UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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André Soubiran

Littérature générale (1949)

LES HOMMES EN BLANC - II

LA NUIT DE BAL

Au Bal de llnternat.

Nadia déclara alors qu’elle avait soif. [...] Je plongeai dans la mêlée afin de trouver deux verres et les remplis de champagne. Je revins juste à temps pour voir un interne saisir Nadia par la taille. [...] Nadia me cria de loin

« Une danse et je reviens... »

Décontenancé, je restai à la même place, tenant toujours à la main mes deux verres et regardant les petites bulles qui se précipitaient en rapides chapelets à la surface du champagne ; elles semblaient vouloir à toute force, sans attendre une seconde de plus, s’échapper, éclater, être heureuses et, comme elles, il me semblait qu’en touchant au plaisir je venais de retrouver le sens et le but unique de ma vie.

Devenu externe des hôpitaux, le narrateur est invité par un camarade plus fortuné à une tournée des grands-ducs avec deux jeunes Allemandes ne parlant pas le français.

Philippon nous arrêta dans une rue en pente. Des deux côtés du trottoir attendaient des autos luxueuses. [...] Nous pénétrâmes dans une salle aux murailles d’or surchargées de décorations, où des couples dansaient au son d’une musique douce. Le maître d’hôtel [...] apporta une bouteille de champagne. Philippon regarda l’étiquette en fronçant le sourcil. Il demanda la carte, la parcourut d’un oeil expert et commanda une autre bouteille ; au bout de la ligne, j’eus le temps d’en voir, avec effarement, le prix. Philippon surprit mon regard

- Toujours la règle du jeu, dit-il en riant. Quand on sort avec une femme, même la plus gentille, il s’agit avant tout que ça coûte cher et qu’elle puisse en être flattée.

Le narrateur, timide. se décide à inviter Martha à danser.

Quand nous fûmes revenus à notre table, Philippon, pour fêter cet exploit, fit ouvrir une seconde bouteille. Je m’étais laissé aller près de Martha sur la banquette, plus courbaturé qu’après un violent exercice sans entraînement ; tous les muscles me faisaient mal. Comme j’aurais pris une drogue stimulante, je bus deux coupes de champagne à la suite. Ensuite, je me trouvai plus détendu. Le vin [...] remplissait tout à fait bien son rôle d’excitant ; ma tête, comme mes muscles, devenait légère, j’étais tout gonflé de satisfaction et de confiance en moi. [...] Philippon avait eu raison de dire que la vie devient une chose délicieuse dès qu’on cesse de la prendre trop au sérieux. Pour finir de m’en persuader, je bus une autre coupe.

Martha portait une robe de soie légère que tendaient de petits seins haut campés ; [...] maintenant que je l’avais tenue dans mes bras, c’était son corps que je voyais sous sa robe. Je m’obligeai à regarder la salle. [...1 Je luttai encore un moment. Comme si le champagne s’était maintenant transformé en opiat et avait fait tomber la moitié de ma volonté, ma main s’approcha de la cuisse de Martha, s’y posa, légèrement d’ailleurs, du bout des doigts. [...] Qu’il faisait bon ici ! Que cette vie de plaisir était douce, douce et légère, douce comme la chair de Martha.

1949