UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Les marchés extérieurs

1. PARTICULARITÉS DE L’EXPORTATION DU CHAMPAGNE

Jusqu’à la première guerre mondiale, l’économie du champagne, on l’a vu, était axée principalement sur l’exportation. Beaucoup d’étrangers fortunés avaient compris que le vin pétillant provenant des coteaux de la Champagne était de l’esprit français en bouteille et souhaitaient se le procurer régulièrement. Il était donc normal de faire effort pour le leur fournir, et cela d’autant plus que l’exportation était alors souvent rémunératrice. Les guerres, la vague prohibitionniste, les restrictions de toutes sortes et de fortes taxations à l’importation réduisirent les ventes à l’étranger et, comme on le sait, les proportions se trouvèrent inversées entre les deux guerres, le marché français devenant de beaucoup le plus important.
Si la preuve est ainsi faite qu’il était trop absolu d’écrire dans le Vigneron champenois de septembre 1945 que le champagne étant un vin d’exportation, la Champagne ne sera prospère qu’autant que les expéditions iront pour les deux tiers au moins à l’étranger, il reste que sa vocation exportatrice est loin d’être éteinte, comme le prouvent les chiffres des ventes à l’extérieur ; elle est, en réalité, une nécessité.
L’exportation du champagne a son rôle à jouer dans l’économie nationale. Si sa part dans le commerce extérieur français est plus modeste que ne le laisserait supposer son immense audience à l’étranger, en valeur elle représentait tout de même en 1981 environ 0,4 % des exportations totales, 2,3 % des exportations agricoles, 25 % des exportations vinicoles et 31 % des exportations de vins à appellation, à la première place devant les vins de Bordeaux. Le champagne apportait alors en devises l’équivalent d’une semaine de la facture pétrolière. Il représentait environ 15 % des exportations de la région Champagne-Ardennes et 33 % de celles de la Marne.
L’exportation est indispensable pour le maintien de l’image de prestige du champagne. Le renforcement de la présence du champagne sur les marchés extérieurs est un objectif prioritaire dont dépend, pour une large part, le rayonnement de notre produit, a-t-on pu lire dans le Bulletin trimestriel d’information du C.I.V.C. du 2e trimestre 1977. L’exportation est également nécessaire au bon équilibre de l’économie du champagne. Mettre tous ses œufs dans le même panier est toujours dangereux ; l’existence de nombreux marchés susceptibles de se développer permet de répartir les risques. L’exportation est enfin une assurance pour le maintien de la qualité, ainsi que l’avait fort bien exprimé dès 1931 Bertrand de Mun devant l’A.V.C. en disant : « De tous temps c’est l’ensemble des marchés étrangers qui nous a donné les amateurs les plus compétents, les plus fidèles de nos vins, et aussi les plus nombreux dès qu’il s’agit de vins de qualité. La France ne nous a jamais fourni qu’une clientèle très limitée de connaisseurs désireux et capables de payer des vins de qualité à leur prix normal. »

