UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Comment servir le champagne ?

Et voici qu’arrive pour chacun le moment de s’émerveiller, comme le faisait déjà au XVIIIe siècle Coffin, lorsqu’il écrivait dans La Champagne vangée :

D’abord à petits bonds, une mousse argentine
Etincelle, pétille et bout de toutes parts,
Un éclat plus tranquille offre ensuite aux regards
D’un liquide miroir la glace crystalline.

On remplit les verres, mais pas n’importe comment. Le service du champagne, comme l’ouverture de la bouteille, a son rituel. La bouteille de champagne se tient à pleine main comme on le fait pour les autres vins. On ne doit jamais la prendre par le col, c’est incommode et inesthétique. Le magnum et les grands flaconnages sont trop larges pour pouvoir être pris par le corps ; on les sert donc en les saisissant d’une main par le fond, le pouce introduit dans l’évasement et les autres doigts allongés sous la base du fût, l’autre main soutenant le goulot, procédé d’ailleurs parfois utilisé en Champagne pour le service de la bouteille de taille normale. Il existe des anses à magnum, en général en métal argenté, avec deux cercles enserrant la bouteille par son col et son corps, réunis par une tige que l’on tient pour le service. Les très grosses bouteilles se servent en plaçant la partie inférieure dans la pliure du bras droit, la main gauche appliquée au col, ou inversement.
Il n’est pas nécessaire d’utiliser la serviette pour verser le champagne, si la bouteille a été essuyée à la sortie du seau à glace. Certains considèrent cela comme faisant partie de la tradition champenoise mais en réalité il n’en est rien. Passe encore de la disposer avec art autour du col de la bouteille, quoique Jean Cocteau apparemment n’appréciât pas cette manière de faire puisqu’il écrivait : Je voudrais peindre une de ces tables aux nappes de neige autour de laquelle s’empresse un maître d’hôtel à favoris d’amiral. Seule la bouteille de champagne porte sa serviette mise, à la mode française, autour du cou, et le reste est correct [1].
Mais la serviette, en tout cas, ne doit jamais cacher l’étiquette car celle-ci est la signature du producteur et elle doit absolument être visible, pour son honneur comme pour la fierté du consommateur. Il en est de même pour les autres attributs décoratifs de la bouteille qui, outre leur charme, ont aussi valeur d’identification. Si on estime nécessaire d’utiliser la serviette, il faut donc impérativement faire en sorte qu’elle ne recouvre pas l’étiquette, la meilleure manière étant de la tenir pliée sous le corps de la bouteille, avec la marque bien en vue sur la partie opposée.
Le champagne se verse près du verre pour favoriser la formation du cordon et en même temps éviter l’excès de mousse. Pour la même raison, dans l’intimité, la personne que l’on sert peut incliner son verre. Elle ne le fera pas si elle veut assister, et pourquoi pas ? au spectacle d’un petit Niagara s’y précipitant et y perdant progressivement son écume. Si elle incline son verre, la tâche de celui qui verse le champagne s’en trouvera facilitée et elle jouira du plaisir délicat de voir un fin collier de mousse se former lentement et le cortège des bulles persister longtemps. Toujours dans l’intimité, on pourra porter plaisamment son verre à l’oreille, et écouter le joyeux murmure produit par la retombée des gouttelettes projetées par le gaz carbonique et par la dissolution de la mousse.
Si on doit servir plusieurs verres, il est commode de les remplir simultanément en versant dans chacun d’eux, l’un après l’autre et à deux ou trois reprises, un peu de champagne dont la mousse sera éteinte au passage suivant. On évitera ainsi d’en répandre en dehors des verres, tout en gagnant du temps. De toute façon, au restaurant, le préposé au service du champagne n’oubliera pas de compléter le verre de l’hôte après avoir servi ses invités, ce que l’on oublie trop souvent de faire.
Il est fortement recommandé de ne remplir les verres qu’à moitié ou, au plus, aux deux tiers, et de les maintenir au niveau choisi en les recomplétant fréquemment afin que le spectacle de la joyeuse ascension des bulles, le travail du vin, puisse être permanent. Si un verre vide est attristant, un verre plein manque d’élégance : in medio stat virtus. Dans un verre très rempli, le niveau du vin est trop proche de l’air ambiant pour que l’on puisse jouir du bouquet qui, au contraire, se concentre dans un verre à moitié plein. En outre, le champagne a toutes les chances de déborder si on verse exagérément, et ensuite de se réchauffer, tout au moins pour l’amateur qui, sachant l’apprécier, ne le boira pas d’un seul coup, une gorgée étant en elle-même un régal.

