UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Les cépages champenois

1. NOMENCLATURE ET CARACTÉRISTIQUES COMMUNES

En viticulture, on en revient toujours à Olivier de Serres qui a écrit : L’aer, la terre et le complant sont le fondement du vignoble. De leur assemblage provient abondance de bon vin, de longue garde, non sujet à se corrompre, et charriable pour la débite : sans laquelle concordance, le vin cloche en quelque qualité [1]. Après avoir examiné le milieu physique et l’aspect de la Champagne viticole, il convient donc de présenter ses cépages qui, sans préjudice de l’influence des autres facteurs, donnent au vin d’une part son goût, suivant la richesse des raisins en sucres, en acides, en tanins, et d’autre part ses Propriétés aromatiques, suivant l’intensité et la finesse des essences odorantes de ses fruits [2].
Les cépages admis en Champagne sont le résultat, on l’a vu à plusieurs reprises, des choix successifs qui se sont opérés au cours des siècles et qui ont été codifiés par la réglementation. On rappellera encore une fois que ce sont, pour l’essentiel4, le Pinot noir et le Meunier, donnant des raisins noirs, et le Chardonnay, donnant des raisins blancs tous les trois à chair incolore. Il est amusant de noter, à propos de la couleur du raisin, qu’Olivier de Serres écrivait que les raisins noirs pour leur dureté sont estimés masles et les blancs pour leur délicatesse, femelles , distinction d’autant plus étrange que les vignes, comme on le verra plus loin, sont hermaphrodites !
Ces trois cépages sont ceux qui sont le mieux adaptés à l’environnement régional, et les vins qui en sont issus retirent un caractère d’excellence incontestable, ce qui faisait écrire au docteur Guyot : Trouver les meilleurs cépages qui profitent le mieux d’un sol et d’un climat, tel est le grand problème à résoudre ; le département de la Marne semble l’avoir parfaitement résolu  [3]. Il faut ajouter que la réunion de ces facteurs favorables confère aux vins de Champagne une personnalité qui leur est propre. On peut s’en convaincre en songeant aux différences notables qui existent entre les grands vins rouges de Bourgogne et les coteaux champenois rouges, faits les uns et les autres à partir du Pinot noir, et entre le meursault et le champagne, provenant tous deux du Chardonnay, dont Poupon et Forgeot ont écrit : Beaux titres de gloire, pour ce cépage de noble race, que d’enfanter à la fois les grands crus de la Côte d’Or de la Champagne [4].
Le Pinot noir et le Chardonnay, plus fins que le Meunier, sont considérés comme cépages nobles. Tous trois sont fructifères au bout de 3 à 4 années. Ils ont en commun une courte durée de végétation ainsi que la rapidité de maturation, alliées à la précocité, nécessaire sous une latitude septentrionale mais aggravant les risques de gelées printanières. Ils ont un rendement sensiblement analogue en année normale. Ils ont enfin une égale aptitude à donner des moûts riches en sucre et des vins de grande qualité avec, pour les cépages nobles, une finesse et un bouquet incomparables. Chacun a cependant ses particularités, étudiées ci-après, étant entendu que toutes les indications concernant le débourrement, la maturité et le rendement correspondent à des moyennes et peuvent être infirmées par les observations d’une année anormale.

2. LE PINOT NOIR

Le Pinot noir est le type achevé du cépage de qualité convenant aux climats relativement froids. Il a des bourgeons au duvet blanc, des jeunes feuilles vert pâle devenant ensuite vert foncé sur la face extérieure, puis vert clair sur la face intérieure. Ses grappes sont de petite taille, en général de 8 à 12 cm de longueur, cylindriques et compactes ; ses raisins sont petits, très légèrement ovoïdes, à peau épaisse de couleur noir violacé.
Son débourrement est assez précoce et ses bois résistent bien aux gelées d’hiver mais la fructification se fait mal lorsque la floraison a lieu dans de mauvaises conditions atmosphériques. Il a besoin pour réussir de terrains calcaires et d’un climat pas trop chaud, ce qui explique que la Bourgogne et la Champagne soient ses régions d’élection. Les vins faits avec le Pinot noir se distinguent par leur force et leur consistance, soutenues par une bonne charpente, et par la finesse de leur bouquet.

3. LE MEUNIER

Le Meunier, qui a beaucoup de points communs avec le Pinot noir, a des bourgeons blancs à pointe rosée, des jeunes feuilles cotonneuses d’une couleur blanche légèrement rosée, rappelant celle de la farine, d’où son nom. Ses feuilles adultes sont vert grisâtre, à dos duveteux. Ses grappes sont petites et moyennes, ses grains sphériques, avec une peau analogue à celle du Pinot noir. Plus vigoureux que ce dernier, il est moins fin ; avec un débourrement plus tardif et une maturité plus rapide, il s’accommode mieux de situations moins favorables à la vigne.
On se souvient des opinions sévères qui avaient été portées sur le Meunier au XIXe siècle. Fondées en ce qui concerne les grands crus, où il ne peut rivaliser avec le Pinot noir, elles le sont beaucoup moins dans les autres régions de la Champagne viticole dont les terrains lui conviennent et où il donne des vins de bonne qualité, ayant des caractères voisins de ceux qui sont issus du Pinot noir, mais avec un peu moins de distinction et vieillissant plus vite.

