UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Les prix

1. L’IMPORTANCE DU FACTEUR PRIX

Aux différents stades de la commercialisation du champagne, le prix a des répercussions étroites sur le succès des ventes. Il peut avoir un effet de dissuasion s’il est trop élevé, mais aussi s’il est trop bas et ne correspond plus à l’image que s’en fait le consommateur. Encore faut-il préciser que tout le monde ne réagit pas de la même manière. Le champagne a été mis progressivement à la portée du plus grand nombre ; il doit rester abordable pour ses nouveaux adeptes, accessible à ceux qui, selon le vieil adage britannique, ont un revenu de buveur de bière et un appétit de champagne. Cette clientèle ne s’attend cependant pas à ce qu’il soit bon marché, car son pouvoir d’achat a augmenté en même temps que son aspiration vers la qualité. Elle considère qu’il fait partie de ce superflu qui donne du charme à la vie et donc ne lésine pas sur le prix, à condition qu’il soit bon et reste dans ses moyens. Dans cette catégorie de consommateurs, on ne s’étonne pas de trouver le champagne à un prix élevé, mais il arrive que l’on puisse le considérer comme trop élevé.
A l’inverse, on trouve des gens pour qui le champagne n’est jamais trop cher. Pour eux la cherté du produit incite à la consommation. Pierre Failly écrivait déjà en 1807 : Il y a des personnes qui ne trouvent le vin bon qu’en proportion du prix : il faut un tact adroit pour deviner cela. Dans cette catégorie on trouve à la fois ceux qui pensent que le champagne est bon parce qu’il est cher et ceux qui admettent qu’il soit cher parce qu’il est bon, mais aussi ceux que la qualité intéresse peu mais qui commandent systématiquement ce qui est le plus onéreux. Dans les palaces internationaux, au sommelier qui vient prendre la commande de champagne, la réponse est bien souvent : « Ce que vous avez de mieux », sous-entendu de plus cher, sans même que le client consulte la carte des vins ou s’enquière des prix.
Il ne s’agit là cependant que d’une faible partie des consommateurs. Pour la plupart, le prix garde sa signification et c’est encore plus vrai à l’étranger qu’en France. D’une enquête menée en Grande-Bretagne en 1980, il ressortait que le prix venait en tête des facteurs de décision d’achat, 90 % des personnes interrogées estimant que le prix affectait leur fréquence de consommation.

2. L’ÉTABLISSEMENT DU PRIX DE LA BOUTEILLE DE CHAMPAGNE

Etablir une fois pour toutes le décompte du prix d’une bouteille de champagne est impossible en raison du grand nombre de variables, qui sont fonction notamment du prix du raisin selon les années, des types de champagne et des moyens de production. Cela étant, en choisissant une année où le prix du raisin n’a été que peu affecté par les primes exceptionnelles, et selon des chiffres communiqués par la Banque de France, on peut admettre que pour la période 1975-1980 le prix de revient de la bouteille de champagne hors-taxe pouvait se décomposer comme suit pour la production des maisons du Négoce :

Frais de matière première 35 à 40%
Frais d’élaboration 24 à 29%
Frais administratifs, commerciaux,
de relations publiques et publicité 10 à 15%
Frais financiers 9 à 13%
Frais de distribution 9 à 13%

Cette répartition ne peut s’appliquer au champagne du vigneron puisqu’il transforme ses propres raisins et travaille en famille pour l’essentiel, avec moins de charges sociales, et peu de frais de promotion et de distribution. On peut constater que pour le négociant l’achat des raisins ou des vins représente aujourd’hui plus du tiers des frais, alors qu’à la veille de la dernière guerre il n’y comptait que pour le quart, ce qui était déjà vrai en 1846 lorsque Maizière parlait d’une matière première de la valeur de 100 F, convertie en un produit de la valeur de 400 F [1].

