J.R. MOËT ET SES SUCCESSEURS
Tour à tour M. Moët reçut dans ses salons les têtes couronnées de l’Europe, et les mena visiter ses vastes et magnifiques caves. Dès l’année 1805, appelé à la dignité de maire par les voeux unanimes de ses concitoyens, il fit présenter, au nom des habitants d’Épernay, des vins d’honneur à S.M. Napoléon le*. [...]
On offrit dans les caves un verre de champagne au prince Murat qui accompagnait l’Empereur, et il allait l’accepter, quand se ravisant tout à coup
Non, sacrebleu ! fit-il, je le boirai là-haut : il me paraîtra plus frais !
1864
On a dit que le vin de Champagne était le "vin civilisateur" par excellence. Si nous avons bonne mémoire, c’est Talleyrand qui lui a donné cette qualification glorieuse, un jour que M. Moëtdînait à Paris à son hôtel.
- Mon cher monsieur, dit le Prince à la fin du repas, en élevant sa coupe pétillante, vous êtes un prédestiné de l’avenir. Je déclare que, grâce à cette coupe et à son contenu, votre nom moussera plus longtemps et beaucoup mieux que le nôtre !
1867
(2` édition)
MADAME Vve CLICQUOT
A partir de 1815, on reconnut qu’elle avait sérieusement doté la ville des sacres d’une industrie florissante, et la maison Clicquot prit une extension d’affaires merveilleuse, un essor européen.
Tous les officiers russes, commandés par Saint-Priest, avaient porté la coupe mousseuse à leurs lèvres. On dit même que beaucoup d’entre eux préféraient les détonations de la bouteille rémoise à celle du canon de l’Empereur, et qu’à la reprise de Reims, on en fit prisonniers une douzaine environ, renversés sous la table par la première et trop pacifique artillerie. [...]
Quand ils regagnèrent Saint-Petersbourg et Moscou, ils y célébrèrent si bien les délices de nos vignes nationales, que d’innombrables commandes arrivèrent du Nord, et firent pleuvoir les millions dans nos heureuses contrées. [...]
Plus active encore peut-être que ne l’était son mari, elle descendait dans ses caves et se plaignait aux tonneliers de la lenteur extrême de leur besogne, qui amenait tout naturellement la lenteur des expéditions. Ce manque de célérité, qu’elle a enfin réussi à faire disparaître, tenait au procédé mis en oeuvre, depuis un temps immémorial, pour obtenir la limpidité parfaite des vins. [...] Elle ordonna aux "remueurs" de s’abstenir dorénavant de leurs interminables fonctions. Elle disposa le long de ses caves de longues tables percées à jour, aujourd’hui remplacées par d’autres tables placées en forme d’un V renversé, appelées "pupitres". Elle y installa toutes les bouteilles, le col incliné. [...]
Se glissant avec mystère au cellier, à l’heure où ils prenaient leur repas, elle remuait elle-même, sur les tables, sans autre déplacement, quelques centaines de bouteilles et faisait ainsi des expériences en cachette.
1865