UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

La culture de la vigne

La culture de la vigne a pour but, tout en maintenant la pérennité de la plante, de tirer le meilleur parti de sa capacité de production telle qu’elle s’établit dans son milieu physique particulier. Elle cherche à obtenir un résultat qui est un moyen terme entre la qualité, toujours prioritaire, et la quantité, l’une et l’autre devant concourir dans le cadre de l’économie viticole de la région à la prospérité du vigneron. Les façons culturales doivent tenir compte de l’expérience des anciens et de la réglementation. Une lutte incessante doit être menée contre les accidents et les ennemis de la vigne, dont les dégâts affectent la production et peuvent compromettre la vie même des ceps.

1. LES TAILLES

A. LA NÉCESSITÉ DE LA TAILLE

Une vigne abandonnée à elle-même acquiert un grand développement, produit beaucoup de bois, mais donne des raisins peu nombreux, petits et de maturité irrégulière. Il faut la discipliner, la tailler, autrement dit en couper judicieusement les sarments, pour qu’elle fournisse des fruits en quantité suffisante, avec un bon équilibre sucre-acidité, facteur de qualité du vin à venir, et cela sans compromettre la vitalité de la souche ni accélérer son vieillissement. La taille a d’autre part l’avantage de faciliter les façons culturales en dégageant les abords immédiats des ceps. En Champagne enfin, les conditions climatiques ne permettent pas d’obtenir chaque année une récolte très importante sans que ce soit au détriment de la qualité dont la taille, telle qu’elle est imposée par la réglementation, est un facteur de sauvegarde ; à partir d’un certain seuil, à une vigne plus chargée correspond un titre alcoométrique plus bas.
La nécessité de la taille a été reconnue dès l’Antiquité, bien avant que l’âne de Saint-Vincent, selon la légende, en ait donné l’idée en broutant les sarments d’un cep dont les raisins se sont ensuite révélés d’une qualité exceptionnelle, ce qui lui a valu de figurer à l’un des portails nord de la cathédrale de Reims. Et en 1801, on pouvait lire dans le Traité sur la culture de la vigne que la manière de tailler la vigne influe essentiellement sur la nature du vin ; plus on laisse de tiges à un cep, plus les raisins sont abondants, mais aussi moindre est la qualité du vin. On distingue la taille sèche, qui s’applique aux bois, et les tailles en vert, qui concernent les pousses.

B. LA TAILLE SÈCHE

a. Les principes de la taille

La taille sèche est déterminante pour la conduite de la vigne et sa fructification. Elle vise à donner aux ceps une forme et un développement en harmonie avec leur vigueur, la fertilité du sol dans lequel ils ont été plantés, les façons culturales qui seront pratiquées et les conditions climatiques de la Champagne, et à freiner la production du bois en favorisant celle des raisins, de façon à leur permettre de se développer dans la régularité et la qualité.
Pour obtenir ces résultats, on s’appuie sur les principes ci-après : la quantité de liquide que peuvent débiter les vaisseaux du bois chargés d’assurer la circulation de la sève est inversement proportionnelle à leur longueur et à l’importance de leur section ; le bourgeon le plus élevé et celui placé à l’extrémité d’un rameau exercent une attraction sur la circulation de la sève ; toutes les causes ralentissant l’arrivée de la sève dans les bourgeons favorisent la fructification, au détriment des pousses ; plus les bourgeons sont nombreux sur un rameau, moins grand est le développement de chacun d’eux, cela étant vrai aussi pour l’ensemble des bourgeons alimentés par une même souche ; la végétation est d’autant plus forte que le rameau est plus vertical.
Il s’ensuit que la taille ne peut être longue que sur charpente courte et que, sur charpente longue, la taille longue est néfaste pour la qualité. On a d’ailleurs toujours préconisé les systèmes de taille courte en Champagne, comme en témoigne le dicton déjà en usage au XVIIIe siècle et que l’on peut lire sous la plume du frère Pierre [1] :

Taille court et provigne,
Tu auras toujours bon Vin et bonne Vigne.