LES PRIX DE VENTE

Lorsqu’il quitte le cellier du producteur, le champagne est soumis à la taxation, qui comporte le droit de circulation, la taxe du Fonds national de développement agricole (F.N.D.A.) et la T.V.A., au taux intermédiaire, fixé depuis 1982 à 18,6 % sur le prix hors taxes. Fin 1982, par hectolitre, le droit de circulation se montait à 54,80 F et la taxe F.N.D.A. à 0,55 F. Pour l’exportation, on le sait, la T.V.A. n’est pas acquittée mais le prix du champagne est majoré, parfois d’une façon considérable, par les droits de douane et les taxes des pays importateurs. Compte tenu de la taxation et du transport, après que les grossistes et détaillants ont pris leurs bénéfices, le prix de revient du champagne s’est trouvé affecté d’une majoration qui se situe entre 30 et 400 %, selon les cas. A titre d’exemple, pour une bouteille expédiée par mer dans un lot important d’Epernay au Japon, pour être vendue dans un grand magasin, le prix de départ a été majoré de 31,5 % de droits de douane, de 70% de taxe de consommation, de 50% de frais de transport et divers, de 22 % de commission à l’agent et de 27 % au grossiste, de 90 % de marge du grand magasin. Au total, le prix de la bouteille a triplé.
Comme il y a beaucoup de champagnes, différant en types et en qualités, il n’est pas aisé de définir le prix de vente du champagne et on entend à ce sujet beaucoup d’erreurs. Il faut avant tout bien savoir de quoi on parle et comparer des choses comparables, autrement dit partir d’un type de champagne bien défini et de conditions de vente bien déterminées. Il est faux de dire que le champagne est cher sous prétexte qu’en 1980 une cuvée spéciale valait 130 francs alors que l’on trouvait dans le même magasin une grande marque pour 60 francs et un champagne de récoltant pour 30 francs.
A cette époque en effet, on payait entre 40 et 75 francs la bouteille de champagne de négociant brut, non millésimée, achetée chez un marchand de vins classique de la métropole, les chiffres extrêmes s’appliquant le premier à la meilleure marché des marques auxiliaires et le second à la plus chère des grandes marques. On remarquait que la bouteille à 75 francs était à 120 francs dans un magasin d’alimentation de luxe, mais à 60 francs dans une grande surface qui en faisait un produit d’appel, si bien que le prix de la même bouteille pouvait varier du simple au double. Dans les mêmes conditions, le champagne de récoltant-manipulant ou de coopérative se vendait entre 30 et
45 francs, le premier prix étant celui d’un champagne correctement élaboré à partir de vins de second choix, que les récoltants appellent entre eux le P.M.K., pompiers, musique, kermesse, ce qui indique sa destination normale. La différence des prix entre le champagne du négociant et celui du récoltant-manipulant vient du fait que ce dernier, on vient de le noter, à moins de charges sociales et de frais de promotion et de distribution que le négociant, pour lequel la réputation de la marque constitue une importante valeur ajoutée. Il faut dire aussi que le petit producteur du Vignoble bénéficie d’avantages fiscaux, sensibles pour le récoltant ayant un chiffre d’affaires inférieur à 500 000 francs, chiffre de 1983 ; il ne paie pas la patente et, pour les bénéfices, il est imposé au forfait.
En règle générale le millésimé est plus cher de 15 à 25 %, ainsi que les blancs de blancs et les rosés, dont la plus-value est de 20 à 30 % s’ils sont en même temps millésimés. La cuvée spéciale est plus chère de 50 à 100 %. Selon les producteurs, le crémant est un peu moins cher ou un peu plus cher que le brut sans année et les champagnes secs et demi-secs sont au même prix ou un peu moins chers. Pour une bouteille de grand format, on paie un supplément qui allait en 1980 de 3 francs pour un magnum à 50 francs pour un salmanazar.
La qualité coûte cher au producteur. En bonne logique, chez les négociants comme chez les récoltants-manipulants, les champagnes dont les prix sont les plus élevés sont ceux qui proviennent des meilleurs crus, qui bénéficient d’une excellente technique et qui sont conservés en cave de longues années. On peut dire que dans chacune des catégories, sauf de rares exceptions, la différence des prix reflète celle de la qualité, ce qui est d’ailleurs confirmé pour les meilleurs champagnes par leur notoriété. Force est pourtant d’admettre que cela ne s’applique pas entièrement à la cuvée spéciale. Même en tenant compte de la qualité exceptionnelle du vin, de la présentation originale et du supplément de manipulation que cela peut entraîner, l’importance de la différence de prix avec les champagnes sans année et millésimé de la même marque ne peut se justifier que par un surcroît de prestige. Comme l’écrivait dans le numéro de décembre 1978 de Cosmopolitan Jöelle Goron, en théorie, la cuvée spéciale est meilleure mais à vous d’estimer si l’écart de prix vaut la différence.