2. DIFFICULTÉS DE L’EXPORTATION

Ce serait cependant une erreur de croire que l’exportation est aisée et qu’elle est une source de grands profits. Les freins et les obstacles sont multiples.
Une première difficulté est celle qu’éprouvent les exportateurs à trouver et à conserver, dans certains pays, le créneau convenable et des intermédiaires actifs et intéressés, pour un produit, certes de prestige, mais souvent d’une importance commerciale mineure par comparaison avec d’autres boissons plus répandues.
En second lieu, des complications sans nombre proviennent de la réglementation particulière à chaque pays, portant sur le libellé des étiquettes et la hauteur de leurs caractères, les contre-étiquettes obligatoires, les déclarations, les formalités douanières, les licences d’importation, les documents d’accompagnement, les modalités de règlement, avec les risques d’erreurs que cela comporte. Les textes sont fréquemment modifiés et confinent parfois à la tracasserie, comme ceux concernant l’étiquetage obligatoire pour Abu Dhabi, qui doit comporter la contenance de la bouteille, le pays d’origine, la date de production et d’emballage, la composition du produit par quantité décroissante des ingrédients et la... date de péremption ! Et que dire des fluctuations des changes, des contingentements et, dans certains pays, de l’obligation de passer par des monopoles d’Etat ou de province, comme en Suède ou au Canada ?
En tout état de cause, l’exportation est chose toujours difficile et souvent décevante. Le cours des monnaies, favorable un jour, peut être défavorable le lendemain. Les marchés sont instables, avec des fluctuations fréquentes et d’importance, souvent imprévisibles. Ils sont, évidemment, influencés par les variations de la prospérité des pays intéressés, mais ils peuvent aussi s’enfler anormalement en raison d’achats spéculatifs ou de précaution, ou par suite d’importations parallèles en provenance d’autres pays, et décroître en proportion les années suivantes. Les marchés parallèles sont heureusement l’exception, mais ils portent souvent sur des champagnes mal conservés et revendus à vil prix. Ils faussent les circuits commerciaux, portent préjudice aux importateurs réguliers et déprécient l’image de marque du champagne. Les marchés peuvent aussi subir le contrecoup des tensions internationales, comme ce fut le cas dans les armées soixante lors de la guerre du poulet : les paroles que le général de Gaulle eut alors à l’adresse des Américains, et qu’ils jugèrent désobligeantes, eurent pour conséquence un début de boycottage du champagne, considéré comme le porte-drapeau de la France. En 1981 encore, le champagne fut retiré des vitrines de Marsala par les Siciliens, en réponse à l’interdit porté par le gouvernement français contre l’importation de certains vins italiens. Les exportations de champagne peuvent aussi être victimes de troubles sociaux, comme cela s’est produit dans les années soixante-dix lors des longues grèves des dockers de New York et de la Société des alcools du Québec. Les marchés les plus solides apparemment, ou les plus prometteurs, peuvent enfin disparaître du jour au lendemain, comme on l’a vu dans la première moitié du XXe siècle avec la perte des marchés de l’Europe de l’Est, ou encore en 1952 avec la fermeture de celui de l’Indochine, le 4e importateur de champagne en 1949 avec 1 million de bouteilles. Et ce peut aussi être le cas dans les pays en voie de développement, que des difficultés économiques amènent parfois à suspendre les importations de champagne.
Un problème délicat à résoudre est celui du prix de vente du champagne dans les pays étrangers. Le client considère qu’il achète un produit de luxe dont la qualité doit être irréprochable, mais pour lequel il n’est pas prêt à payer n’importe quel prix. Le champagne est vendu à l’exportation sans avoir à supporter la T.V.A., mais il est ensuite grevé de lourds frais de transport, d’un coût de distribution plus cher qu’en France, de taxes locales souvent prohibitives et, dans les pays à structure fédérale, payables aux deux niveaux de l’Etat et de la province, de droits d’accise, de droits de régie, de droits de douane parfois aussi importants que le coût du produit. Par exemple aux Etats-Unis, en 1972, les droits de douane étaient peu élevés, 3$ par caisse, mais les droits de régie se montaient à 8,16$ auxquels s’ajoutait la taxe de l’Etat, 41 cents dans le Wisconsin mais 7,36$ dans le Minnesota. Aux prix ainsi gonflés, il fallait ajouter une commission de 25 % à l’importateur, autant pour le grossiste et 50% pour le détaillant (200 à 300 % s’il s’agissait d’un restaurateur). En définitive, pour pouvoir vendre avec succès sur les marchés extérieurs, les exportateurs doivent serrer leurs prix et, en règle générale, diminuer leurs marges bénéficiaires.

3. LES ARTISANS DE L’EXPORTATION

Le commerce d’exportation est pour longtemps encore le fief des négociants, qui l’ont créé comme on le sait au XVIIIe siècle et surtout au XIXe. En 1983, ils ont assuré 95,8 % des ventes à l’étranger et malgré les difficultés que l’on vient de voir, et bien que les prix au départ des celliers soient souvent inférieurs à ceux pratiqués pour le marché français, ils œuvrent pour maintenir et accroître leurs débouchés en pays étrangers. Toutes les maisons ne sont pas exportatrices mais toutes les grandes marques le sont, pour 40 à 70 % de leur chiffre d’affaires, plus de 80 % des exportations étant réalisées par les maisons appartenant au Syndicat de grandes marques de champagne.
Qui dit fief ne dit pas pour autant chasse gardée. Les vignerons, et surtout les coopératives, sont parfois tentés par l’exportation, souhaitant d’ailleurs, comme l’écrivait Bernard Launois dans la Champagne viticole de juillet 1979, ne pas attaquer les marchés étrangers en perturbateurs, mais en partenaires sérieux et complémentaires du commerce traditionnel. Mais l’affaire n’est pas simple. Elle réclame des réseaux commerciaux exigeant des ressources considérables dont ne dispose généralement pas le Vignoble. En outre, l’importateur étranger veut un produit dont la marque soit connue de ses clients, aux caractéristiques constantes, et dont il puisse être en permanence approvisionné, toutes choses qui nécessitent une notoriété et une capacité de production qui sont plus le fait du Négoce que du Vignoble.