La conduite de la vigne est liée aux systèmes de taille et on sait qu’en Champagne la vigne basse a constamment prévalu car, écrivait le chanoine Godinot dès 1718, les Vignes basses produisent peu, mais le Vin est bien plus délicat [2]. Ainsi plantée, la vigne est plus exposée aux gelées de printemps que si elle est conduite dans une forme plus élevée, mais elle résiste mieux à la sécheresse car la végétation et les raisins sont plus proches des racines. En outre, elle profite au maximum du rayonnement thermique du sol, et du sous-sol lorsque celui-ci est calcaire, avantage appréciable en situation septentrionale car il en résulte une intensification de la photosynthèse.

b. Les systèmes de taille

De ces principes, de ces traditions confirmées par la réglementation, résultent les quatre systèmes de taille autorisés en Champagne. Ils ont été définis précédemment et on se contentera d’indiquer brièvement ici l’essentiel des caractéristiques propres à chacun d’eux.
La taille en Chablis, taille courte sur charpente longue, est celle qui se rapproche le plus du mode de conduite de la vigne en foule. Elle comporte un maximum de cinq charpentes, partant directement de la tête de saule du cep, chacune avec un prolongement à fruits taillé à quatre yeux francs pour le Pinot noir, à cinq pour le Chardonnay et, en général, pour le Meunier, un œil franc étant un bourgeon séparé de l’empattement (couronne) de la charpente. Partant du pied du cep, les charpentes sont attachées de plus en plus loin sur le fil de fer inférieur, avec un maximum autorisé de 30 cm entre deux charpentes. Les bourgeons situés à l’extrémité des prolongements doivent être à une hauteur maximale de 60 cm au-dessus du sol.
Pour la taille en Cordon, dont l’appellation complète est Cordon unilatéral dit Cordon de Royal, taille courte sur charpente longue, il est établi une seule charpente horizontale, sans limitation de longueur, fixée au fil de fer inférieur à hauteur maximale de 60 cm au-dessus du sol. Les sarments partant de la charpente sont espacés de 15 cm au minimum et taillés à deux yeux francs pour le Pinot noir et le Meunier, à trois pour le Chardonnay.
La taille Guyot, taille longue sur charpente courte, existe en deux variantes, le Guyot simple, avec une baguette taillée à dix yeux francs et un petit sarment taillé à trois, et le Guyot double, réservé aux terrains profonds et généreux, avec deux baguettes à huit yeux francs et deux sarments taillés à deux. Dans le Guyot double, six yeux francs au maximum peuvent être disposés contre le fil en position horizontale. Les baguettes, qui sont des sarments taillés à plus de six yeux francs, appelés aussi longs bois, sont attachées au fil de fer inférieur à 50 cm au-dessus du sol.
La taille Vallée de la Marne, taille longue sur charpente demi-longue, est apparentée au Guyot. Avec un maximum possible de 18 yeux francs, elle comporte plusieurs variantes indiquées par le décret.
Pour tous les systèmes de taille sont interdits les chevauchements entre ceps voisins et les superpositions de branches à fruits. On constate d’autre part que le nombre maximum de bourgeons fructifères que l’on peut conserver est de 18, alors que dans le Midi, dans les vignes à vin de table, on en trouve jusqu’à 30 et 40. Il est nécessaire de rajeunir les charpentes de la vigne pour lui conserver sa vigueur sans avoir à remplacer prématurément les souches. Le rajeunissement varie dans sa méthode selon les systèmes de taille. Il a lieu généralement tous les cinq ans pour le Cordon de Royat et tous les ans pour les autres tailles.
Le choix du système de taille est effectué en fonction de la nature du terrain, sous réserve des interdictions prononcées par la réglementation concernant le cépage. Sur la craie, avec le Pinot noir, le Cordon de Royat donne les meilleurs résultats, mais avec le Chardonnay, c’est le Chablis qui l’emporte. Dans d’autres terrains, le Guyot et la Vallée de la Marne peuvent sembler préférables pour les Meuniers.