4. LE CHARDONNAY

Le Chardonnay a des bourgeons duveteux, blancs à liseré doré, des feuilles vertes tirant légèrement sur le jaune, bronzées sur leurs bosselures et à dos pratiquement glabre ; elles ont la particularité, qui n’est partagée par aucun autre cépage, d’avoir deux grosses nervures bordant exactement l’échancrure de la queue. Ses grappes sont de la taille et de la forme de celles du Pinot noir, mais plus allongées et moins serrées ; ses grains sont petits, sphériques, jaune-vert, pouvant devenir jaune doré et même ambrés lorsqu’ils sont très mûrs, ce qui fait alors dire au vigneron que les renards ont pissé après.
Le Chardonnay a un débourrement plus précoce que celui des deux autres cépages et, de ce fait, craint davantage les gelées de printemps. Il se plaît particulièrement dans la craie pure de la Côte des Blancs, ainsi que dans celle de la région de Sézanne où il mûrit mieux que partout ailleurs. Il donne des moûts très sucrés en année chaude, plus verts en année froide. Les caractères olfactifs et gustatifs des vins qui en sont issus, les blancs de blancs, varient assez largement avec les terroirs où ils sont plantés. C’est dans la Côte des Blancs que l’on trouve les plus typés, qui se définissent par la délicatesse, la fraîcheur et l’élégance.

5. AMÉLIORATION DES CÉPAGES

De longue date, les vignerons et les pépiniéristes se sont attachés à obtenir les variétés des cépages champenois les plus aptes à assurer des vins de qualité, mais aussi les plus robustes, tant pour leur reproduction que pour leur végétation. On n’en est plus aux cépages d’il y a deux cents ans, qui ne donnaient de véritable rendement qu’au bout de sept à huit ans d’âge, et on dispose aujourd’hui d’excellents reproducteurs, grâce aux sélections massales, choix des meilleurs ceps d’une vigne, devenues systématiques depuis la reconstitution du vignoble champenois du début de l’entre-deux-guerres. Mais l’ensemble des reproducteurs n’est pas parfaitement homogène ; chaque cépage couvre toute une population de sujets analogues, mais distincts, dont certains sont plus satisfaisants que d’autres.
C’est pourquoi il faut se féliciter du progrès intervenu dans les années 1960 avec la sélection clonale des trois cépages champenois, le clone étant une famille de plants issus à l’origine d’une même souche mère. À la fois génétique et sanitaire, elle consiste à trouver pour chacun d’entre eux les plants susceptibles de fonder les familles idéales, dans le but d’améliorer la qualité et la quantité, sans que celle-ci soit obtenue au détriment de celle-là, en recherchant en même temps une précocité convenable, l’élimination totale de tous les sujets dont l’état sanitaire est mauvais ou incertain et la régularité dans la réussite. Celle-ci a toujours eu une grande importance : dans les temps passés, le cep qui avait donné toute satisfaction cinq années de suite était appelé un colonel, par allusion aux cinq galons de l’officier supérieur en cause.
Le C.I.V.C. a mis sur pied un vignoble expérimental à Plumecoq, lieu-dit de la commune de Chouilly, près d’Épernay, où a commencé en 1966 la sélection clonale du Pinot noir, suivie en 1973 par celle du Meunier et en 1975 par celle du Chardonnay, en collaboration avec les Bourguignons. Les étapes de la sélection sont les suivantes : prospection dans le vignoble ; contrôle sanitaire ; création d’une collection de clones ; nouveau contrôle sanitaire et analyse des performances ; agrément des clones ; prémultiplication en familles agréées du vignoble de sélection ; multiplication par les producteurs de bois de vignes et pépiniéristes. À l’issue de ces longs travaux, les clones choisis reçoivent l’agrément d’un organisme national, le Comité technique permanent de sélection. Des greffons peuvent alors être distribués comme matériels certifiés aux pépiniéristes et vignerons. En 1983, étaient déjà agréés 10 clones de Pinot noir, 11 clones de Chardonnay et 1 clone de Meunier.

Notes

[1SERRE (Olivier de). Le Théâtre d’agriculture e le ménage des champs.... Paris, 1600 Nouvelle édition avec préface de Grégoire, Paris en IX.

[2PEYNAUD (Emile). Le Goût du vin. Paris, 1980.

[3GUYOT (Dr Jules). Etude des Vignobles de France, pour servir à l’enseignement mutuel de la viticulture et de la vinification françaises, tome 111. Paris, 1868.

[4POUPON (Pierre) et FORGEOT (Pierre). Les Vins de Bourgogne. Paris, 1969.