Dans un repas, si on offre successivement plusieurs champagnes, on n’oubliera pas de changer de verres ; il n’y a pas plus de raison de boire dans un même verre un millésimé corsé après un blanc de blancs qu’un bâtard-montrachet dans sa plénitude après un jeune chablis. On sera également attentif à choisir le moment opportun pour servir chacun d’eux. En particulier, s’il doit y avoir un champagne dosé en fin de repas, il ne devra être dans les verres qu’une fois le dessert dans les assiettes, afin d’éviter un contraste trop grand avec le brut qui le précède.
Il y a lieu de tenir compte également des délais du service pour avoir chaque champagne disponible en temps utile à la bonne température. Le problème se pose d’une façon analogue pour les vins d’honneur. Combien de champagnes ont été bus tièdes à cause d’un trop long discours ! La solution est difficile à trouver, le mieux étant chaque fois que c’est possible de servir discrètement le champagne pendant l’allocution, très froid, pas trop tôt pour qu’il n’ait pas le loisir de se réchauffer excessivement, mais à temps pour être au moment du toast dans tous les verres, et en tout cas dans celui de l’orateur.
Tout cela est la responsabilité du sommelier, partout où il est en fonctions, et il faut lui faire confiance car il est en général parfaitement compétent. Lorsqu’un établissement n’a pas de sommelier, le maître d’hôtel doit avoir l’œil sur les bouteilles et veiller à ce que celles qui sont vides soient remplacées sur-le-champ [2].
Dans un restaurant, le sommelier, ou à défaut le maître d’hôtel ou le patron, ont vis-à-vis du champagne un rôle très important puisqu’il est chargé de son achat, de sa conservation, de son service. C’est lui également qui établit la carte des vins, sur laquelle, d’après la réglementation française, les champagnes et les vins mousseux doivent figurer dans deux rubriques différentes. Il lui appartient aussi de conseiller le client sur le choix des champagnes, avec des commentaires techniques toujours appréciés des amateurs. Lorsqu’il assure le service du champagne dans un grand repas, le sommelier indique à voix basse à chaque invité les caractéristiques du champagne (par exemple : blanc de blancs 1973), précédées de la marque. C’est une habitude ancienne qu’il serait regrettable de voir disparaître. Elle fait partie des règles édictées pour le service des vins par Jacques Gandouin dans son Guide du protocole et des usages de 1972.
Que faire d’une bouteille ouverte et non terminée ? Horace Raisson écrivait il y a 150 ans dans son Code Gourmand que laisser une bouteille de champagne en vidange, c’est se faire à soi-même une impolitesse. Il arrive cependant que l’on n’aille pas au bout de la bouteille et qu’elle soit gardée pour être finie dans une autre circonstance. Dans ce cas, elle retiendra son gaz et pourra être utilisée dans un délai de quelques jours si on la rebouche immédiatement avec un bouchon spécial, métallique, muni d’une rondelle de caoutchouc qui s’applique sur le goulot et y reste comprimée par l’action de deux griffes prenant appui sous la bague. C’est ce que l’on appelle le bouchon stoppeur, déjà signalé en 1899 par Feuerheerd sous une autre forme (screw-tap, cannelle à vis) [3]. Quant à la petite cuillère qui, placée dans le col de la bouteille, est censée éviter la perte du gaz, il s’agit là d’une croyance populaire sans aucun fondement scientifique... et sans résultat pratique.

Notes

[1COCTEAU (Jean). Portraits-Souvenir. 1900-1914. Paris, 1935.

[2GRIMOD de la REYNIÈRE (Laurent). Manuel des amphitryons. Paris, 1808.

[3FEUERHEERD (H.L.). The Gentleman’s Cellar and Buller’s Guide. Londres, 1889.