Les verres dans lesquels on boit le champagne doivent répondre par leur élégance à son image de prestige et de distinction, mais ils doivent aussi permettre d’apprécier toutes les qualités du vin. En ce qui concerne la matière, c’est le verre qui remplit le mieux ces conditions, et en particulier le cristal, loué par André Chénier dans ses Elégies, ce cristal dont la limpidité est inégalable, ce cristal aux mobiles éclairs d’où les esprits odorants s’exhalent dans les airs. Le verre à champagne idéal est lisse et transparent.
Il existe, pour boire le champagne, des récipients en métal précieux. Ce sont des objets d’art, comme les timbales d’argent du Garrick’s de Londres ou les flûtes en métal argenté d’un orfèvre parisien, assorties au rafraîchissoir. Mais, n’en déplaise à leurs créateurs, ils ne conviennent pas à la consommation du champagne car on ne peut observer ni la couleur du vin, ni la finesse des bulles et leur joyeux dégagement. Il a existé au XIXe siècle des verres à champagne en argent qui évitaient partiellement cet écueil car ils étaient constitués d’une partie mobile en verre s’insérant dans une large flûte en argent qu’elle dépassait de quelques centimètres. On peut en voir à Budapest, au Magyar Kereskedelmi és Vendéglatoipari Muzeum. Les verres en cristal taillé, les verres gravés, teintés ou décorés, ont plus ou moins les mêmes inconvénients que les récipients en métal.
La forme du verre à champagne doit être fonctionnelle. Elle a une influence sur le dégagement des bulles. « Il y a des verres à fond rond, d’autres à fond pointu ; la mousse n’est pas la même, elle est plus vive dans les derniers, » écrivait Maumené [1]. Des verriers ont tiré profit de cette particularité en faisant des verres à jambe creuse, le dynamisme des bulles s’en trouvant augmenté.
La nature des verres et leur mode de nettoyage ont également une grande influence sur la formation et la persistance des bulles. Dans certains d’entre eux le champagne ne mousse pas. Jullien l’avait observé et avait écrit : On a vu des verres dans lesquels ce vin perdait à l’instant toute fermentation, tandis qu’il la conservait dans d’autres qu’on avait remplis en même temps [2]. Pasteur, dans une lettre du 23 février 1858, avait noté que l’acide carbonique s’échappe du liquide total où il est dissous par l’effet des corps étrangers [3]. Et Maumené a observé qu’un verre rincé mais non essuyé mousse moins car tout chiffon laisse des duvets, même invisibles, sur les parois, et ces duvets développent la mousse [4].
Il peut donc se faire, si le polissage du verre est trop poussé, si le nettoyage est trop parfait, que le champagne ne donne aucune mousse en dehors du premier jet résultant du contact avec l’air. Avant d’incriminer le vin, il faut l’essayer dans un verre essuyé différemment ou d’une autre fabrication. On peut donner en exemple l’anecdote suivante. Ayant à recevoir un journaliste, un membre de l’interprofession champenoise l’invite dans un excellent établissement et commande une bouteille de champagne d’une grande marque : absence totale de mousse. Il demande une bouteille d’une autre marque : toujours rien. Il fait changer les verres et verser à nouveau les mêmes vins : tous deux moussent à la perfection. Afin d’éviter ces mésaventures, des verriers gravent dans fond du verre une étoile, ou même des rayures, ce qui assure un bon dégagement du gaz.
Les anomalies constatées dans la formation des bulles peuvent aussi provenir du mode de lavage du verre. Si on emploie un détergent sans que le rinçage soit suffisant, divers phénomènes bizarres sont observés. La mousse, le plus souvent, se forme mal et le cordon qui s’est établi lorsque l’on a versé le champagne dans le verre y subsiste indéfiniment au lieu de se résorber progressivement. On doit donc proscrire les détergents pour le lavage des verres à champagne dans les bars et restaurants, se servir uniquement des machines à laver les verres, appareils spéciaux qui utilisent d’autres produits. Pour en terminer avec les soins à apporter aux verres à champagne, il faut préciser que l’on doit les conserver dans les placards dans la position debout. Rangés dans l’autre sens, ils prendraient l’odeur du matériau ou du revêtement sur lequel ils reposeraient, même au travers d’un tissu neutre, et ils la communiqueraient au vin. Pour éviter que la poussière ne se dépose dans les verres, il suffit de les couvrir d’une serviette en tissu inodore.
L’historique de la flûte et de la coupe a été étudié précédemment, ainsi que les avantages et les inconvénients des deux verres. Qu’il suffise de rappeler que la flûte, par la hauteur de sa colonne de diffusion, est propice à l’examen visuel du vin. Elle convient donc très bien au champagne, dans la mesure où elle est suffisamment ouverte pour que le dégustateur puisse y loger son nez. C’est d’ailleurs la flûte qui constitue le verre à champagne des plus beaux services de table des verreries françaises auxquels elle donne un cachet aristocratique.
