LE DÉJEUNER DU LUNDI
Mon Père. - La guerre est une chose affreuse, mais on a tout de même passé de bons moments. Tenez, à un moment donné, j’avais été nommé chef de popote. C’était à Ay, en Champagne. [...J Je rendais pas mal de services aux grands fabricants de champagne de la région, eh bien ! je me faisais payer en champagne. Jamais je n’acceptais un sou ; je disais par exemple : « Pour telle chose, ce sera tant de bouteilles de champagne. » [...] Une fois j’ai été obligé d’accoucher la fille d’un des plus gros marchands de vin de l’endroit. Vous parlez, moi, le dentiste, obligé de pratiquer un accouchement ! Quand tout a été fini, j’ai dit : « Le tarif, ce sera deux mille bouteilles de champagne. » « Bien. » Le soir même, les deux mille bouteilles de champagne étaient livrées. Huit jours après, elles étaient toutes bues. Figurez-vous que j’avais fait fabriquer un treuil par les mécaniciens de mon groupe pour soulever les jéroboams et les doubles jéroboams. Le treuil les soulevait, les amenait au-dessus du verre, et les faisait basculer. C’était perfectionné !
1947