UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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Maurice de Waleffe

Littérature générale (1947)

QUAND PARIS ÉTAIT UN PARADIS

MÉMOIRES 1900 - 1939

Avant la première guerre mondiale.

Elisseïef, joyeux boyard, fils et petit-fils des rois de l’alimentation sous l’empire des tsars, [...] offrait des festins où figurait, dressé au centre de la table, un cygne coulé en glace, bourré d’une montagne de caviar, naviguant sur des lacs de champagne ou de vodka.

Au Mexique, un général prépare un complot contre le président.

Installé dans la cour de l’hôtel de Vera-Cruz, il fit venir douze bouteilles de champagne et la musique militaire de la ville, avec tous ses cuivres ! Le champagne était pour boire avec le commandant de la citadelle. La musique pour couvrir le bruit de leur conversation criminelle.

Tandis que le médecin se bat contre la maladie, le chirurgien, lui, s’attaque à la mort immédiate, lutte corps à corps et spectaculaire [...] Le chirurgien Doyen, cynique, jouait sa réputation au couteau, sablant ses victoires au champagne, il lança une marque de vin, le "champagne Doyen", ce qui fit scandale.

Dans les années 1930.

Le marquis de Polignac [...] que j’avais vu à l’oeuvre à Reims pour le centenaire de la maison fondée par sa grand-mère Pommery, présida un banquet de 300 couverts, comme on n’en voit guère. Ordinairement, quand on dit des banquets : « Le champagne coulait à flots ! » c’est par métaphore. A Reims, dans les caves Pommery, les convives de M. de Polignac le virent effectivement couler à robinets ouverts ! Un kilomètre de tuyaux argentés courait au-dessus des tables où chaque convive avait son robinet incliné sur sa coupe, à portée de la main. Et personne ne fut ivre !

Ce qui prouve autant pour la qualité des invités que pour celle du

Du marquis de Polignac et du comte de Mun, président d’une autre marque célèbre’, je m’attirai une petite leçon que j’ai retenue.

- J’aime, leur disais-je, vos vins de Champagne, mais servis frappés. C’est impossible, quand on les verse au robinet, comme aujourd’hui !

- Vous faites erreur ! me rétorquèrent-ils. Le champagne doit se boire froid, mais non glacé. La glace tue le bouquet du vin.

Ces connaisseurs avaient raison. Le champagne frappé à glace est un vin pour cabinets particuliers, il donne à la femme tout l’esprit qu’il enlève à l’homme. Les vins des bonnes années méprisent cette griserie facile et méritent d’être savourés pour leur seul arôme !

Un [...] millionnaire de Paris, sir Basil Zaharoff, se classait, lui, parmi les riches qui ne boivent pas de champagne, les riches misanthropes.

A Deauville l’auteur, président du jury de l’élection de Miss Univers, escorte Miss America.

L’Américaine aimait un peu trop le champagne. [...J Elle buvait comme un grandduc. Je dis grand-duc, parce que j’ai vu boire le grand-duc Boris de Russie, homme superbe, dans un bal. [...] Accoudé au buffet, le barman lui passait des coupes de champagne à la file comme on passe des seaux à la chaîne dans un incendie et il en avalait une à la minute sans cesser de causer ! Ma belle amazone, elle, buvait toute la journée ! Elle avalait une demi-bouteille de champagne en se levant en guise de café au lait. Cocktail champagne à 11 heures. Lunch au champagne. Goûter au champagne. Recocktail-champagne avant le dîner au champagne, et champagne en dansant toute la soirée. Après quoi, aussi calme que si elle eût avalé de l’eau de Seltz, en se retirant pour la nuit, elle me demandait modestement

- Puis-je faire monter une bouteille dans ma chambre, si j’avais soif la nuit ?

1947
1. Veuve Clicquot Ponsardin.