c. L’époque de la taille

Quelle est la meilleure époque pour tailler ? C’est une question dont la réponse a toujours fait l’objet de controverses. Traditionnellement la Saint-Vincent, qui tombe le 22 janvier, donnait le signal du début de la taillerie, d’où ces dictons :

À la Saint-Vincent mets la serpe au sarment

À la Saint-Vincent
L’alouette prend son chant
Et le vigneron son serpillon.

Nicolas Bidet précisait au XVIIIe siècle qu’à la riviere de Marne, le vigneron commence à tailler à la Saint-Vincent [3]. Mais il semble bien que ces motivations relevaient davantage du désir de prendre de l’avance dans les travaux annuels que d’obtenir le meilleur résultat dans la production de la vigne. Frère Pierre écrivait en effet à la même époque : On ne doit pas commencer à tailler avant le quatorze de la lune de Février, sinon la Vigne est exposée à souffrir et même à mourir, s’il survient des frimats, d’abord après qu’elle a été taillée. L’avidité de gagner dans les Vignerons leur fait entreprendre plus de Vignes qu’ils n’en peuvent façonner ; ce qui les engage à tailler dès le mois de Janvier .
En principe, on peut tailler la vigne pendant toute la période de son repos végétatif, autrement dit entre la chute des feuilles et le débourrement, mais de tous temps le mois de mars a été reconnu en Champagne comme le plus propice, avec possibilité de tailler si nécessaire jusque vers le 15 avril. C’est bien ce que confirment deux dictons dont le premier est d’ailleurs répandu dans la France entière :
Taille tôt, taille tard,
Rien ne vaut la taille de mars.

Taille et bêche en mars ;
S’il y a du vin ;
T’en auras ta part.

Tailler plus tôt est possible, mais il faut éviter de le faire par temps très froid car les sarments cassants rendent les coupes peu nettes et les tissus nouvellement mis à l’air très sensibles au gel. Des essais ont d’autre part démontré que la taille pratiquée entre le 15 novembre et le 15 janvier entraîne une diminution de production qui peut atteindre 2 à 3 000 kilos à l’hectare dans les cas les plus défavorables, tandis que les tailles très précoces du début de novembre et même de la fin d’octobre portent moins préjudice à la vigne. C’est ce qu’avait déjà constaté au XVIIIe siècle M. de la Quintinie, directeur des jardins du roi, qui conseillait de tailler dès la chute des feuilles.
Il est en tout cas habituel de pratiquer dès l’automne un émondage des pieds, ou même la prétaille qui consiste couper les vieilles charpentes destinées à disparaître et à supprimer les sarments inutiles et encombrants pour ne conserver que les bois de taille. La taille se fera alors avec une économie de temps de 20 à 25 %. La prétaille se fait la main ou avec une prétailleuse, scie mécanique portable, à moteur à essence, portée par le vigneron avec un harnais ou des bretelles de suspension. C’est un outil pratique par la fatigue qu’il évite et le temps qu’il fait gagner, mais assez dangereux.

