LA NUIT DU SÉRAIL
Aimée Dubuc de Riverie, créole de la Martinique, capturée par les pirates barbaresques à l’âge de 15 ans, vit au sérail de Constantinople. Amoureuse du sultan Selim et aimée de lui, elle voit sa position menacée par les aléas de la politique internationale. Elle raconte
C’est alors que je me mis à boire du vin de Champagne. Les relations du Sérail avec l’alcool étaient empreintes d’hypocrisie. Chacun sait que l’Islam interdit la consommation d’alcool. [...] La tolérance reposait sur la règle d’or de la discrétion... On importa des vins français, bordeaux et bourgogne, jusqu’à ce qu’un sultan, je ne me rappelle lequel, introduise le vin de Champagne.
Il y en avait des caisses qui dormaient dans les offices, pudiquement délestées de toute étiquette. Un matin où les nouvelles étaient particulièrement mauvaises, je m’aperçus qu’un verre de champagne me calmait et me permettait de supporter les rumeurs alarmistes de mes serviteurs. Désormais j’usais du champagne pour affronter le lot quotidien des rumeurs inquiétantes. Aussi passai-je ces journées étouffantes de l’été à rôtir dans une sorte de demi-torpeur, un volume de Mémoires dans la main, un verre dans l’autre...
Un soir Mahmoud surgit tout à coup dans ma chambre, titubant, bêlant stupidement : « Vive la France ! » et finissant par s’effondrer sur le tapis. Il était ivre... Dans l’après-midi, entraîné par son demi-frère Moustafa, il avait découvert le placard où nous tenions le champagne, l’avait crocheté et, avec son complice, avait vidé une demi-douzaine de bouteilles !
1982