4. RÉPARTITION DES EXPORTATIONS

Le champagne est exporté dans le monde entier, avec le total impressionnant de 190 pays ayant importé en 1983, ensemble, près de 50 millions de bouteilles, départements et territoires français d’outre-mer compris. Tous les marchés ne sont pas d’égale importance. Pour l’année précitée ils allaient s’échelonnant de la Grande-Bretagne, avec 10 021 164 bouteilles, aux îles du Cap-Vert avec... 12 bouteilles. Dans quelques pays, parmi les plus évolués, le champagne est un des produits courants du secteur alimentaire. Offert au public dans de nombreux magasins, on le connaît et on peut l’acheter à sa guise. A l’opposé, dans beaucoup d’autres pays, dans ceux en voie de développement en particulier, il n’est consommé que dans des cercles restreints, qui peuvent parfois se limiter aux étrangers qui y résident, au corps diplomatique et à la clientèle internationale des grands hôtels. A mi-chemin entre ces deux extrêmes, il existe une catégorie assez importante de pays où la demande est encore modeste mais où le champagne commence, pour certains des habitants, à ne plus être une boisson d’exception. En tout cas, sauf quelques rares Etats qui s’opposent à son importation pour des raisons économiques et sociales, tous les pays, grands ou petits, riches ou pauvres, proches ou lointains, sont peu ou prou consommateurs de champagne.
Sept pays ont importé en 1983 plus d’un million de bouteilles chacun et comptaient à eux sept pour 74 % du total des exportations. Ils étaient suivis par dix-huit autres ayant acheté chacun plus de 200 000 bouteilles. Les vingt-sept marchés en cause représentaient ensemble plus des quatre cinquièmes des exportations. De grandes possibilités sont offertes au champagne, qui est appelé à se vendre de plus en plus à l’étranger, au fur et à mesure de l’élévation du niveau de vie des pays importateurs, ou à l’occasion d’événements fortuits, comme ce fut le cas au Venezuela avec la découverte de ses ressources pétrolières qui a eu pour conséquence de faire passer ses achats de champagne de 300 000 bouteilles en 1964 à 1 900 000 bouteilles en 1978.
Voici la liste des vingt-cinq premiers marchés de l’année 1983, avec pour chacun d’eux le nombre de bouteilles de champagne importées :

Le classement de la consommation annuelle par tête d’habitant est assez différent. Il s’établit comme suit, en bouteilles ou fractions de bouteilles, pour les neuf premiers importateurs, le Luxembourg détenant la palme mondiale avec une bouteille par habitant.

5. LES MARCHÉS D’EUROPE

La Communauté économique européenne, en raison des liens historiques qui ont été établis avec la plupart des pays qui en font partie, absorbe à elle seule plus de 50 % des exportations du champagne qui, de ce fait, comme l’écrivait Jean Piérard dans le Courrier du Parlement de février 1979, ancre fortement la Marne dans l’ensemble européen dont elle peut constituer un pôle attractif grâce à sa position géographique privilégiée.

A. GRANDE-BRETAGNE

En Grande-Bretagne, le champagne fait partie des institutions et les chapitres précédents l’ont abondamment démontré. Depuis Edouard VII la famille royale l’honore de son estime, dont elle donne des témoignages répétés. En 1979 encore, S.A.R. le prince Charles d’Angleterre, accompagné de son grand-oncle Lord Mounbatten, a rendu visite à la maison Laurent-Perrier, à Tours-sur-Marne, et quatre années plus tard la reine mère a été reçue à Epernay par la maison Moët & Chandon. Dans de nombreuses occasions, boire du champagne est outre-Manche une obligation sociale, et dans ce rôle rien ne peut le remplacer. Cela explique l’importance du marché, même si chaque Britannique, par an et en moyenne, est loin de boire une bouteille de champagne, alors qu’il absorbe 118 litres de bière ! Et même si certains estiment que le champagne est ostentatoire et décadent, s’il ne compte en Grande-Bretagne que pour 35 % de la consommation des vins mousseux, il y demeure the real thing. Si bien qu’en 1973 les exportations outre-Manche atteignaient le chiffre record de 10 346 850 bouteilles, presque égalé en 1983. On a en réalité toutes les indulgences pour le bubbly, le seul vin que l’on puisse boire avant midi sans se sentir coupable, celui qui sert de référence au bon goût. Lorsque l’on dit de quelqu’un qu’il a un « Champagne taste », cela signifie qu’il possède un penchant pour une existence d’élégance et de raffinement et qu’il lui faut le fin du fin dans la qualité [1]. Jacques de la Morinerie, président du Syndicat du commerce des vins de Champagne, déclarait en 1950 à l’Assemblée de printemps de l’Association viticole champenoise : « L’Angleterre reste toujours la terre de l’austérité et du rationnement. Vous n’avez pas le droit, au cours d’un repas, de cumuler le fromage et le dessert ; c’est l’un ou l’autre. Mais vous pouvez boire à vous seul autant de bouteilles de champagne que votre gosier en désire et que votre porte-monnaie le permet. »
Si on compare avec la France, les prix du champagne étaient au début des années quatre-vingt du même ordre chez les détaillants et de 30 à 50 % moins chers dans les restaurants et les wine-bars. Ces prix raisonnables facilitent les ventes dans certains milieux d’amateurs, mais ils sont tout de même propres à dissuader beaucoup de Britanniques. Cela risque d’être le cas pour les jeunes, et c’est dommage, car on constate chez eux un goût croissant pour le vin en général, et le champagne en particulier qui, de ce fait, pourrait sortir de son rôle de vin de la célébration qui lui est assigné de manière trop exclusive outre-Manche, à tel point que d’une enquête de marché faite en 1975-1976 il résultait que pour l’immense majorité des Britanniques le champagne n’était pas perçu comme un vin.
Il reste que c’est en Grande-Bretagne que l’on trouve les happy few qui sont les premiers connaisseurs de champagne du monde, avant même les Français. Ils confirment le vieil adage : Les meilleurs buveurs en Angleterre [2], si bien que les producteurs continuent à faire passer le Channel à la fine fleur de leurs cuvées, comme cela se pratiquait déjà au XVIIIe siècle lorsque Legras écrivait : Il est certain que les Anglais tirent de la Champagne les plus fins vins [3].

