UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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Jean Godinot

Littérature du vin et de la table (1718)

MANIÈRE

DE CULTIVER LA VIGNE ET DE FAIRE LE VIN

EN CHAMPAGNE

Depuis plus de vingt ans le goût des François s’est déterminé au Vin mousseux, & on l’a aimé pour-ainsi-dire jusqu’à la fureur, On a commencé seulement d’en revenir un peu depuis sept ou huit ans. Les sentimens ont été fort partagez sur les principes de cette espèce de Vin ; Les uns ont crû, que c’étoit la force des drogues, qu’on y mettoit, qui le faisoit mousser si fortement, d’autres ont attribué la mousse à la verdeur des Vins, parce-que la plûpart de ceux qui moussent sont extremement verds ; d’autres enfin ont attribué cet effet à la Lune, suivant les teins que l’on met les Vins en flacons.

Il est vrai, qu’il y a eu des Marchands de Vin, qui voïant la fureur qu’on avoit pour ces vins moussueux, y ont mis souvent de l’aluni, de l’esprit de Vin, de la fiente de Pigeons, & bien d’autres drogues, pour le faire mousser extraordinairement ; mais on a une expérience certaine que le Vin mousse, lors-qu’il est mis en flacons depuis la récolte jusqu’au mois de May ; [...1 C’est encore une expérience assurée, qu’il mousse excessivement, lors-qu’il est mis en flacons, depuis le dix jusqu’au quatorze de la Lune d’Août.


Pour trouver dans le Vin de Champagne tout le mérite qu’il peut avoir, il faut le sortir de la Cave un demi quart d’heure seulement avant de le boire, le mettre dans un sceau avec deux ou trois livres de glace. [...] Lors-que le flacon a été un petit demi quart d’heure dans cette glace, il faut l’en tirer, parce-que le trop de glace luy donneroit trop de roide, & lui feroit perdre sa mousse. On trouve dans le Vin tout ce qu’il a de bon, & un goût même délicieux, quand il est un peu frapé de glace, mais il ne faut pas, qu’il le soit trop, ni trop peu.


Nulle part au monde, il n’y a d’aussi bonnes Caves qu’en Champagne, aussi ne trouve-t-on que difficilement ailleurs le Vin aussi bon que dans cette même Province.


1718
1. Chanoine Godinot

2. La seconde édition (1722) comporte une addition donnant le "secret de Dom Pérignon", qui est une recette empirique visant à améliorer les vins de Champagne non effervescents.