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L’organisation des transactions entre les Vignerons et les Maisons

L’histoire d’un partenariat gagnant-gagnant

Le vendeur et l’acheteur d’une marchandise ont a priori des intérêts opposés. Pour le premier, l’enjeu est de vendre sa marchandise dans les conditions les plus avantageuses pour lui, notamment au prix le plus élevé possible. Pour l’autre, le but est d’acheter celle-ci au prix le plus bas et d’en disposer à sa convenance, selon ses besoins du moment. Acheteurs et vendeurs sont par nature rivaux... à moins qu’un intérêt commun ne les amène à entrer dans une logique de partenariat.
EnChampagne, acheteurs et vendeurs de raisins ont compris, au fil du 20e siècle, qu’ils avaient plus intérêt à surmonter leur logique individuelle pour travailler ensemble à la régulation de leur marché qu’à s’opposer dans une logique de perdant/gagnant. Un exercice difficile car il faut savoir surmonter la logique du court terme, mais qui a démontré jusqu’ici son efficacité.

La co-gestion de l’appellation par le négoce et le vignoble s’est construite peu à peu dans un contexte difficile. Historiquement, l’offre de raisins n’est pas régulière en Champagne à cause des aléas climatiques. Jusqu’à la fin des années 1980, les petites récoltes sont fréquentes. Elles sont plus rares aujourd’hui, mais la nature sait encore rappeler qu’elle peut réduire un potentiel de récolte de moitié du jour au lendemain. Si la météo est capricieuse, les marchés le sont aussi. Parfois ils s’envolent, parfois ils sont en récession. Lorsque la conjoncture commerciale et la conjoncture de production ne convergent pas, il s’ensuit des crises de pénurie ou de surproduction. À court terme, la surproduction est favorable à l’acheteur qui peut faire baisser les prix d’achat. La pénurie, quant à elle, bénéficie au vendeur qui, profitant d’une offre inférieure à la demande, va pouvoir faire monter les enchères. Mais, dans le cadre d’une vision à moyen et long terme, l’alternance de pénuries et de surproduction ne bénéficie finalement à personne : celui qui gagne un jour perdra le lendemain.

Par ailleurs, toute entreprise à intérêt à assurer la régularité de ses revenus, de ses charges, et de ses approvisionnements. Les effets de ciseaux sont généralement douloureux.

La vendange est le point culminant des relations vendeurs-acheteurs

À partir de 1911, les Champenois inventent le dialogue collectif et des outils de régulation

Peu à peu, dès le début du 20e siècle, vignerons et négociants champenois, confrontés alternativement aux aléas de production et aux aléas économiques, essayent d’inventer ensemble des outils pour réguler leur marché. Pour organiser un marché, il faut un niveau de prise de décision collective : la première étape est franchie en 1911 avec le principe d’une rencontre annuelle des représentants du négoce et du vignoble. Ce premier dialogue inter-syndical a pour objectif de déterminer le prix du raisin par commune. Un instrument est alors inventé pour simplifier la discussion : l’échelle des crus.

La crise de 1929 interrompt ces premiers efforts de concertation. Pendant cette crise, le Préfet est amené à fixer un prix minimum du raisin. Puis, en 1935, la commission de Châlons est instaurée. Instance composée de représentants du négoce et du vignoble, elle a pour mission de fixer un prix minimum des raisins et des vins clairs. Ces prix sont ensuite rendus obligatoires par arrêté préfectoral. En 1938, la commission décide de la première mesure de blocage, alors que la récolte est trop abondante par rapport aux besoins du négoce.

Entre les deux guerres, l’économie du champagne doit faire face à une grave crise, due aux effets conjugués d’une régression des ventes et d’une augmentation des récoltes. Il est décidé d’agir sur la demande : en 1922, les Champenois constituent le comité de propagande des vins de Champagne, chargé d’organiser des manifestations commerciales, de diffuser des affiches publicitaires, de recevoir des journalistes...

Sous l’Occupation, en 1940, les représentants du négoce et du vignoble obtiennent la création du bureau national de répartition des vins de Champagne, dont les décisions s’imposent aux vignerons, coopératives, négociants, centres de pressurage et courtiers. Un an plus tard, le CIVC est constitué, dont le rôle est notamment de répartir entre les négociants les récoltes et d’établir le prix du raisin. À la Libération, les Champenois souhaitent conserver cette institution qui sera désormais le cadre permanent de concertation entre le négoce et le vignoble.