Le champagne ne peut pas être bon marché
, a écrit André Simon, il est fait avec des raisins qui sont plus chers que partout ailleurs et il réclame des mains plus habiles que les autres vins pour être amené à la perfection. Le champagne coûte davantage, mais il vaut davantage  [2]. On peut penser en outre que même si la chose était possible il ne conviendrait pas que le champagne soit trop bon marché et cela rejoint ce qui a été dit plus haut à propos du rôle du prix dans la vente du champagne. Il y aurait danger de confusion avec les autres mousseux et, de plus, comme l’a écrit fort justement dans le numéro de décembre 1978 de Plaisirs et Gastronomie Magazine Georges Prade, commandeur de l’Ordre des Coteaux de Champagne, pour ne pas faillir, pour conserver toute sa raison d’être, il doit maintenir sa place au palmarès des valeurs recherchées dont l’obtention impose un effort, une réflexion de dépense. La démocratisation à l’extrême n’est pas son fait et le laxisme lui fait du tort.
Quoi qu’il en soit, la notion de cherté a au premier chef un caractère de relativité. On ne peut pas dire que le champagne est cher ou qu’il ne l’est pas sans le comparer à d’autres vins, ou à lui-même en d’autres temps. Si on le considère par rapport à ses semblables, les vins A.O.C. de qualité et de prestige, grands bordeaux, grands bourgognes, on s’aperçoit que sur les tarifs des marchands de vin il était environ deux fois plus cher il y a cent ans, et même encore à la veille de la dernière guerre, alors qu’il vaut aujourd’hui deux à trois fois moins. Fin 1980, chez un bon détaillant de Bordeaux, on trouvait le Château-Margaux 1974 à 135 F, le Château-Léoville-Las-Cases 1975 à 144 F, le Château-Beychevelle 1975 à 138 F, le Château-Haut-Brion 1976 à 192 F et le Pol Roger 1975 à... 67,15 F. Quant aux mousseux, s’il en existe à des prix dérisoires, ceux qui peuvent se comparer au champagne par leur qualité ne se trouvaient pas à moins de 30 francs en 1980, ce qui correspondait aux premiers prix du champagne de la Propriété.
On doit aussi considérer que le prix du champagne a augmenté de 1960 à 1980 moins vite que l’indice national des prix à la consommation, qui lui a été parfois supérieur de 20 à 30 %. Il ne l’a rattrapé qu’en 1970, pour se laisser à nouveau dépasser de 1975 à 1979. Aux Etats-Unis, entre 1969 et 1978 le consumer price index est monté de 88,7 % et le champagne seulement de 39,3 %. On pouvait donc dire qu’à l’approche des années quatre-vingt le champagne était relativement bon marché, sans oublier qu’en France le pouvoir d’achat a augmenté de 46 % entre 1970 et 1980 et que pour se procurer une bouteille un ouvrier non qualifié devait travailler une semaine en 1900, deux journées en 1950 et deux heures seulement en 1980. Il est vrai que, du fait de l’insuffisance des stocks, le prix du champagne a nettement augmenté de 1980 à 1982. Mais compte tenu de l’inflation, et après une longue période de prix très modérés, c’était après tout justifiable, surtout si on considère que le prix du raisin avait doublé en 1980 par rapport à 1979. Une sorte de remise en ordre était nécessaire après plusieurs années pendant lesquelles le champagne n’avait pas été vendu à son prix réel, ce qui avait entraîné des difficultés financières pour beaucoup de producteurs, un amenuisement des fonds propres et une rentabilité précaire de leur exploitation.
L’évolution du prix du champagne est difficilement prévisible, même à court terme, et l’on doit se garder de prêter une oreille complaisante à ceux qui affirment que la conjoncture peut entraîner sa hausse mais jamais sa baisse. L’expérience prouve qu’il n’en est rien. Et de toute façon, a-t-on écrit, l’argent consacré au champagne est bien employé ; il rapporte davantage que s’il est affecté à une autre boisson [3]. En outre, il y a du champagne pour toutes les bourses car l’éventail des prix est largement ouvert, si bien que ceux-ci sont en général bien acceptés, quelles que puissent être les récriminations épidermiques.

