UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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Cécil Saint-Laurent

Littérature générale (1947)

(Jacques Laurent)

CAROLINE CHÉRI

A Londres, pendant la dernière guerre. Les événements ont séparés Caroline de Gaston, son amant. Invitée à dîner par Guilver, elle lui trouve une ressemblance avec Gaston.

- J’ai envoyé pour le souper chez Watier. Nous boirons some vin de Champagne ; c’est rare. [...]

Caroline mangea peu, mais but beaucoup. A peine avait-elle vidé sa coupe que celleci se remplissait de nouveau et que, de nouveau, elle la portait à ses lèvres.

Sous l’effet du champagne, Guilver lui paraît être de plus en plus le portrait de Gaston.

« Ce doit être ainsi qu’on devient folle », pensait Caroline accoudée à la console, le regard de plus en plus embrumé par l’ivresse. Ses jambes avaient de la peine à la soutenir. [...] Sentant une présence toute proche, elle réussit à ouvrir les yeux et vit près de son visage le visage de Gaston penché sur elle et qui la regardait.

Hélas ! c’était Guilver. Caroline avait trop bu de champagne.

HORTENSE 14-18 - IV

PAIX BLANCHE, SOIR ROUGE
La mort de Mata-Hari.
1947
Comme elle refusait le bandeau que l’on voulait appliquer sur ses yeux, les messieurs s’agitèrent.

-  Théâtreuse !

-  Comme vous dites, mon commandant ! un vrai geste de théâtre.

-  Elle a refusé ça comme une flûte de champagne.
Jossier invite à souper en tête-à-tête Mme de Pierrefitte, qu’il a choisie comme professeur de mondanité.

-  Ce Clémenceau ! [...] Quand je pense, soupira Mme de Pierrefitte, qu’à cause de ce monstre Joseph est en prison. [...] Le malheureux ! Que fait-il en cet instant, je me le demande. [...]
Pour changer les idées de son professeur, il se hâta de déboucher le champagne. Mais Mme de Pierrefitte tenait à son thème

-  Du Pommery, mon mari qui l’aimait tant ! Il était contre la veuve Clicquot je ne sais pas pourquoi, mais il adorait le Pommery. [...]
Il découvrit avec stupeur que Mme de Pierrefitte pleurait.

-  C’est idiot ! s’exclama-t-elle. J’ai tout de la grisette qu’une flûte de champagne fait sangloter.
1965

HORTENSE 14-18 - V

VENDANGES SONT FAITES

Aux armées. Le capitaine Jules Durand a pour chauffeur une duchesse. Elle est aussi sa maîtresse, et elle 1 invite à venir boire du champagne chez elle.

Elle insista pour ouvrir sur-le-champ l’une des bouteilles de champagne qui les attendaient autour d’un seau de glace. Il remplit les deux flûtes.

- A nos amours, dit Aurore !

Elle précisa en riant

- A nos amours physiques !

Ils burent, mais vieux d’une douzaine d’années, le vin s’était madérisé. Son goût, faible et doux, tout réticent, inclina Jules Durand à la tristesse. Les gardiens avaient prévu une armée de bouteilles. A la troisième, ils obtinrent un champagne très vif.

- Est-ce un signe ? demanda Aurore.

- Où voyez-vous un signe ?

- Nous avons bu à nos amours avec un champagne malade. [...]

Déjà Aurore était loin du sujet qui aurait pu retenir pendant une heure l’attention de Durand. Elle vidait la bouteille de champagne et poussait des soupirs.

- J’ai été tant déçue ! Tout m’a déçue... ou presque. Sauf Venise peutêtre, Proust sûrement, et sauf le champagne. [...] Le gardien, se méfiant de la vieillesse de notre champagne, en a monté plusieurs douzaines de bouteilles. [...]

- Et vous souhaitez que nous les buvions toutes ? interrogea Durand avec humeur. [...]

- Mais non, soupira-t-elle.

- Alors vous comptez les offrir à la Croix-Rouge ? [...]

- Mais que vous êtes ennuyeux ! J’ai tout simplement envie de profiter de l’occasion pour prendre un Bain de champagne. J’en ai tellement entendu parler ! [...]

Il changea d’humeur. Il n’était pas mauvais de se réserver, pour ses vieux jours, le souvenir d’une duchesse pataugeant dans du champagne. [...] Un Mirus ronflait dans la salle de bains où ils transportèrent par dizaines les bouteilles, que Durand entreprit d’ouvrir de suite. Jamais il n’avait entendu exploser le champagne à une cadence aussi vive. Il lui en vint de l’allégresse et comme un début d’ivresse, ce qui prouve la vertu d’un tel vin, dont l’aspect suffit à griser. La duchesse, elle, était déjà parfaitement saoule. [...] Elle buvait au goulot maintenant tout de bon. Elle aspergea sa blouse. Elle tendit la bouteille à Durand pour qu’il bût comme elle à la régalade puis se laissa tomber dans ses bras. [...]

Il la dévêtit avec une hâte que tempérait seulement son goût de l’observation. [...] Elle frémit sous la fraîche morsure du champagne dont la mousse forma sur ses épaules un collier d’écume. Pour Durand, enclin à ne voir en la baignoire qu’une coquille, elle fut Vénus. [...] Mais la Vénus qu’il aspergeait avait une peau chaude que des frissons hérissaient sous le déferlement du champagne ; elle avait à la fourche des jambes et sous les aisselles des poils bouclés que le liquide assombrissait encore. [...] Elle s’inclina pour se retrouver allongée à plat ventre au fond de la baignoire. Il lui vida une bouteille sur le dos, en but quelques gorgées dans le creux de ses reins. [...]

Il aida Aurore à sortir de la baignoire et se mit à l’essuyer. Elle protestait. Elle souhaitait qu’il épongeât à peine son corps avec la serviette afin qu’une trace de champagne y demeurât. Même elle l’arrêta assez vite, l’entraîna vers le salon et se laissa tomber sur la fourrure qui leur avait déjà servi de couche.

- Est-ce que je sens le champagne ?

1967

LA BOURGEOISE

Elle gardait dans sa mémoire des images qui n’illustraient de la soirée et de la nuit que ce que celles-ci avaient eu d’imprécis. La table d’anniversaire s’imposait non comme un souvenir mais comme un tableau d’un souper hyperréaliste, où triomphaient le vieux rose d’un foie gras gaîné d’ambre, les transparences vertes parcourues de perles de la bouteille de champagne au flanc de laquelle l’étiquette en partie décollée par l’humidité du seau pendait comme une algue cramponnée à la surface d’un coquillage. Cette image était entraînée vers son déclin par un assombrissement progressif de l’immeuble d’en face, [...] de sorte que la chute du jour se faisait sentir et que l’ombre dense de l’immeuble tombait sur la table et pénétrait la bouteille

qui devenait une grotte sous-marine pendant que la glace s’épaississait comme un rocher et que les cristaux des coupes, exaspérés par la pénombre, étincelaient avec le tranchant de vaguelettes frappées par la lune.

1974