? - Rien du tout. - Allez-y. - Pour quoi faire ? - Les gens se vantent toujours : il faut les mettre au pied du mur. - Après ça, vous me demanderez de marcher sur la tête ? dit Henri. - Après ça, vous pourrez rentrer vous coucher. Buvez ; coup sur coup. Il avala une des coupes et il sentit un choc au creux de l’estomac ; elle lui mit l’autre coupe dans la main - On a dit coup sur coup. Il avala l’autre coupe. Il se réveilla couché dans un lit, nu, à côté d’une femme nue qui l’avait empoigné par les cheveux et qui lui secouait la tête ; il murmura - Qui est là ? - C’est Nadine ; réveille-toi, il est tard.
Quelque temps plus tard Henri reçoit d’un de ses amis un coup de téléphone.
- Dis donc, espèce de lâcheur, voilà quatre jours que tu es rentré et on ne t’a pas encore vu. Viens de suite à l’Isba, rue Balzac.
- Je regrette, j’ai du travail.
- Ne regrette rien, viens : on t’attend pour boire le champagne de l’amitié.
1954
LES BELLES IMAGES
Un réveillon de fin d’année.
Marthe arrête le disque : - Minuit moins cinq !
Hubert empoigne une bouteille de champagne
- Je connais un excellent truc pour déboucher le champagne. On l’a vendu l’autre jour à la bourse aux idées.
- J’ai vu, dit Dufrène. J’ai un truc à moi, qui marche encore mieux.
- Allez-y...
Chacun fait sauter un bouchon, sans répandre une goutte, et ils ont l’air extrêmement fiers (bien que pour chacun ça aurait été mieux si l’autre avait raté son coup). Ils remplissent les coupes.
- Bonne année !
- Bonne année !
Les verres s’entrechoquent, baisers, rires et sous les fenêtres éclate le concert des klaxons.
1966