Les inconvénients de la flûte sont d’ordre pratique : fragilité, lenteur du service ou risque de débordement si on verse trop vite. Mais ce ne sont que des reproches mineurs et beaucoup lui restent fidèles pour le plaisir qu’a su si bien décrire, après Barbey d’Aurevilly, l’écrivain belge Maurice Des Ombiaux : Le liquide pétillant y bondissait avec une fougue plaisante à voir, qui faisait monter le diapason de la gaieté. Quand l’amphitryon versait le champagne, on suivait avec émotion l’impétuosité de la mousse, en se demandant si elle allait s’échapper de la gangue de cristal, déborder et se répandre sur la nappe, ce qui arrivait souvent. Puis on prenait plaisir à regarder l’ascension continuelle des bulles qui venaient éclater à la surface en un joyeux murmure. La forme de la flûte était aussi élégante que plaisante. Elle décorait bien la table et, pour tout dire, elle faisait fête [5].
La coupe, par contre, est indéfendable. La mousse s’y forme mal et ne tient pas, le bouquet se disperse. Cet instrument, écrit dans le numéro de février 1979 de Cuisine et vins de France James de Coquet, offre l’inconvénient de vous verser votre breuvage jusqu’à la commissure des lèvres et presque sur le nez. Pour ne pas être inondé et ne boire qu’une gorgée à la fois il faut être un yogiste distingué. Si la coupe est tenue par un Latin, elle l’empêche de parler car il ne peut plus se servir de sa main pour souligner son discours, sous peine de voir le champagne se répandre sur sa manchette, rien de semblable n’étant à craindre avec une flûte ou un verre à champagne. La coupe facilite le service, mais son seul mérite réel est, comme la flûte, d’être associée au champagne dans l’esprit du public et d’éveiller de ce fait par sa seule présence l’idée de fête, à tel point que dans certains milieux, en Angleterre notamment, on est déçu lorsqu’elle est remplacée par d’autres verres pour le service du champagne. Il vaut mieux, certes, boire le champagne dans des coupes que de ne pas en boire du tout mais, cette considération mise à part, on pourrait souhaiter que soient envoyées à la casse les coupes qui restent dans les buffets garnis par les anciennes générations, en faisant peut-être exception pour les coupes à jambe creuse qui, bien que difficiles à nettoyer, sont plus satisfaisantes si elles ne sont pas trop évasées.
Vers 1930, on a commencé à utiliser pour boire le champagne un nouveau verre constitué par un récipient en forme d’œuf tronqué à une extrémité, supporté par une jambe pleine allongée, ce type ayant d’ailleurs, dès 1916, figuré très exactement dans la collection des Cristalleries de Baccarat. C’est aujourd’hui le verre à champagne classique. C’est sous ce nom qu’il est indiqué dans les catalogues des verreries et il a été adopté dans le monde entier. Il faut cependant se méfier d’une confusion qui peut se produire dans sa désignation dans la langue anglaise, où le verre à champagne se dit ordinairement tulip-shaped glass et la coupe champagne glass.
Le verre à champagne est assez allongé pour que l’on puisse admirer les bulles et la mousse, et assez vaste pour que soit rétablie la logique que Gabrielle, la gantière de La Vie Parisienne, estimait offensée quand elle chantait sur une musique d’Offenbach [6] :
Ce que je ne m’explique guères
C’est pourquoi l’on boit à Paris
Le mauvais vin dans les grands verres
Et le bon vin dans les petits.
Le verre à champagne est assez ouvert pour que la dégustation soit possible et assez resserré pour que le bouquet soit concentré, mais aussi développé par l’effet de Venturi qui, dans un objet en forme de tuyère, se traduit par une accélération des filets d’air. En 1938 les ambassades américaines dans le monde furent dotées de verres spécialement dessinés par Walter Dorwin Teague, américain grand connaisseur du champagne.
Il y a différentes tailles de verres à champagne, mais pour qu’ils aient de la classe et remplissent bien leur office, il faut qu’ils soient suffisamment élancés. On peut considérer comme optima les dimensions suivantes : hauteur totale : 185 à 210 mm ; hauteur du récipient : 90 mm ; hauteur de la jambe : 95 à 120 mm ; diamètre de l’ouverture : 62,5 mm ; diamètre maximum du récipient : 74 mm ; diamètre du pied : 70 à 75 mm. La capacité utile d’un tel verre, rempli à 1 cm du bord, est de 22,5 cl. On peut servir avec une bouteille de champagne cinq de ces verres si on les remplit aux deux tiers, et huit si on les remplit à moitié.
Pomponne de cristal Biot
(20 cm de haut et 8.5 cm d’ouverture)
On se sert aussi pour le champagne du verre à dégustation. Comme son nom l’indique il est avant tout destiné au laboratoire, mais sa faible capacité le rend commode pour des réceptions nombreuses et sans grand décorum. Il a un récipient en forme de tulipe, posé sur une jambe de hauteur moyenne. Selon leur taille on peut, avec une bouteille de champagne, remplir 8 à 12 verres à dégustation.
