SAS AUX CARAÏBES
Irina, jeune Allemande au service du K.G.B., vole de Stockholm à New York sur un avion des Scandinavian Airlines.
Elle étalait avec ravissement du caviar sur un toast. Le K.G.B. était loin. Elle se retrouvait une petite fille heureuse, une sensation qu’elle n’avait pas connue depuis si longtemps. [...]
Le champagne pétillait sous sa langue. Du Moët & Chandon 196 ?, merveilleusement sec et glacé. Un luxe qu’elle s’était permis si rarement. [...]
Irina, un peu grisée par le champagne dont elle avait bu une demibouteille, s’endormit immédiatement.
1967
SAS - LES TROIS VEUVES DE HONG-KONG
Le prince Malko Linge, agent de la C.I.A., s’efforce de trouver des renseignements sur un projet chinois d’attentat contre le Coral-See, porte avions américain ancré devant Hong-Kong, ou contre son équipage.
Il allait pousser la porte du Hilton quand il s’entendit héler par son prénom. Po-yick, avec son éternelle jupette bleue, ses socquettes blanches et son cartable, courait derrière lui.
- Bonjour, dit-elle de sa voie flûtée. [...]
Malko lui tendit un de ses paquets
- Tiens ; tu vas m’aider.
- Elle le prit[ ...], monta dans l’ascenseur. [...] Elle ouvrit de grands yeux devant la suite somptueuse de Malko et tourna autour de la bouteille de champagne au frais dans son seau. [...]
- Vous êtes un capitaliste si vous avez tellement d’argent. Ce n’est pas bien.
Elle ne plaisantait pas avec la doctrine, Po-yick. Malko rit de bon coeur et désigna la bouteille de Moët & Chandon. [...] Il en trouvait une chaque matin. Délicate attention.
- Tu as déjà bu du champagne ?
- Du champagne, qu’est-ce que c’est ?
Incroyable, mais vrai.
- C’est une sorte de vin, expliqua Malko, mais bien meilleur. On boit cela quand on veut célébrer quelque chose dans mon pays, ou quand on est heureux...
Po-yick regarda la bouteille avec la même méfiance qu’une grenade
- C’est une boisson capitaliste, avança-t-elle timidement. Je ne sais pas si je peux en boire. [...]
- Mais le président Mao aussi boit du champagne, affirma Malko. J’ai vu des photos...
Po-yick [...] dit d’une petite voix
- Alors je vais essayer. [...1
Il se leva pour ouvrir la bouteille. Fascinée, Po-yick le regarda arracher avec précaution le bouchon. Cela fit un petit « plouf » et Po-yick poussa un cri
- Tu vois, c’est une sorte de bombe. [...]
Le liquide moussait dans les deux coupes. Il en tendit une à la Chinoise et leva la sienne
- A notre amitié !
Elle imita son geste mais ne dit rien. Sans le quitter des yeux elle trempa ses lèvres dans le liquide ambré, et eut une petite quinte de toux.
- Ça pique !
Malko vida sa coupe.
- C’est qu’il est bon. Tu aimes ?
Po-yick hocha la tête
- C’est bon.
Du coup, elle vida la coupe et se renfonça dans le divan. Elle contemplait Malko d’un air songeur. Adorable Po-yick. Dans quelques années cela ferait une dangereuse fanatique . [...] Elle aurait au moins connu le champagne. [...]
Il remplit de nouveau les deux coupes, sans en mettre autant dans celle de la Chinoise. Le champagne commençait à lui faire de l’effet. Elle était moins raide sur le divan et ses yeux étaient humides et tendres. [...]
Elle se tourna vers lui et jeta ses deux bras autour de son cou. Il sentit ses
seins minuscules s’écraser contre sa chemise. [...] Elle s’écarta de quelques millimètres et murmura
- Aw jung-yce nay.
- Puis elle blottit sa tête contre l’épaule de Malko, tout en continuant à le serrer de toutes ses forces. Il était infiniment touché mais se sentait un peu coupable. Le champagne fait dire bien des choses.
- Qu’est-ce que cela veut dire ?
- I love you, fit-elle dans un souffle. En chinois. [...] La nuit, je rêve de vos yeux dorés, murmura-t-elle. Je n’en ai jamais vu de pareils.
Il s’écarta doucement. La volonté a des limites. Il était loin de son indifférence physique du début, et avait presque honte qu’elle s’aperçoive de son état.
- Veux-tu venir m’aider à acheter des chemises demain, en fin de journée ? proposa Malko pour désamorcer la bombe. [...]
- Demain, je ne peux pas, dit-elle.
Sans transition, elle pouffa de rire. Toujours le champagne.
- Pourquoi ris-tu ? [...]
- Demain, je vais me battre contre les impérialistes. J’ai rendez-vous à six heures.
Il sursauta
- Tu vas encore mettre des bombes ?
- Non, non. Nous allons attaquer les Américains.
Malko eut l’impression que le Hilton venait de trembler sur ses bases. [...]
- Vous me jurez de ne rien dire. Je n’aurais pas dû vous parler.
- Juré, promit Malko.
C’était une victoire du champagne [...j, pas de la C.I.A. [...]
Pour célébrer cela, il décida de se verser une ultime coupe de champagne et prit la bouteille de Moët & Chandon dans le seau. Mais le goulot glissant lui échappa, la bouteille rebondit sur le seau, qui se renversa par terre. Son juron était déjà à moitié sorti quand il tomba en arrêt.
Une petite boite noire était collée sur le seau, invisible lorsqu’il était en position normale. [...] Il fallut dix secondes à Malko pour identifier un émetteur radio miniaturisé, couplé avec un micro.
Voilà donc pourquoi l’hôtel était si généreux avec lui. C’était un moyen commode de l’espionner. Qui se méfierait d’un seau à champagne ?
1968