De l’économie administrée au semi-libéralisme

À la fin des années 1950, les Champenois inventent un système très original pour organiser leur marché interne : celui du « contrat interprofessionnel ». L’objectif est de mettre en place un dispositif qui permette :

  • au producteur d’avoir la ga­rantie de ses débouchés ;
  • au négociant d’avoir la garan­tie de son approvisionnement ;
  • et d’éviter les jeux de yo-yo sur les prix, préjudiciables au vendeur, à l’acheteur et au consommateur.

Il s’agit d’un contrat collec­tif, mis au point par le CIVC, auquel négociants et vignerons décident individuellement de souscrire. En signant, ils « s’engagent » :
Les négociants s’engagent auprès de l’interprofession à acheter chaque année, pour une durée couvrant plusieurs vendanges, une quantité de raisins ou de vins correspondant à un pourcentage librement choisi du volume de leur vente.

Cet engagement peut monter jusqu’à 120 %.

  • Les vignerons s’engagent de leur côté à vendre au négoce un pourcentage de leur récolte pouvant aller jusqu’à 100 %.
  • Les transactions se font au prix et conditions (prix, échéances de paiement, blocage, déblocage...) définies par décision du CIVC. La récolte « engagée » est répartie par celui-ci entre les négociants « engagés ».
  • Les excédents de récolte (par rapport à l’engagement du négoce) sont achetés par une SARL, la « société d’intervention de la Champagne Viticole », qui les revend lorsque le marché en a besoin. Dans les années 1980, le système du « blocage » vient remplacer la société d’intervention.
  • Une méthode est fixée pour la détermination annuelle du prix du raisin : celui-ci doit être égal à un certain pourcentage du prix de la bouteille vendue par le négoce (28 % dans le ier contrat, 32 % dans le deuxième, 36 % dans le troisième et le quatrième, 34 % dans le cinquième), auquel on ajoute un coefficient de conjoncture.

Sur une période de 30 ans, cinq contrats interprofessionnels se succèderont. Mais, petit à petit, le contrat devient de plus en plus complexe, cherchant à favoriser ceux qui « s’engagent » par rapport à ceux qui « spéculent ». Ainsi, l’interprofession invente-t-elle la prime d’engagement, financée par une redevance prélevée sur les achats des raisins et une taxe sur les achats de vins clairs et de vins sur lattes.

En 1990, un sixième projet de contrat interprofessionnel est travaillé par le CIVC... avant d’être finalement mis au panier. Depuis plusieurs années en effet, on observait une volonté des opérateurs de revenir à des relations contractuelles individuelles. La « répartition » des raisins par l’interprofession était notamment remise en cause, chacun voulant choisir son partenaire.

Le CIVC invente alors ce qu’on appelle à l’époque « l’organisation semi-libérale » : le contrat collectif disparaît. Désormais le CIVC fixe des conditions d’organisation du marché qui s’imposent aux contrats signés « en direct » entre acheteurs et vendeurs.

De 1990 à 2004 : la régulation dans un marché de plus en plus libéral

La première « organisation interprofessionnelle » (campagnes 1990, 1991 et 1992) ressemble beaucoup aux contrats interprofessionnels.

Henri Macquart et Jean-Michel DucellierElle prévoit notamment :

  • la fixation par l’interprofession d’un prix « indicatif » proposé aux contractants ;
  • le paiement du raisin en quatre échéances ;
  • le plafonnement de l’approvisionnement des négociants pour limiter la concurrence entre les acheteurs ;
  • l’enregistrement des transactions par le CIVC grâce à des bordereaux de transaction ;
  • un mini système « d’engagement » est mis en place pour ceux qui le souhaitent.

Ce dispositif fut globalement reconduit en 1993, dans un contexte de crise. Baisse du prix du raisin et blocage drastique sont alors à l’ordre du jour de cette période difficile.

En 1996, l’organisation signée par les deux présidents du CIVC engage la Champagne dans un partenariat de reconstruction : l’enjeu affiché est alors de favoriser la sortie de crise et de préparer l’envolée commerciale conjoncturelle liée au changement de millénaire. Le recours au blocage est systématisé sous le nom de « réserve qualitative ». Le SGV obtient alors du négoce une revalorisation anticipée du prix indicatif en contrepartie d’un engagement du vignoble à limiter les surenchères sous la pression de la demande du millénaire.

