Une interview de Globe-trotters du champagne
La notoriété mondiale dont jouissent les vins de Champagne est le résultat d’un inlassable travail réalisé avec courage et passion par des personnages qui appartiennent maintenant à l’Histoire du Champagne : Heidsieck, Clicquot, Pommery, Bollinger etc... Fort heureusement ils eurent des successeurs.
Pierre Lanson n’a pas le culte de son nom, mais il aimait faire connaître le nom de sa Marque à travers le monde. Plusieurs millions de bouteilles par an ! Il ne suffit pas de les élaborer, encore faut-il les vendre intelligemment ! Le négoce est peut être devenu un atavisme champenois depuis les grandes foires Champenoises de jadis ? Notre situation géographique de carrefour de l’Europe est une incitation à sortir de nos frontières !
Au contact direct des clients :
"Mon père tenait à ce que nous apprenions à suivre chaque étape de l’élaboration de notre vin : personnellement je suis même allé jusqu’à la table du client... J’ai même expérimenté le métier de barman au Grosvenour House à Londres ".
Durant une trentaine d’années, notre homme vivait un jour sur trois loin de chez lui pour "présenter la Maison sous son meilleur jour". II avait le goût du commerce, celui du contact. Quant aux "relations publiques" (dont tout le monde à présent se gargarise) "utilisons les lorsqu’elles ont un effet direct sur les ventes ! ".
Pierre LANSON comptait parmi ceux qui ont su ouvrir de nouveaux marchés aux vins de Champagne. "Cela débuta durant la guerre d’Algérie, où il obtint de livrer du LANSON avec des camions militaires à la condition toutefois d’en rembourser l’essence... et le GMC de l’époque consommait énormément !" Sa mémoire s’anime et se fait plus précise. Son plus beau souvenir ? "Mille caisses vendues d’un coup au Night-Club d’ORAN appelé "les Champs-Elysées" en 1956 !" Sa fierté ? le marché des Caraïbes et plus particulièrement les DOM-TOM. En Guadeloupe, en 1958, Lanson vendait deux cents caisses en tout et l’ensemble de la Champagne à peine mille . "Quelques années plus tard nous en avons expédiés jusqu’à 180 000 !"
Mais Pierre Lanson a aussi d’autres sujets de satisfaction. "En douze ans de travail acharné en Afrique noire, nous sommes passés de vingt mille bouteilles par an à deux cent quatre-vingt mille au début des années 70 !" Tout cela, représente beaucoup d’énergie, d’heures de veille, et d’efforts, pour des résultats parfois décevants mais jamais inutiles : l’implantation et la notoriété d’une Marque repose sur un travail permanent réalisé en profondeur et à très long terme.
Des aventures et mésaventures
Pas de doléances ! Avec le temps, les mésaventures deviennent des aventures. Et les propos de Pierre Lanson de devenir pétillants. On le suit partout, tenace et drôle, mallette et la flûte à la main, aimable soldat de la prospérité champenoise.
On atterrit avec lui, sous les rafales d’armes automatiques, à Lomé (Togo), où l’avion rembarque un chargement de ministres en fuite. On l’imagine lançant sa chaussure pour faire fuir un rat d’hôtel surpris dans sa chambre, où il se réveille en sursaut. On parcourt derrière lui la cité minière de Ciudad Bolivar (Vénézuela), sur les rives de l’Orénoque, où beaucoup de clients étaient d’anciens bagnards évadés de Cayenne. Les bustes de Napoléon qui trônaient dans les Maisons de Négoce rappelaient les origines corses de ces lointains cousins français.
On sourit à l’évocation d’un hall d’hôtel en flammes où tous les occupants se retrouvent en chemises de nuit (à fleurs pour certains) exprimant leur angoisse en langues variées.
"Quel merveilleux métier que celui de Négociant champenois ! La prospérité "incroyable" ne nous aurait-elle pas un peu fait perdre de vue les contraintes du commerce international ?" Pour Pierre Lanson, la situation difficile que traverse parfois le Champagne est une invitation pressante à reprendre plus activement que jamais les tours du monde. La clientèle présente et future exige que la gloire du Roi des Vins lui soit régulièrement chantée sur les lieux mêmes de consommation et par d’authentiques champenois. le métier de barman au Grosvenour House à Londres ".