d. Les modalités de la taille

Si des vignerons sont parfois occupés à tailler dès octobre, c’est de la fin janvier à début avril que le vignoble champenois présente, avec la taillerie, sa plus grande activité, en dehors des vendanges. Le tailleur, homme ou femme s’y rend seul ou en ménage, ou bien encore en équipe dans les exploitations importantes. Il est armé un sécateur à ressort, qui a remplacé la serpette de jadis, dont la lame faisait pourtant des coupes parfaites pour les gros bois, il utilise les cisailles coupe-souches et, si nécessaire la scie à main.
Depuis le début des années 1970, mais plus récemment en Champagne, quelques vignerons pratiquent la taille assistée, faisant appel au concours de sécateurs hydrauliques ou pneumatiques alimentés par un compresseur monté sur châssis mobile, ou stationné en bout de rang, pouvant alimenter plusieurs postes de taille. Ces engins permettent un gain de temps d’environ 12%. Ils préviennent les affections musculaires et ligamenteuses et, malgré un poids de 600 grammes environ, diminuent la fatigue de l’utilisateur. La taille est en effet une besogne pénible qui, outre l’effort de manipulation, oblige à se baisser constamment. La campagne peut demander pour un vigneron soixante à quatre-vingts journées, avec 200 000 à 500 000 déclenchements du sécateur, en une saison où le mauvais temps, lorsqu’il n’interdit pas toute activité, la rend encore plus ingrate. Mais, en taillant, les vignerons participent à la vie de la vigne plus intimement que dans les façons culturales et, surtout si elle est leur propriété, il s’établit entre elle et eux une communication privilégiée qui leur donne goût au travail. L’un d’eux, D. Violart, a écrit sur ce sujet, il y a cent ans, le beau poème que voici, paru dans le Vigneron champenois de février 1878 :

La cloche du matin vient de sonner six heures,
À l’âtre le sarment brûle dans cent demeures ;
Sur l’ordre à lui donné par Saint-Vincent martyr,
Le rude vigneron se dispose à partir.
Au dehors il fait froid, mais qu’importe à cet homme ?
Il a chaud, il a bu son classique rogomme ;
Satisfait de son sort, il s’en va tout joyeux
Braver de février le temps dur et pluvieux.

Une tâche fastidieuse consistait à sarmenter, c’est-à-dire à ramasser les sarments coupés, rôle traditionnel des femmes et des enfants qui les liaient en javelles et faisaient des faguettes de 12 javelles, utilisées pour le chauffage. Cette pratique a presque complètement disparu puis les années 1960 grâce à la brouette à feu, dans laquelle est entretenue une flamme permettant d’incinérer sur place les sarments. Cet engin est d’une simplicité désarmante, mais il fallait y penser. Il a été conçu et réalisé en 1964 par M. Michel Jeanneteau, constructeur en matériel viticole à Saint-Martin-d’Ablois. Il est constitué d’un bâti en fer en forme de brouette ayant pour roue une jante de bicyclette et supportant un fût métallique de 100 à 200 litres, souvent un vieux fût à essence, disposé horizontalement, avec la partie supérieure fendue dans la longueur puis ouverte, avec les bords écartés à la verticale. La partie inférieure est percée de trous assurant le tirage du foyer et, après utilisation, l’évacuation des cendres. Le tailleur allume un feu dans la brouette et y jette les sarments au fur et à mesure qu’il les coupe, la changeant de place dans l’interligne tous les deux ou trois ceps pour l’avoir toujours à proximité. On n’a donc plus à procéder au ramassage des sarments et si le vigneron éprouve parfois quelque gêne du fait de la fumée, ou quelque peine à mouvoir l’engin par temps humide sur un terrain en forte pente, il bénéficie en échange d’une chaleur qui n’est pas négligeable.
La brouette à feu s’est répandue dès 1970 dans tout le vignoble, gagnant même la Bourgogne. Voici donc une invention élémentaire dans sa conception, mais qui a révolutionné les habitudes des vignerons et imprimé sa marque dans le paysage champenois, dont les coteaux sont, en période de taille, ponctués de colonnes de fumée bleue. La brouette à feu a été cependant abandonnée par ceux des exploitants qui ont adopté une pratique consistant à laisser les sarments sur place, au lieu de les brûler, pour lutter contre l’érosion tout en enrichissant, graduellement, l’humus du sol. Cette technique a sa valeur, mais elle est parfois gênante pour les travaux de culture. C’est pourquoi certains vignerons se sont équipés à la fin des années 1970 avec des broyeurs de sarments qui permettent de se débarrasser des bois tout en restituant au sol leur matière organique, abondante en lignite et cellulose, après l’avoir éventuellement enrichie par un complément azoté sous forme minérale. Mais avec cette méthode la lutte contre l’érosion est moins probante que lorsque les sarments restent sur le sol en brins de grande dimension. La brouette à feu restait au début des années 1980 le moyen de destruction des sarments le plus couramment employé dans le vignoble champenois mais le broyage gagnait cependant assez rapidement du terrain