« Je vends du rêve », disait un producteur de champagne ; le rêve se paie, et derrière le rêve se trouve la réalité, c’est-à-dire la qualité qui justifie le prix.

4. LES TARIFS ET LEUR APPLICATION

Les producteurs établissent périodiquement des tarifs (prix courants). Ceux des grandes marques mentionnent généralement les prix toutes taxes et transport compris. La plupart des récoltants-manipulants ainsi que quelques négociants et coopératives préfèrent indiquer les prix hors T.V.A. et transport non compris. Il n’y a dans ce domaine aucune règle absolue et il convient d’examiner les conditions indiquées sur les tarifs, sur lesquels on trouve également les renseignements concernant le port pour petits envois et les prix des bouteilles de contenances diverses.
Les prix sont en général dégressifs, les réductions pouvant aller de 2 à 20 %. Bien entendu, des conditions spéciales de vente sont faites pour la distribution et la restauration, ainsi que pour certains groupements. Il arrive que l’on trouve dans le commerce du champagne avec des réductions pouvant atteindre 20 % sur les prix de détail, dans des ventes promotionnelles ou lorsque le champagne, comme cela a déjà été signalé, est employé comme produit d’appel.

5. LE PRIX DU CHAMPAGNE AU RESTAURANT ET DANS LES ÉTABLISSEMENTS DE NUIT

On regrette souvent que le prix du champagne, comme d’ailleurs des autres vins de qualité, soit très élevé au restaurant. En France, on a vu que c’est à la fin du XIXe siècle qu’est apparu le principe de la culbute, consistant à doubler sur la carte des vins le prix du tarif du producteur. Aujourd’hui, ce n’est plus par deux, mais par trois ou même davantage que l’on multiplie les prix, sauf d’heureuses exceptions, en Champagne notamment et c’est bien normal, mais parfois aussi ailleurs. Ce n’est plus une culbute, mais un saut périlleux car le client risque de bouder les grands vins. Le moins que l’on puisse dire est en tout cas que cela ne l’incite pas à boire des vins de choix, ce qui devrait être le souhait du restaurateur. La Grande-Bretagne est un des rares pays où, comme on l’a noté, on se contente généralement de la culbute ou même d’un moindre bénéfice ; et on peut voir là une relation de cause à effet entre cette politique de sagesse et la très grande consommation du champagne qui se fait dans les restaurants britanniques.
Il y a finalement davantage à redire aux prix exagérés du champagne dans certains restaurants qu’aux tarifs vertigineux des établissements de nuit. Payer dans un cabaret une bouteille de champagne sept fois sa valeur, c’est acquitter le prix du spectacle alors que rien de tel ne peut être mis en avant par les restaurateurs.

Notes

[1MAIZIERE (Armand). Origine et développement du commerce du vin de Champagne. Reims, 1848.

[2SIMON (André). The History of champagne. Londres, 1962.

[3DURKAN (Andrew). Vendange. Londres, 1971.