UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Accueil > Encyclopédies > Anthologie du Champagne > Marie Cardinal

Marie Cardinal

Littérature générale (1983)

LE PASSÉ EMPIÉTÉ

La nuit de noces de Jean-Maurice et de Mimi, dans les années trente.

Elle est charmante. Jean-Maurice l’aime à la folie. Je vais chercher du champagne, annonce-t-il en riant et en baisant les mains de sa petite femme. Elle rit aussi. [...]

Jean-Maurice verse le champagne dans deux coupes et lui-même se met à faire le Russe, soi-disant, c’est-à-dire qu’il avale d’un trait le contenu de la coupe. Normalement, ensuite, il faudrait qu’il la jette par-dessus son épaule, mais comme il s’agit d’une pièce du "magnifique service en baccarat" offert par la marraine de Mimi, il se contente de pousser un « olé » pas très slave quand tout est bu. Mimi, elle, sirote son champagne comme il sied à une jeune fille bien élevée. Jean-Maurice expédie une deuxième, une troisième, une quatrième coupe à sa manière russo-ibérique. Il est en pleine forme.

Jean-Maurice se risque à quelques privautés mal reçues.

Deuxième bouteille de champagne. Jean-Maurice n’a pas l’habitude de boire, il n’aime pas ça. Mais ce vin-là lui fait du bien et le rend gai. Pour du bon champagne, c’est du bon champagne, elle avait raison, la belle-mère... Que Mimi est désirable comme ça, effarouchée, devant la cheminée, avec le feu qui bouge entre ses chevilles minces.

Il s’avance vers elle la bouteille à la main.

- Bois un peu, Mimi, détends-toi. Laisse-toi faire, fais-moi confiance.

Elle accepte de prendre un peu plus de champagne, elle a très peu bu. Elle voudrait que les choses aillent bien et elle est prête à faire certaines concessions.

Mimi se dérobe aux caresses de Jean-Maurice, qui veut aller trop vite, et elle se retire dans la salle de bains pour sa toilette de nuit.

Une fois seul, Jean-Maurice enlève ses chaussures, déboutonne ses vêtements. Il en a marre. Il s’est flanqué dans un de ces guêpiers ! Il finit la deuxième bouteille et en ouvre une troisième. Il est soûl.

Mimi sort de la salle de bains. Elle porte sur sa chemise de nuit un déshabillé.

Il attrape son déshabillé et l’attire vers lui. Le vêtement craque à une emmanchure.

- Oh pardon ! C’est pas grave. De toute manière, faudra bien les enlever les falbalas, hein ma belle ! Il faudra bien te mettre à poil ! Dans sa soûlerie il se rend compte qu’il est en train de tout saccager. [...]

Il l’empoigne et les voilà qui tombent tous les deux par terre. Elle se débat. [...] Avec le champagne, il ne sait plus trop comment il agit et la bagarre l’a excité au point qu’il en devient maladroit : il laisse Mimi s’échapper. [...]

Elle le déteste, elle le hait, elle a un dégoût profond de lui et, en plus, cette terreur puissante, archaïque qui l’a envahie. Elle tremble. Elle n’ose plus rien faire, elle ne peut même pas appeler à l’aide. Elle est prise dans un piège ignoble. Elle ferme les yeux.

1983