e. L’attachage

Au fur et à mesure que la taille se poursuit, le vignoble change de physionomie, la belle ordonnance des vignes taillées remplaçant petit à petit les rangs hirsutes des longs sarments de novembre. On procède à l’attachage des charpentes et, s’il y a lieu, à celui des sarments de taille, pour fixer les organes de la vigne aux appareils de soutien tout en participant à la mise en forme de la vigne.
On sait que l’attachage se faisait traditionnellement avec des joncs passés en petites bottes dans la ceinture du vigneron et maintenus humides par une toile dans laquelle ils étaient enveloppés. Le jonc a été petit à petit remplacé par la ficelle de sisal, de jute, de papier armé ou d’autres matériaux, roulée en pelote dans une boîte que le vigneron porte attachée à la jambe, et posée avec un lieur, petit outil servant à faire les nœuds et à couper la ficelle. En 1970, le jonc était encore employé dans 50% du vignoble, mais cette proportion a ensuite diminué rapidement en faveur de la ficelle, plus simple et plus rapide à poser, et c’est esthétiquement dommage car le jonc donne à la vigne une parure très agréable à l’oeil, surtout avec les parfaits alignements de la taille en Cordon de Royat.

C. LES TAILLES EN VERT

La taille sèche pratiquée pendant la vie latente de la vigne doit être complétée pendant la vie active des ceps par des tailles en vert ou tailles d’été, débutant d’ailleurs au printemps, dans le but de supprimer la végétation inutile et, ce faisant, de favoriser la fructification.
Les tailles en vert sont au nombre de cinq, l’ébourgeonnement, l’épamprage, le pincement, le rognage et l’écœurage.
L’ébourgeonnement est la suppression, peu après le débourrement, des jeunes pousses superflues, en vue d’éviter le gaspillage de la sève et d’obtenir ultérieurement une meilleure aération de la végétation. Il se fait à la main. Dans l’Aube, on le pratique peu. L’épamprage s’applique à des pousses plus grandes et a un but analogue à celui de l’ébourgeonnement dont il est un complément. Il se fait aussi à la main. En pratique, ces deux opérations sont confondues sous le nom d’ébourgeonnage en Champagne, où d’ailleurs le terme épamprage est peu usité.
Le pincement est l’élimination, également à la main, de l’extrémité de certaines pousses, fructifères ou non, en vue de régulariser la végétation des différentes parties du cep, de favoriser le développement des bourgeons situés à la base des sarments ou ayant pu être contrariés dans leur évolution, d’uniformiser la floraison et de hâter la fécondation.
Le rognage est la suppression de toutes les extrémités des pousses lorsque celles-ci ont atteint une certaine longueur, dans le but d’économiser la sève en vue d’une alimentation plus abondante des grappes et d’une meilleure nouaison des vignes faibles, tout en facilitant la pénétration de l’air et de la lumière. En France, le rognage n’est pas pratiqué dans tous les vignobles. En Champagne, il l’a toujours été et il se fait aujourd’hui exactement comme le frère Pierre le décrivait il y a 250 ans. Le premier rognage, qui n’intervient que sur les longues pousses qui dépassent les autres, s’appelle aussi écimage. Le rognage arrête momentanément la pousse des feuilles et a pour conséquence de faciliter les travaux d’entretien et les traitements antiparasitaires. Il ne doit pas être trop sévère, une diminution exagérée de la surface foliaire compromettant la bonne alimentation du cep et, par voie de conséquence, la maturation et l’aoûtement. L’opération est de même nature que celle du pincement, mais au lieu d’être pratiquée pousse par pousse, elle est exécutée globalement sur le dessus et les côtés du rang, qui prend ainsi l’aspect d’une haie bien entretenue. Le rognage se pratique généralement à la cisaille mais, depuis le début des années 1970, on utilise aussi des rogneuses mécaniques sur tracteurs-enjambeurs, expérimentées dès 1961, avec rotation de pales coupantes travaillant horizontalement et latéralement. Le moment le plus favorable est très discuté. On le situe généralement dès la fin de la floraison. En rognant trop tôt, on pourrait nuire à cette dernière en favorisant le développement de nombreux rejets. En le faisant trop tard, on risquerait de contrarier la bonne évolution de la maturation et de gêner les travaux d’entretien. Certaines années, néanmoins, la végétation est exceptionnellement fournie et il peut être nécessaire, après un deuxième rognage en juillet, d’en effectuer un troisième, et même un quatrième en septembre, pour garder au vignoble un aspect esthétique tout en dégageant les interlignes en vue des vendanges.
L’écœurage, ou rabiotage, est l’enlèvement des entre-cœurs issus des prompts-bourgeons, rejets qui se développent d’autant plus rapidement que la vigne est plus vigoureuse et que le rognage a été plus sévère. Il permet une économie de sève par suppression des pousses inutiles, donc une augmentation du rendement et, comme les autres tailles en vert, il facilite l’aération de la végétation et les traitements. L’opération se fait à la main quelque temps après le rognage, à un moment à choisir en fonction du développement des pousses.