En 2000, sous la pression de l’Europe libérale (qui interdit la pratique de fixation de prix « indicatifs »), l’interprofession renonce à donner une indication de prix aux opérateurs. Le prix indicatif est remplacé par un prix « constaté »... Mais, peu à peu, il apparaît de plus en plus difficile de constater un prix du raisin correspondant à la réalité du marché, du fait de la multiplication des primes, des cadeaux et des prestations en tout genre non déclarés au CIVC.

En 2004, le constat du prix est confié aux courtiers, dont le syndicat édite désormais chaque année une mercuriale sur la base des facturations, plusieurs mois après la vendange. Dan le souci de disposer d’une meilleure connaissance du marché, le CIVC impose le dépôt de tous les contrats individuels (contrats et avenants). Un modèle de contrat interprofessionnel (mais pas collectif) est rédigé par le CIVC comprenant des clauses-types obligatoires devant être reprises dans les contrats particuliers.

En 2008 : préserver la paix champenoise

Depuis quelques années, afin de répondre à un marché très demandeur, le recours au déblocage pour compléter la récolte s’est imposé presque tous les ans dans une logique d’ajustement « à vue », pour éviter qu’une trop grande tension sur la demande fasse exploser les prix. En 2007, l’outil de régulation que constitue le blocage s’est encore affiné : la réserve qualitative est devenue « réserve individuelle », donnant plus de souplesse aux exploitants. Ceux-ci pourront désormais abonder à chaque belle récolte un stock régulateur de vins de réserve particulièrement utile à la gestion collective des marchés du champagne.

La récolte 2008 sera la dernière vendange incluse dans l’organisation interprofessionnelle signée en 2004 par le vignoble et le négoce. Dans le contexte d’un potentiel de production dont on connaît les limites pour une dizaine d’années, alors que les marchés sont très porteurs, les Champenois doivent maintenant imaginer comment ils vont « gérer » pendant cette période l’appétit individuel de croissance des entreprises et préserver la paix champenoise.

La Champagne Viticole n° 730, décembre 2007
Dossier réalisé par Catherine Chamourin

EVOLUTION THEORIQUE DES VENTES A L’HORIZON 2020
Plusieurs scénarios existent

Les surfaces en AOC plantables sont évaluées aux alentours de 34 000 ha (dont environ 33 500 plantées).
Concernant les rendements, même si le rendement maximum réglementaire du champagne est fixé à 15 500 kg/ha, il est illusoire, compte tenu des limites imposées par les aléas climatiques et les impératifs de qualité, d’imaginer une production moyenne sur plusieurs années consécutives supérieures à 13 000 ou 14 000 kg/ha.

412 millions bouteilles environ. Compte tenu des surfaces restant planter et des limites de rendement/ha, le potentiel de production MOYEN maximum du champagne (en attendant le classement de nouvelles terres AOC) se situe entre 383 et 412 millions de bouteilles environ.

  • Si les expéditions de champagne évoluent de 4 % par an à partir des ventes 2006, les limites du potentiel de production seront atteintes aux alentours de 2011-2012.
  • A 3 % d’évolution annuelle, on atteint les limites vers 2013-2014.
  • A 2,5 %, c’est entre 2015 et 2016 qu’on bloque.
  • A 1 % d’évolution annuelle, la Champagne a le temps de voir venir. Or, selon les derniers chiffres communiqués par le CIVC, à ce jour, l’évolution des expéditions par rapport à la même période en 2006 est de + 6 %. Si ce rythme se poursuit, on rapproche l’échéance.

Tel est le problème posé à l’interprofession : on ne peut pas vendre ce que l’on ne peut pas produire. D’ici quelques années, selon la conjoncture économique et commerciale, le champagne risque de se heurter aux limites de son potentiel de production. Dans le contexte de marchés très dynamiques, la limite pourrait être très vite atteinte. Cette situation génère des tensions, des surchauffes et des surenchères qui pourraient très vite faire basculer le vignoble champenois dans une crise commerciale, ou provoquer une concurrence redoutable et destructrice entre les opérateurs sur le marché des raisins. Peut-on modérer la croissance des ventes ? Peut-on accompagner celle-ci avec les outils existants (réserve individuelle, blocage-déblocage) ? Comment répartir la croissance entre des opérateurs ayant tous un gros appétit ? Comment organise-t-on les marchés du champagne pour limiter les dérives et préserver une diversité de vignerons, de coopératives et de négociants ? Telles sont les questions posées aux représentants du vignoble et du négoce au CIVC, à l’heure des réflexions sur la prochaine organisation interprofessionnelle des marchés internes du champagne.