B. ITALIE

Autant le succès du champagne s’explique logiquement en Grande-Bretagne, autant en Italie il est surprenant. Voilà un pays qui en 1952 n’importait que 220 000 bouteilles, alors que le marché britannique se montait à près de 3 millions, et qui vingt-cinq ans après devenait, avec 8 millions de bouteilles, l’égal de la Grande-Bretagne, pour redescendre, il est vrai, à moins de 4 millions en 1983.
Or, les obstacles que rencontre le champagne sur le marché italien sont de taille. Il existe sur place un vin mousseux de vieille tradition, l’asti spumante, distribué notamment par les puissants producteurs de vermouth, auxquels est acquise une certaine presse dont le moins que l’on puisse dire est que ses commentaires sur le champagne sont habituellement sans bienveillance. En outre, celui-ci est l’objet d’une taxation lourde et discriminatoire : en 1976, il lui a été appliqué un taux de T.V.A. de 35 %, alors qu’il n’était que de 14 % pour les mousseux locaux. On pourrait penser enfin que les difficultés internes auxquelles est souvent confrontée l’Italie pourraient gêner le développement d’un produit étranger dont l’image et le prix s’accordent mal, a priori, avec certaines tensions sociales.
Certes, le marché est irrégulier, mais en présence de certains résultats brillants on s’interroge sur les motifs qui lui permettent de surmonter ces handicaps. On pourrait admettre, sans chercher plus loin, que c’est un aspect du miracle italien dont le champagne peut même être considéré comme un révélateur, et se contenter de constater qu’il est considéré dans la péninsule, comme en Grande-Bretagne mais pour d’autres raisons, comme une nécessité. On peut aussi mettre en avant le gonflement des chiffres des expéditions par des bouteilles revendues à bas prix par des négociants italiens à des acheteurs de pays à monnaie forte, et de ce fait non consommées en Italie. Ces pratiques existent, mais elles ne peuvent avoir qu’une incidence modérée sur l’état du marché. Il est plus logique de penser que l’attachement de l’Italien au champagne tient en partie à son goût pour un type de vin sec qui lui convient, l’Italie, avec 99,2 % de ses importations en brut et en extra-dry, s’étant complètement désolidarisée des pays encore partiellement attachés aux vins plus dosés. Mais la raison profonde en est probablement son appartenance à la latinité qui, comme partout autour de la Méditerranée, le pousse à paraître. En Italie, où le niveau de vie le permet plus facilement qu’en Espagne ou en Grèce, se montrer en compagnie d’une bouteille de champagne, c’est prouver que l’on a réussi ou... le faire croire si tel n’est pas le cas. En outre, le Latin sait prendre le bon côté de la vie. Après tout, l’Italien ne répète-t-il pas meglio il lusso che niente, mieux vaut le luxe que rien du tout, et Peppino di Capri, l’idole de la jeunesse, ne chantait-il pas en 1975 : « Cameliere, champagne, per te, per me, per noi » ?

C. BELGIQUE ET LUXEMBOURG

Les Luxembourgeois, si on prend la moyenne des importations annuelles par habitant, sont les meilleurs buveurs de champagne ; il en était de même des Belges jusqu’en 1982, et cela depuis 1900. C’est dire la constance de ces bonnes dispositions que les uns et les autres entretiennent en venant fréquemment faire leurs provisions en Champagne, contrée où ils se trouvent bien, ce qui, après tout, n’a rien que de normal puisque Jules César écrivait dans ses Commentaires que les Rèmes étaient le peuple de Belgique le plus proche de la Gaule ! Les marchés ont une évolution calquée sur celle du marché français dont ils sont le prolongement. Ils sont d’une grande régularité, malgré quelques importations parallèles, car ils ne sont pas faussés par les achats spéculatifs que l’on observe souvent ailleurs. On doit ajouter que les expéditions annuelles sont plus importantes que ne l’annoncent les statistiques, car celles-ci n’incluent pas les très nombreuses bouteilles rapportées de France par les frontaliers ou les touristes de retour de vacances. On peut noter que les Belges jettent souvent leur dévolu sur des champagnes de prix modeste et qu’ils achètent peu de millésimés ; ceux-ci ne représentaient en 1981 que 6 % du marché belge contre une moyenne de 14% pour les exportations mondiales. Pendant longtemps cependant, le champagne se vendait d’autant plus facilement en Belgique que ses prix y étaient très raisonnables, même un peu moins élevés qu’en France à la fin des années soixante, ce qui poussait des restaurateurs et cafetiers du nord de la France à aller en Belgique se ravitailler clandestinement. La situation est devenue moins bonne lorsque les droits d’accise ont été majorés en 1976 et que la T.V.A. a été portée l’année suivante de 14 à 25 %. Le marché belge a diminué de près de 50 % entre 1977 et 1982, mais en grande partie à cause du contingentement pratiqué par les producteurs en raison de la baisse de leurs stocks. Même dans ces conditions, les amateurs belges ont continué à vouer un culte au champagne. Après tout, ils sont du pays d’ Ulenspiegel qui s’en allait louant sur son chemin choses belles et bonnes [4].