D. LE PALISSAGE

La vigne est une liane qu’il faut palisser sous peine de la voir ramper sur le sol et y exposer son précieux fardeau à tous les périls de la nature. Le palissage s’intercale entre les tailles en vert, collaborant avec elles pour discipliner la vigne et l’aérer, et pour faciliter les traitements et le passage des tracteurs. On le pratique généralement avant la floraison, une bonne fécondation demandant de l’air et de la lumière.
Pour palisser, on remonte les fils releveurs et on les met en position haute sur les piquets, en sorte que les jeunes rameaux se trouvent ainsi encadrés. Pour les fixer, on utilise divers systèmes tels que pinces à lier, serre-fils et crochets d’accolage. Les brins issus de la souche sont également palissés, après élimination, s’il y a lieu, de ceux qui sont en excès.
Le palissage est moins fatigant que la taille. Il demande du soin mais ne nécessite aucune connaissance particulière ; il peut donc être confié à de la main-d’œuvre auxiliaire, à condition qu’elle soit sérieuse, car on reconnaît le bon vigneron à la qualité du palissage de ses vignes. Une récolte abondante, une bonne maturité et un excellent état sanitaire résultent souvent, en partie, d’un très bon palissage de la végétation, ce qui en montre bien l’importance.

2. L’ENTRETIEN DU SOL

A. LE TRAVAIL DU SOL

a. But et nature des travaux

Travailler le sol a pour but de l’ameublir, de l’aérer, d’équilibrer son régime hydrique et de détruire les mauvaises herbes qui disputent à la vigne l’eau et les éléments nutritifs. On distingue les labours, qui se déroulent pendant le repos de la vigne, et se divisent en buttage et débuttage, et les façons superficielles qui comprennent le binage et le sarclage et prolongent les labours en période de végétation.