Bernard de La Giraudière est un gentilhomme : dans un autre siècle, il aurait joyeusement croisé le fer ou couru les mers. Mais dans le nôtre il a choisi de consacrer sa vitalité à exporter le plus beau fleuron de la viticulture française.
Un choix passionnel
Après quelques années au CIVC Bernard de Nonancourt l’a coopté pour participer à l’heureuse aventure Laurent-Perrier. "II y a champagne et champagne. J’ai choisi de servir la légende plutôt que la facilité, et je l’ai fait autant pour m’amuser que pour le "challenge".
Le discernement du recruteur était efficace : parlant anglais comme il respire, notre homme était parfaitement armé pour implanter Laurent-Perrier bien au-delà de la zone francophone. "Pendant vingt-cinq ou vingt-six ans, je n’ai pas beaucoup pris le temps de regarder derrière moi ! Laurent-Perrier qui produisait un million de bouteilles en 1966, en élabore à présent plusieurs millions par an, dont plus de la moitié sont exportés..."
De merveilleux souvenirs
Des anecdotes ? Mais elles sont le tissu même du quotidien de l’exportateur. Le voyage est une suite sans fin de petites mésaventures pas toujours drôles !
Et Bernard de La Giraudière d’évoquer quelques souvenirs : en avion au Venezuela, il fait un atterrissage de fortune en urgence à Maracaïbo. Le pilote avait oublié de faire le plein avant de décoller...
Regagnant très tard sa chambre dans un bon hôtel de Fort-de-France, il doit négocier son lit avec un voyageur que l’hôtelier avait en son absence installé par erreur à sa place...
A Mexico, un Américain fait irruption dans sa chambre d’hôtel et lui demande asile : des tirs à balles réelles provenant d’une rue en émeute rendaient la sienne inhospitalière...
Au Paraguay, il découvre qu’un sympathique client au prénom castillan et au nom allemand s’est discrètement exilé d’Allemagne en 1945... Et ainsi de suite...
Et un bel idéal
Bernard de La Giraudière rompt le fil agréable de ses souvenirs et devient grave. "Au-delà de tout ce qui est bien futile, notre objectif, à nous les globe-trotters du champagne, c’est de nous glisser dans des cultures et des traditions différentes : nous devons comprendre les autres". Sa solide expérience à cet égard lui a appris que souvent, "l’image du champagne précède le goût du champagne". D’où l’importance pour la prospérité champenoise de continuer à progresser vers l’excellence de la qualité du vin d’or pâle, et d’entretenir ce qu’on appelle son mythe. "C’est le sens de la part que nous prenons au sein des Grandes Marques de champagne qui sont les locomotives de la profession toute entière". Pour Bernard de La Giraudière, la seule logique du compte d’exploitation serait tyrannique et, à terme, appauvrissante. "Laurent-Perrier n’aurait jamais fait tout ce qu’il a réalisé pour le champagne si nous n’avions pensé qu’en termes financiers". II n’a pas besoin d’ajouter, (parce que c’est implicite) que sans plaisir, il n’aurait pas non plus fait tout cela ! Anachronique Bernard de La Giraudière ? Sûrement pas. Idéaliste plutôt comme tous ceux qui sont passionnés par ce qu’ils font. "Le plus beau cadeau que nous pouvons faire à la communauté champenoise est de maintenir et de diffuser ses valeurs. Nous en sommes à la fois les garants et les étendards !"
Rémi Krug fait partie de la cinquième génération d’une famille dont le nom évoque le prestige du champagne. Globe-trotter de la Maison, il est autant que son frère Henri, attaché à la continuité d’une famille qui s’est consacrée à élaborer un vin pour "happy few", un vin qui ne séduit pas par un engouement de mode, mais qui, comme l’Appellation, se veut éternel. Un vin qui s’exporte pour l’essentiel contribuant ainsi au prestige de l’A.O.C.