D. ALLEMAGNE FÉDÉRALE

Le marché allemand s’est réveillé à la fin des années soixante-dix après avoir été longtemps décevant. En 1974, il ne portait encore que sur 1 600 000 bouteilles, chiffre infime pour un pays de l’importance et de la richesse de l’Allemagne, géographiquement proche de la France avec laquelle elle entretient désormais, outre des relations de collaboration dans le cadre de la Communauté économique européenne, des liens d’amitié qui se concrétisent en Champagne par le jumelage de la plupart des villes et villages du vignoble avec des communes allemandes. En 1980, les exportations avaient largement dépassé les 5 millions de bouteilles, l’augmentation en six ans ayant été de 230 %, la plus forte de tous les pays importateurs de champagne. Ce revirement est réconfortant, mais la partie n’est pas encore gagnée et les difficultés subsistent.
Le marché risque de rester relativement modeste en raison d’une méconnaissance du produit pour lequel n’existe en Allemagne ni l’enthousiasme italien, ni les habitudes traditionnelles que l’on observe en Grande-Bretagne. Beaucoup y sont restés attachés aux vins sucrés ; en 1982, les importations de champagne ont porté pour 18 % sur le sec et le demi-sec, ce qui marquait cependant un net recul sur les 23 % de l’année précédente. L’image que l’on se fait outre-Rhin du champagne est essentiellement celle d’un produit mal identifié, réservé pratiquement à l’élite restreinte qui a les moyens de se l’offrir. Seuls quelques connaisseurs l’estiment à sa juste valeur et le considèrent encore, à l’instar des Prussiens du XVIIIe siècle, comme le Götterwein, le vin des dieux. En outre, et surtout, le champagne disparaît dans l’énorme masse des autres mousseux dont l’Allemand boit annuellement, en moyenne, près de 3 litres pour le seul plaisir de la mousse et en recherchant avant tout, le plus souvent, un bon rapport qualité-prix, l’accent étant surtout mis sur la modicité du prix.
Quoi qu’il en soit, un goût pour les vins étrangers de qualité se développe incontestablement en Allemagne et le champagne en a bénéficié, comme le prouvent les brillants résultats du marché entre 1975 et 1980. Si le pays conserve sa situation économique privilégiée, il devrait progresser encore de manière sensible.

E. SUISSE ET PAYS-BAS

Parmi les marchés notables du champagne en Europe, ceux de Suisse et des Pays-Bas ont une particularité commune qui est l’attitude ambiguë de nombreux citoyens de ces deux pays qui souhaiteraient consommer du champagne, qu’ils ont les moyens de s’offrir, mais qui n’osent pas le boire en public. Un vieux fond de puritanisme les pousse à ne pas faire étalage de leur richesse, contrairement à ce qui se passe en Italie, et à ne pas trop s’afficher avec une bouteille de champagne. Saint-Evremond écrivait déjà au XVIIIe siècle : On voit en Hollande un certain usage de preuderie quasi généralement établi, et je ne sçai quelle vieille tradition de continence [5]. En Suisse, à l’occasion d’une enquête de marché faite à la fin des années soixante, on s’était aperçu que 50 % des personnes interrogées estimaient que si un homme et une femme buvaient du champagne en tête à tête, ils n’étaient sûrement pas mari et femme.
Il semble que depuis le champagne ait été moins généralement considéré en Suisse comme le vin du péché ou... que le péché s’y soit banalisé, car entre 1975 et 1980 le marché a plus que triplé. Soit pour ne pas être taxé de prodigalité, soit par souci d’économie, le Suisse se distingue cependant par son goût pour les demi-bouteilles qui ont constitué en 1982 plus de 14 % de ses importations, alors que la moyenne, dans les exportations mondiales, ne dépasse guère 4 %.
Aux Pays-Bas, après avoir également triplé à partir de 1968, mais en dix ans, les ventes ont stagné de 1977 à 1980 puis régressé en deux ans de 40 %, ce qui est bien dommage car, dans la Question agitée dans les Ecoles de la faculté de médecine de Reims le 14 mai 1777, le docteur Navier écrivait qu’il est de la dernière évidence que le Vin mousseux convient parfaitement aux Hollandais ainsi qu’à tous les peuples qui habitent des contrées basses et humides. Pratiquement, sauf dans la haute société et quelques cercles d’amateurs, le champagne n’est bu en Hollande qu’à la Saint-Sylvestre, et encore le choisit-on le plus souvent de prix modeste et, pour cette raison peut-être, sans année, les millésimes n’ayant compté en 1982 dans les importations hollandaises que pour 5,6 %, le plus faible pourcentage de tous les pays. Les demi-secs, pour leur part, représentaient 26 % du marché.

