UN AMOUR À LA LÉGÈRE
En 1809, à Paris, au bal de la duchesse d Abrantès.
- Général, m’apporterez-vous une flûte de champagne ?
II la regarda. Sans être ébloui, il n’en était pas moins, soudain, un autre. Il venait de tomber en alerte de tout son être, renvoyé à cet instant où, à la tête de ses cavaliers, un souffle, un mouvement de terrain, un frémissement de son cheval lui apportaient la merveilleuse certitude que l’issue de la rencontre n’allait plus dépendre que de son réflexe.
Une inclination de tête imperceptible, un coup d’oeil circulaire, un serveur qui s’approche, un verre pour elle, un pour lui. Cul sec. Puis, ses yeux plantés dans ceux de cette femme, la flûte jetée par-dessus l’épaulette d’or à travers la fenêtre qui s’ouvrait toute grande dans son dos. Les extravagants lanciers polonais qu’il avait adoptés et qui dans leur exil sauvage avaient fait de lui leur dieu n’opéraient pas autrement. Avec un naturel parfait elle mouilla ses lèvres au verre, et, du geste qui chasse une mouche, l’envoya sans détourner le visage, encore pleine, s’écraser sur le pavé des carrosses.
1988