Des voyages à objectif pédagogique
"Le voyage est une tradition en Champagne". II est aussi une nécessité pour un produit de luxe exceptionnel qui a besoin d’Ambassadeurs, comme tout souverain régnant. L’ancêtre originaire de Mayence qui créa la Maison en 1843 : Johann-Joseph Krug, fut à la fois un grand élaborateur et un grand voyageur. On va aujourd’hui plus loin et plus vite, mais il faut toujours accompagner la bouteille pour donner vie et intensité à la longue chaîne qui va des vignes au plaisir des sens.
"Je ne vends pas directement dans la mesure où je ne prends pas de commandes. Ma mission est surtout pédagogique : faire connaître les faits qui sont à l’origine du goût, les réalités qui préparent l’instant magique de la dégustation". Et Rémi Krug d’énumérer les diverses catégories de ses interlocuteurs un peu comme un homme de scène évoquerait ses différents publics. "Les forces de vente" en premier lieu, qu’il faut motiver et nourrir d’informations pour leur donner l’efficacité, la motivation et aussi les arguments. "Les professionnels" ensuite, c’est-à-dire les restaurateurs, les sommeliers, les cavistes, les grossistes, tous ces prescripteurs qu’il faut convaincre. Les journalistes qu’il faut séduire tout en respectant leur liberté d’expression. Enfin, "des consommateurs choisis, des amateurs de belles choses, des amoureux du vin". Et Rémi Krug ne cache pas les joies que lui procurent les échanges avec ces amis d’ailleurs. "Je prends un grand plaisir à tout cela". II ajoute comme pour s’excuser : "II est vrai que je suis l’ambassadeur d’un vin qui n’appelle que des sourires. J’ai le bon côté des choses !"
Avec une préparation minutieuse
La préparation de ses voyages, qui absorbe la moitié à peu près de son temps d’activité, est minutieuse. Les parcours, les rencontres, les repas et jusqu’aux menus sont arrêtés à l’avance. "Je m’efforce d’être économe de mon temps. Le but vise à répondre à une sollicitation d’informations beaucoup plus que d’inciter directement à la vente". Rémi Krug insiste sur la particularité de l’investissement en temps pour une Marque de champagne, qu’il situe "au sommet du petit créneau des cuvées de prestige". Une bouteille de "Krug Grande Cuvée" attend six ans en cave avant d’être fin prête à la consommation, et un flacon millésimé davantage encore. Or, cette lenteur qui fait pour une part la noblesse du Champagne Krug se retrouve pour que se déclenchent l’achat et la consommation.
Entretenir l’esprit "club" dans le Monde entier
"Nous avons autour du monde une centaine de milliers de consommateurs, cent cinquante mille peut-être..." Et Rémi Krug d’expliquer que cette communauté qu’il anime, "une élite de raffinement", est diverse mais unie par le goût. Le plaisir du vin est toujours le même et s’exprime par les mêmes mots."II rapproche ce plaisir de l’art qui réunit des gens différents, au-delà de la logique, du rationnel".
La force de ce lien permet d’oublier l’inconvénient du prix. Toutefois, il arrive que quelqu’un s’aventure à évoquer cet aspect des choses. Rémi Krug lui fait alors remarquer avec une assurance courtoise que "le prix s’oublie très vite lorsqu’on découvre l’émotion de la rencontre d’un grand vin !"
Vous l’aurez compris, la Maison Krug ne pratique pas une publicité tapageuse qui est (quoiqu’en disent les publicitaires) une communication anonyme. Le travail de son image se fait par des contacts personnalisés. Géographiquement, ses voyages emmènent Rémi Krug dans tous les pays de la Communauté Européenne, aux Etats-Unis, en Australie et en Asie du Sud-Est. On se prend à lui envier la tâche d’animer ce tissu de relations heureuses, ce village planétaire du raffinement et du bon goût, né du vignoble champenois.
Nos globe-trotters des temps modernes s’emploient à se montrer dignes de leurs illustres prédécesseurs. Ils contribuent ainsi à maintenir et à développer la notoriété de leurs vins et de l’Appellation Champagne dans le Monde entier.