F. AUTRES PAYS D’EUROPE

Dans les pays de l’Europe de l’Est et en Yougoslavie, le champagne a un marché à peu près inexistant car il n’est que très exceptionnellement inclus dans les contingents de produits admis à l’importation. C’est dire combien sont regrettées les exportations abondantes qui se faisaient autrefois dans ces contrées. Sans remonter aux beaux jours du marché russe, entre les deux guerres encore, à Varsovie, à Budapest, le champagne coulait à flots chez les Potocki, les Estherhàzy, dans toutes les réunions de la haute société, très francophile, surtout en Pologne où le souvenir du champagne est resté si vivant dans la population que l’on continue à dire d’une jeune fille brillante, qui apparaît au premier abord comme parée de toutes les qualités, qu’elle est une szampánska driewcyna, une fille champagne. Mais aujourd’hui les très faibles exportations de champagne qui figurent dans les statistiques sous les rubriques des pays de l’Est sont essentiellement destinées au corps diplomatique et à quelques hôtels internationaux, le vulgum pecus buvant, en grande quantité d’ailleurs, le mousseux des républiques populaires.
Quant aux autres pays du continent, exception faite du Danemark, de la Suède et de l’Autriche, ce sont de modestes acheteurs de champagne, pour des raisons diverses, mais qui tiennent principalement au niveau de vie ou aux habitudes de consommation. II faut faire une place à part au marché espagnol, dont les chiffres relativement bas, 343 215 bouteilles en 1983, s’expliquent par la faiblesse relative du pouvoir d’achat mais aussi par la vive concurrence des mousseux locaux et par le contingentement des importations.

6. LES MARCHÉS D’AMÉRIQUE

L’Amérique du Nord et le Mexique ont absorbé en 1983 près de neuf millions de bouteilles de champagne. C’est un chiffre appréciable, mais c’est en réalité fort peu pour un continent peuplé de quelques 300 millions d’habitants.

A. CANADA

Au Canada, la province du Québec absorbe à elle seule la moitié des importations qui pour l’ensemble du pays, on peut le rappeler, se sont montées en 1983 à près de 1 100 000 bouteilles, dont une proportion considérable de bouteilles de grande contenance, qui ont figuré dans ses importations de 1982 pour près de 5 %. Mais le champagne, comme dans les autres provinces, est vendu par l’intermédiaire des commissions provinciales qui exercent le monopole du commerce des boissons alcoolisées et dont les magasins approvisionnent les consommateurs en pratiquant des prix élevés. D’autre part, il se heurte à la concurrence des mousseux locaux et importés, qui sont en majorité, et il souffre du peu d’intérêt que beaucoup de Canadiens, buveurs d’alcool, manifestent pour le vin.
En regard de ces handicaps, le champagne bénéficie du préjugé favorable que l’on accorde au Québec aux produits français, surtout lorsqu’ils sont de tradition et de prestige, ce qui est le cas. On peut rappeler à ce propos que Champlain a fondé en 1608, à 12 km au sud de Québec, une localité qu’il a baptisée Sillery en mémoire des Brulart de Sillery et qui se trouve ainsi être un rappel canadien des vins de Champagne dont ils approvisionnaient la cour de France.

B. ÉTATS-UNIS

Le marché du champagne aux Etats-Unis a été pendant soixante ans bien peu satisfaisant. En 1914, pour 80 millions d’habitants, il se montait à 4 millions et demi de bouteilles ; en 1972, pour 200 millions d’habitants, il était descendu à moins de 4 millions. Par rapport aux expéditions totales du champagne, la part des Etats-Unis était en 1914 de 15% et en 1972 de 3 % seulement. Retombé même au-dessous de 3 millions de bouteilles en 1974 et 1975, à cause de la crise pétrolière, le marché s’est brusquement réveillé en 1976, atteignant presque 10 millions de bouteilles en 1983.
La faiblesse du franc, il faut le dire, n’a pas été étrangère à ces beaux résultats. Le marché américain reste impulsif et décevant, comme le notait en 1950 Jacques de la Morinerie, dans son allocution précitée. Il ajoutait : « Ses dimensions géographiques, ses exigences publicitaires, ne sont pas à la mesure de nos ressources de propagande, et si une petite élite connaît nos crus, l’Américain moyen les ignore complètement et, s’il les connaît, ne les apprécie pas. » Il est à craindre que les moyens de pénétration du marché soient toujours insuffisants pour que le champagne puisse se faire réellement entendre dans un pays aussi vaste, où il ne pourra jamais lutter à armes égales contre les mousseux locaux d’une part, dont la production se montait en 1979 à 111 million de bouteilles, et portugais et italiens d’autre part, dont il se vendait déjà 62 millions de bouteilles en 1969 et dont la progression a continué depuis. Certains sont, comme on le sait, étiquetés champagne, et souvent rien ne les distingue à première vue de l’authentique, si ce n’est le prix, qui est moitié moindre ; c’est la seule différence qui frappe l’Américain moyen qui, ignorant les particularités respectives des produits qui se trouvent à l’intérieur des bouteilles, jette son dévolu sur... le moins cher.
Il existe heureusement une clientèle d’amateurs fortunés qui, selon un comportement fréquent aux Etats-Unis, sont des connaisseurs véritables et exigeants. En 1982, le marché a été approvisionné en brut à 61,5 % et en extra-dry à 38,2 %, et pour les millésimés à 23,8 %, proportion très importante, celle des bouteilles spéciales atteignant 14 % ! C’est cette clientèle, et elle seule, dans l’immédiat, qui est à même d’assurer le succès du champagne, en attendant qu’il bénéficie de l’engouement pour les vins que l’on observe chez un nombre croissant d’Américains et qui prend depuis le début des années quatre-vingt la forme d’une véritable wine revolution.

