Au wagon-restaurant.
ORIENT-EXPRESS - I
Antonella [...] buvait son champagne, verre après verre, sans cesser de parler. Et ce qu’elle racontait, n’importe quoi, [...] ne faisait que bouleverser davantage Peter [...]
- Savez-vous Peter - parce que vous permettez, n’est-ce pas, que je
vous appelle Peter - que toutes les filles du collège sont folles de vous ?
Elle le regardait à travers des bulles de champagne - et c’est probablement fou combien, vu à travers des bulles de champagne, Peter devait soudain sembler un autre homme. Rajeuni de coeur, sinon de visage.
1979
PANDORA
Au maître d’hôtel qui ressemblait à Pitoëff dans "Six personnages...", il commanda un repas à l’ancienne. [...] Prenant lui-même des mains du sommelier la bouteille de Cordon Rouge 1921 qu’on lui avait apportée, il la déboucha sans un bruit. Le champagne coula dans les verres et Clara leva le sien.
1980
ORIENT-EXPRESS - II
En 1942, sous l’occupation allemande. A l’invitation de l’Institut allemand de Paris, quatre hommes de lettres français se rendent à Weimar pour discuter sur l’Europe de demain et sa culture. Ils sont accompagnés par Georg Brenner, directeur-adjoint de l’institut et par Wanda Freïer, une ravissante fonctionnaire du ministère allemand des Affaires étrangères.
La nuit était sur le point de tomber ou le jour de se lever et le train roulait lentement en rase campagne, du côté allemand de la frontière, quand il finit par s’immobiliser tout à fait. Des ouvriers travaillaient le long de la voie et Thébon voulut les interroger, pour savoir où on se trouvait. Il descendit donc la vitre de la voiture-restaurant et, en son meilleur allemand, posa la question. [...]
La réponse ne se fit pas attendre
- Te casse pas, ma grosse ! On pige que dale à ton chleu. Alors rengaine ta chansonnette, pisse un bon coup et attend la suite.
Le tout avec le meilleur accent de Belleville. Les quatre écrivains se regardèrent, brusquement gênés. [...]
Besquet, [...] pris d’une inspiration subite, sortit par-dessus la vitre une bouteille de champagne et une coupe
- Est-ce que nous pouvons vous offrir quelque chose à boire ? [...]
Besquet tendit sa bouteille et une main s’avança, parmi les prisonniers, pour la prendre.
Mais tout de suite, il y eut un cri
- T’es pas fou, Baluchet ? Trinquer avec ces embusqués ?
- T’as raison, caporal. Je préfère mon jus de godasse.
Et la main du soldat à lunettes, employé de la compagnie du gaz au civil et pourtant fin gourmet, se retira : le rédacteur anti-juif du "Matin" se retrouva tout bête, avec sa bouteille et son verre tendu au-dessus de la tête
CAC
de ces pauvres types qui n’en voulaient pas. Il hésita quelques secondes, puis rentra son bras.
- Les cons..., dit-il seulement en remontant la glace.
Le regard de Morillon avait croisé celui de Georg Brenner : il y avait dans les yeux de l’Allemand la même honte que dans les siens.
- Ces pauvres garçons ont simplement raté une bonne occasion de boire un coup du meilleur champagne qu’aient pu nous rafler les services de la Kommandantur, remarqua Wanda Freïer. [...]
1984
LA VIE D’UN HEROS
Alma Schlutter, la mère de Xavier Sallement, est morte dans la nuit du 2 au 3 mars. [...]
Au-dessus du canapé où Alma Schlutter est étendue, les yeux fermés sur un rêve qui l’amuse, un portrait d’Anna à vingt ans, robe bleue mouvante et un verre de champagne à la main, semble inviter ses hôtes à trinquer avec elle.
- Vous ne buvez pas ?
Clément Pallas s’est approché, une bouteille de Krug à la main. Xavier refuse.
- Pas maintenant. Il est encore trop tôt.
Le sourire qui a glissé sur les lèvres de Clément Pallas [...] est devenu ironique. Puis il s’est servi à boire.
- Moi j’ai bien un éternel ulcère à l’estomac, mais ce matin, je crois que je ne peux pas ne pas boire. [...]
L’homme qui a peint le portrait d’Alma Schlutter à vingt ans est là, lui aussi. [...] Sa main tremble lorsqu’il porte à ses lèvres le verre de champagne que Clément Pallas, qui joue les maîtres d’hôtel, lui a servi.
Il vient vers Xavier, dans les rumeurs de cette fête étrange, cette réunion mondaine au chevet d’une morte qui paraît encore accueillir ses hôtes avec
le même sourire clos.
1985