Il existe un verre à champagne, le pomponne, qui ne peut se tenir par la jambe car il a la particularité de ne pas en avoir. C’est une flûte droite ou courbe, terminée par un anneau, une boule ou une olive en verre. On peut y voir une réminiscence du rhyton des Anciens, des cornes à boire des Gaulois qui, à l’origine, étaient les vases d’honneur de ceux qui avaient tué des aurochs, et des verres analogues trouvés dans des sarcophages mérovingiens. Il n’y a aucune trace du pomponne avant la fin du XIXe siècle. En 1867, Antony Réal n’en parle pas, bien qu’il ait inséré un chapitre documenté sur les verres dans son livre Ce qu’il y a dans une bouteille de vin. Aucune allusion, non plus, au pomponne dans les ouvrages si complets que Vizetelly a écrits sur le champagne. Il ne figure dans aucune des collections de verrerie des grands musées d’Europe ni dans les dictionnaires, pas plus d’ailleurs du XXe siècle que du XIXe.
Cependant, en mars 1875, les cristalleries de Baccarat ont créé une flûte dont le pied était remplacé par un anneau. Appelée verre flûte à anneau, elle était accompagnée d’une soucoupe en verre. Elle n’a pas dû se répandre rapidement car en 1894 Spire Blondel en ignorait l’existence. Voici en effet ce qu’il écrivait à Armand Bourgeois en se plaignant de ce que tous les verres à champagne ont un grand défaut, leur pied. Nous voulons, disait-il, boire le champagne dans un verre sans pied, ayant la forme d’une corne d’abondance. Cela étant, force sera de le vider, faute de ne pouvoir le poser sur la table ; de la sorte, on boira le vin frais, les lèvres trempant dans la mousse pétillante [7].
L’étymologie du mot pomponne est incertaine. Le verre qui porte ce nom étant encore inconnu au XVIIIe siècle, il n’y a aucune raison de le faire remonter, comme on l’a parfois prétendu, à la marquise de Pompadour ou au marquis de Pomponne, ou même à une chanson bachique de l’époque intitulée Le Curé de Pomponne. Il semble plausible, par contre, de le rapprocher du jeu de la pomponnette. Sans nommer le pomponne, Maurice Hollande en fait en 1952 la description en précisant qu’il servait à boire à la pomponnette [8], réjouissance pour laquelle, comme les participants buvaient si vite qu’ils n’avaient pas le temps de reposer leur verre, au dire de certains on se servait des vieilles flûtes dont la jambe avait été cassée accidentellement. Pomponne pourrait aussi provenir de pompette, ou mieux de pompon ; avoir son pompon signifie que l’on est ivre, ce qui peut bien arriver avec un verre sans pied que l’on est obligé de vider faute de pouvoir le reposer sur la table. En outre, cette sorte de verre se termine souvent en pompon.
Quoi qu’il en soit, ce fut seulement, semble-t-il, après la première guerre mondiale que le pomponne a commencé à être utilisé en Champagne. D’après Emile Moreau, il servait à la clôture des repas de fête ; d’après d’autres témoins, des contremaîtres et cavistes lui faisaient jouer le rôle de tastevin, et le gardaient sous la main soit en passant l’anneau dans le cordon de leur tablier, soit en le glissant dans la bonde d’un tonneau. Et c’est apparemment en 1962 que le pomponne a franchi les degrés de la hiérarchie sociale en étant offert à chaque spectateur du 32e gala de l’Union des artistes pour lui permettre de goûter le champagne servi au cours du spectacle. Il est en outre devenu l’emblème de l’Ordre des Coteaux de Champagne, qui l’accompagne d’une soucoupe gravée à ses armes.
[1] Traité théorique et pratique du travail des vins, leur fabrication, leurs maladies. Fabrication des vins mousseux. Paris, 1873.
[2] Topographie de tous les vignobles connus. Paris, 1816, 1822, 1832, 1866 (Edition, revue et corrigée par C.E. Jullien).
[3] PASTEUR (Louis). Correspondance, réunie et annotée par Pasteur Vallery-Radot. Paris, 1951.
[4] Traité théorique et pratique du travail des vins, leur fabrication, leurs maladies. Fabrication des vins mousseux. Paris, 1873.
[5] OMBIAUX (Maurice Des). Le Vin. Paris, 1928.
[6] MEILHAC et HALÉVY. La Vie Parisienne.
[7] Opinions sur le vin de Champagne, adressées à Monsieur Armand Bourgeois par diverses personnalités littéraires et artistiques. Châlons-sur-Marne, 1894.
[8] HOLLANDE (Maurice). Connaissance du Vin de Champagne. Paris, 1952.