C. AMÉRIQUE LATINE

En Amérique latine cohabitent des populations sous-développées et une société évoluée et fortunée. D’une manière générale, on y est attiré par l’allégresse et l’éclat du champagne et par son caractère de vin de la réussite, mais bien peu ont eu jusqu’ici les moyens d’y accéder. Les marchés sont donc étroits et liés de très près à la conjoncture politique et économique et aux contingentements et modifications tarifaires qu’elle peut imposer. D’où leur instabilité, encore aggravée par une distribution parfois anarchique qui fait de certaines villes des plaques tournantes pour les expéditions de champagne vers différents pays, quand elles ne servent pas de base de départ pour des approvisionnements de contrebande.
Les grandes nations que sont le Brésil et l’Argentine, productrices il est vrai de vins mousseux, importent peu de champagne, respectivement, en 1983, 109000 et 15000 bouteilles ! Il est pratiquement inexistant au Pérou, en Uruguay, et même au Chili qui en fut pourtant au début du siècle, du fait de ses nitrates, un des plus gros importateurs. Les grands pays pétroliers restent les meilleurs espoirs mais, après s’être brillamment comportés, leurs marchés ont décliné, celui du Venezuela passant de 1900 000 bouteilles en 1978 à 486 000 en 1983 et le Mexique descendant en 1982 à moins de 500 000, puis en 1983 à moins de 100000, après avoir frôlé le million en 1981, malgré une élévation des droits de douane, en 1977, de 35 % à 100 %. A noter que dans le monde c’est le Venezuela qui consomme la plus grosse proportion de demi-sec, près de 50 % de ses importations de 1982.

7. LES MARCHÉS D’AFRIQUE

On peut appliquer à l’Afrique noire tout ce qui vient d’être dit à propos des raisons qui expliquent en Amérique latine à la fois une certaine vogue du champagne et une irrégularité de ses marchés. Les Africains dépensent facilement leur argent et, si la plupart en sont démunis, il existe une société qui détient le pouvoir dont le champagne est la consécration de la réussite. D’importants marchés peuvent se créer et disparaître, comme celui du Nigeria, 10e client du champagne en 1975 avec plus de 800 000 bouteilles, retombé à 400 000 l’année suivante, et fermé par les autorités nigérianes en avril 1977.

Dans les anciennes possessions françaises, dans la mesure où y règne une certaine prospérité alliée à la stabilité politique, le champagne a gardé la place privilégiée qui était la sienne du temps de la colonisation et qui, dans certains pays, s’est même considérablement développée. C’est le cas du Gabon, mais encore davantage du Cameroun qui, avec plus de 560 000 bouteilles importées en 1981, a graduellement augmenté des achats qui étaient de l’ordre de 100 000 bouteilles dix ans auparavant, et surtout de la Côte d’Ivoire qui, avec 850 000 bouteilles, était en 1978 le 10e pays sur la liste des marchés d’exportation et qui a la particularité d’être le pays le plus amateur de brut et d’extra-dry, avec une proportion de 99,9 % de ses importations de 1981. Il est aussi celui qui est le plus attaché à la bouteille, par opposition aux autres contenants. Face à ces chiffres importants, on peut regretter que les importations de champagne de la République d’Afrique du Sud, pays riche, vinicole et de tradition britannique, restent toujours inférieures à 150 000 bouteilles par an.

8. LES MARCHÉS D’ASIE

Le continent le plus peuplé du monde n’a importé en 1982 que 1 425 000 bouteilles. Il n’a donc compté que pour 3,2 % dans le total des exportations. Si on considère, d’autre part, que le champagne est en bonne partie destiné à être bu par la clientèle occidentale, membres du corps diplomatique et touristes, il apparaît qu’il est singulièrement absent des pays d’Asie.

A. LE JAPON

Le Japon importe fort peu de champagne. Dans ce pays très peuplé, qui est un des plus riches du monde, on en consomme à peine une bouteille et demie par millier d’habitants. Les importations ne se montaient en 1960 qu’à 30 000 bouteilles. Elles ont augmenté légèrement ensuite et triplé à partir de 1963 pour atteindre 260 000 bouteilles en 1983, chiffre encore modeste.
La France a une bonne image au Japon. Le champagne devrait en bénéficier, mais il déconcerte les Japonais, qui souvent le trouvent fade par comparaison avec les boissons fortes auxquelles ils sont habitués. La plupart d’ailleurs ne le connaissent pas car on ne le trouve à Tokyo que dans une dizaine de magasins et dans un petit nombre de restaurants ; que dire de la province ! Sa principale raison d’être est de paraître aux mariages des classes élevées de la société où il est parfois utilisé pour tirer un feu de salve destiné à accueillir bruyamment les nouveaux époux à la réception qui suit la cérémonie. Encore faut-il préciser que le plus souvent ce rôle est dévolu aux mousseux, locaux ou étrangers. Les Japonais ne voient pas de différence entre eux et le champagne, dont ils ne perçoivent pas la spécificité. Celui-ci est au Japon deux ou trois fois plus cher qu’en France et beaucoup plus onéreux sur place que les mousseux ; ce n’est donc que lorsque l’on veut paraître qu’il leur est préféré.

