LA DOUBLE MAÎTRESSE
Nous en étions là quand Créange se frappa le front. II se souvenait que son portemanteau contenait par hasard quelques bouteilles d’excellent champagne. La femme d’un marchand chez qui nous avions logé quelques jours avant n’avait pas voulu nous laisser partir sans que nous emportassions quelques flacons cachetés, pour les boire en souvenir d’elle, à la santé du roi. « Telles sont, Madame, les fortunes militaires », disait Créange, en revenant de quérir les bouteilles, « les braves inspirent des sentiments passagers. Leurs conquêtes sont parfois pacifiques. » Ce disant, il faisait sauter l’un des bouchons et versait à la ronde la boisson mousseuse et pétillante.
L’effet en fut des plus agréables. Après quelques verres, il nous monta à la tête des fumées légères qui nous mirent dans un trouble délicieux. Notre hôtesse parut en ressentir particulièrement les bienfaits. On eût dit qu’elle buvait un philtre. La jeunesse lui remontait au visage en couleurs renouvelées ; ses lèvres retrouvaient une pourpre plus riche et ses yeux un regard d’une vivacité nouvelle.
1900
FIGURES ET CARACTÈRES
La table d’Oscar Wilde
On dînait finement et longuement dans une salle à manger luxueuse et claire. La nappe était couverte d’un surtout et de chemins de violettes odorantes. Le champagne grésillait dans des verres taillés ; les couteaux d’or pelaient les fruits. M. Wilde parlait.
1901