UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Qui t’as fait roi ?

Les Maisons s’opposent aux marchands de vins

Le piège tendu aux Champenois est là, et ce piège est d’autant plus difficile à déjouer qu’il est tentant. La concurrence de vins champagnisés en Bourgogne ou en Touraine menace évidemment l’économie champenoise, mais la pression de cette concurrence n’est pas sans contrepartie pour les négociants, ou du moins pour certains d’entre eux.

La prospérité qui commence attire de nouveaux venus, moins sensibles à l’intérêt de la Champagne qu’à leur propre enrichissement. Deux camps se dessinent : celui des Maisons aux racines champenoises qui ne dissocient pas leur prospérité de celle du berceau du terroir d’une part, et celui des marchands de vins nouveaux venus, aspirés par la richesse marchande et dont le lien avec la terre n’est pas encore établi d’autre part.

D’un côté, les Chefs de Maisons, souvent venus de Rhénanie, sont devenus propriétaires de vignobles, et se sont attachés de façon essentielle à la terre. Proches des vignerons, ils en partagent les soucis.

Au contraire de ces Maisons de Champagne, qui sont le plus souvent propriétaires de vignobles et toujours profondément enracinées dans le terroir, les marchands de vins, ne l’oublions pas, sont des commerçants (parfois seulement des vinificateurs), mais non des vignerons. Leur attachement à la terre est réel mais ils ne sont pas seulement paysans. Ils peuvent donc être tentés de faire venir en Champagne, pour les traiter à la champenoise, des raisins du midi par exemple, bon marché et d’un excellent rendement.

Ces nouveaux arrivants qu’attirent en nombre les perspectives commerciales qui s’ouvrent au négoce des vins, aspirent moins à un enracinement terrien qu’à la réussite marchande. En fait, ils cherchent fortune et sont partagés entre l’intérêt du monopole régional qui leur garantit une prospérité sereine, et celui, inverse, de la libre concurrence nationale qui leur promet l’expansion sur l’espace de la France, et même au-delà.

Or, la force d’aimantation de chacun de ces deux pôles du succès marchand contrarie l’autre, rendant le choix difficile, sinon impossible, aux agents désorientés d’une économie au magnétisme incontrôlable. Les marchands de vins nouveaux venus sont plus ou moins condamnés à penduler dans le champ des forces mêlées du libre enrichissement, en cherchant dans la contradiction et dans la querelle, à s’attirer des avantages et à s’éviter des désavantages qui désormais vont en tous sens.
La liberté du commerce est, comme toute liberté, déroutante.

La lutte sans règle se révèle complexe. Elle met des marchands de vins qu’une histoire ou un vignoble n’attachent pas à la
Champagne, dans une situation ironique : ils risquent de se perdre dans l’île au trésor dont les Bénédictins, le Roi et les Révolutionnaires, de façon inouïe, ensemble leur ont offert...