B. AUTRES PAYS D’ASIE

Dans le reste de l’Asie centrale et orientale la place du champagne, toujours très modeste, varie selon le développement des pays et leur prospérité. C’est ainsi qu’en 1983, derrière Hong Kong et Singapour qui avaient importé respectivement 243 000 et 145 000 bouteilles, soit pour de très petits territoires presque autant chacun que le Japon, on trouvait encore la Thaïlande, avec 69 000 bouteilles. Mais l’Inde, avec ses 600 millions d’habitants, n’a même pas atteint ce chiffre, oscillant depuis le départ des Britanniques entre 20 et 50 000 bouteilles. Quant à l’immense Chine, pour la première fois depuis l’instauration du régime communiste, en 1979 elle a laissé entrer
20 000 bouteilles de champagne en guise de témoignage de son essai d’ouverture sur le monde.

9. LES MARCHÉS D’OCÉANIE

L’Océanie est aux antipodes et si la présence du champagne y est ancienne, elle y a toujours été très modeste, sauf à la Nouvelle-Calédonie et à Tahiti, territoires français d’outre-mer, dont les importations se sont montées pour chacun d’eux, en 1983, à un peu plus de 100 000 bouteilles.
En Australie et en Nouvelle-Zélande, le champagne, avec des exportations se chiffrant respectivement en 1968 à
90 000 et 49 000 bouteilles, semblait avoir abandonné la partie aux mousseux, locaux et d’importation. Cette situation était d’autant plus anormale que ce sont des pays de vins, de tradition britannique. A la suite de sérieux efforts de prospection et de propagande, aidés par une conjoncture favorable, il semble qu’un revirement sérieux se soit produit, puisque depuis 1970 les ventes ont augmenté par paliers pour atteindre en 1983 les chiffres de 330 000 bouteilles pour la Nouvelle-Zélande et de 820 000 pour l’Australie, ce qui faisait de ce dernier pays le 10e marché extérieur du champagne, celui qui, incidemment, comportait la plus forte proportion de millésimés (57 %) et, après les Etats-Unis et le Canada, de cuvées spéciales (10,4 %).

10. LES MILIEUX ARABES

Dans certains pays d’Afrique et d’Asie se pose le problème de la consommation du champagne en milieu arabe. On sait que la religion musulmane prohibe les boissons alcoolisées en s’appuyant sur le Coran. On peut regretter que de deux versets, l’un hostile au vin et l’autre qui lui est favorable, elle ait choisi le premier. Elle a oublié que Mahomet a dit (XLVII, 16) : Voici le paradis qui a été promis aux hommes pieux : des ruisseaux de vin, délices de ceux qui en boivent, et a seulement retenu une autre de ses assertions (v, 92) : O croyants, le vin est une abomination inventée par Satan. Toujours est-il que les pays arabes sont officiellement prohibitionnistes. Cela n’a jamais empêché d’y tourner la loi musulmane, mais dans certains d’entre eux, l’Arabie Saoudite en particulier, on ne peut le faire ouvertement et il est impossible de boire du champagne en public. Paul Poiret raconte, tenant l’histoire de Forain, qu’au début du siècle le dentiste qui soignait les dames du harem du pacha de Turquie leur avait vendu du champagne authentique dont elles étaient très friandes. Mais le Coran s’opposait à l’importation du vin en Turquie. Il eut donc de graves ennuis, et trouva le moyen de les tourner, en livrant son champagne dans des clysopompes, dont le modèle était très usité en Turquie, au lieu de l’enfermer dans des bouteilles3. Et dans certains pays arabes, en guise de champagne on boit du jus de pomme conditionné en bouteilles de champagne, avec un étiquetage en arabe précisant bien que c’est une boisson sans alcool.
Tout cela prouve tout au moins que le champagne, par son image, a de l’attrait pour les Musulmans. C’est pourquoi il commence à se répandre dans les pays arabes les moins rigoristes, où la tolérance peut aller de la liberté de la consommation à celle de l’approvisionnement. En 1980, les exportations s’étaient élevées à 100 000 bouteilles pour l’Irak, à 150 000 pour les émirats du Golfe Persique, et à 130 000 pour le Liban, pays en partie chrétien il est vrai.

Notes

[1KAUFMAN (William I.). Le Grand Livre du champagne. New York, 1973 (édition française, Paris-Genève, 1974).

[2LEGRAND d’Aussy (Pierre-Jean-Baptiste). Histoire de la vie privée des François depuis l’origine de la nation jusqu’à nos jours. Paris, 1782.

[3BONDOIS (Paul). Les bouteilles à champagne et les verreries d’Argone au XVIIIe siècle, dans Nouvelle Revue de Champagne et de Brie, janvier 1929.

[4BIEBUYCK (Jacques). Aux Amateurs de grands vins de Champagne en Belgique. Bruxelles, 1933.

[5SAINT-EVREMOND. Oeuvres meslées de Saint-Evremond, publiées sur les manuscrits de l’auteur. Seconde édition reveüe corrigée et augmentée. Londre, 1709.