LE DÎNER DE BABETTE
Babette, une Française réfugiée en Norvège, est au service de deux vieilles filles. Elle vient de gagner à la loterie et elle a obtenu de ses patronnes de faire à ses frais un dîner français pour le centième anniversaire de la naissance de leur défunt père, qui était pasteur et avait fondé une confrérie religieuse aux règles austères. Sont invités au dîner les membres de la confrérie et un voisin, le général Löwenhielm.
Le serveur remplit les verres une fois de plus. Cette fois, les frères et les sueurs reconnurent que ce qu’on leur versait n’était pas du vin, car le liquide pétillait : ce devait être une espèce de limonade. Cette limonade convenait parfaitement à l’exaltation de leurs esprits ; ils avaient l’impression qu’elle les emportait au-delà de la terre, dans une sphère plus pure, plus éthérée.
Le général Lôwenhielm déposa son verre et, se retournant vers son voisin, lui dit : « Voilà certainement du Veuve Clicquot 1860 ! »
Le voisin lui adressa un sourire amical et lui parla du temps qu’il faisait.
Le serveur de Babette avait reçu des ordres précis : il ne remplit qu’une seule fois les verres de la confrérie, mais il remplissait celui du général dès qu’il était vide. Or, le général le vidait coup sur coup. [...1
Le général comprit que le moment était venu de faire un discours. [...] Les vieux membres de la communauté [...] étaient accoutumés à voir des marin. et des vagabonds ivres morts par l’effet de la grossière eau-de-vie de
pays, mais ils ne reconnaissaient pas chez le brillant soldat, qui fréquentait les cours princières, les traces de l’ivresse due au plus noble vin du monde.
1958 Traduit du danois.