b. Les labours

Le buttage est le plus important des travaux du sol, aux vertus générales desquels il ajoute l’enfouissement des engrais et une participation, d’ailleurs discutable, à la protection contre les gelées d’hiver. Il s’effectue à la charrue, en retournant le sol sur une profondeur de 10 à 15 cm et en ramenant la terre contre les ceps, le long desquels elle s’accumule en une petite butte. II se forme au milieu de l’interligne un sillon par lequel l’eau s’infiltre, sauf toutefois dans les coteaux en forte pente où il peut jouer le rôle d’une rigole. Sur le sillon seront déposés les engrais et amendements organiques qui seront enfouis par le labour de printemps. Le buttage s’exécute à l’automne, après la chute des feuilles et lorsque le sol est bien ressuyé, mais avant les grands froids.
Le débuttage, qui s’effectue au printemps, est plus difficile et moins rapide que le buttage car il faut prendre garde de ne pas abîmer les ceps avec le soc de la charrue. On remet le sol à plat en ramenant sur toute la largeur de l’intervalle la terre qui avait été rassemblée autour des ceps. On crée ainsi avant la période de la végétation une couche aérée, ameublie, qui en facilitera le développement et dans laquelle les instruments aratoires exécutant les façons superficielles trouveront une assise leur permettant de bien effectuer leur travail.
Qu’ils soient de buttage ou de débuttage, les labours sont généralement exécutés en Champagne par les tracteurs-enjambeurs. On emploie des motoculteurs dans les très petites exploitations et des mototreuils dans quelques vignobles à la pente très accentuée. Pour labourer la bande de sol située sous les souches, le cavaillon, il faut soit opérer à la main, soit munir le tracteur d’un interceps, soit effectuer sous le rang un désherbage chimique. On utilise aussi la charrue bédouret, inventée peu après la dernière guerre par M. Bédouret forgeron à Verzenay. Tractée, elle permet de travailler le cavaillon sur deux rangs à la fois, grâce à ses deux socs mobiles actionnés par deux personnes qui suivent le tracteur-enjambeur.

c. Les façons superficielles

Le binage consiste à ameublir la surface du sol sur une faible profondeur pour briser la croûte qui se forme sous l’influence des agents atmosphériques, ce qui permet de retenir dans la terre émiettée l’humidité qui, sans cela, aurait tendance à remonter par capillarité jusqu’à la surface où elle s’évaporerait. Le sarclage a pour objet l’arrachage des mauvaises herbes. En pratique, binage et sarclage se confondent souvent car le premier s’attaque indirectement aux herbes sauvages. Ces opérations se déroulent en fonction du besoin. Elles débutent généralement quelques semaines après le débuttage et peuvent se reproduire à deux ou trois reprises jusqu’à la véraison. Elles s’effectuent avec des charrues bineuses à plusieurs socs triangulaires, attelées derrière un tracteur, ou avec les houes rotatives des motoculteurs. Un complément est parfois effectué avec des outils à main, notamment près des ceps afin de ne laisser subsister aucune végétation indésirable.

* B. LE DÉSHERBAGE CHIMIQUE

Les mauvaises herbes, on le sait, entrent en compétition avec la vigne en ce qui concerne les besoins en eau et l’alimentation minérale. On peut noter au passage que l’on ne trouve jamais en Champagne, on l’a d’ailleurs évoqué au chapitre précédent, de cultures ou d’arbres fruitiers, qui nuiraient à la vigne pour les mêmes raisons. Les savoureuses pêches de vigne ne sont plus que le souvenir de temps anciens où ces pratiques étaient courantes, dans la vallée de la Marne notamment, malgré les interdictions répétées des intendants de Champagne qui défendaient de planter des arbres fruitiers et des légumes dans les vignes, et les avis des agronomes comme Maupin qui estimait que la vigne a de l’antipathie pour certaines plantes [4].
Les mauvaises herbes ont, en outre, le grave inconvénient d’augmenter les risques de gelée et de favoriser le développement des maladies cryptogamiques par l’humidité qu’elles entretiennent. Il faut de tems-en-tems faire arracher les herbes qui croissent dans les Vignes, écrivait le frère Pierre . Il est en effet nécessaire de s’en débarrasser, mais d’une façon permanente, et c’est bien ce que l’on cherche à obtenir avec les labours.
Néanmoins ceux-ci n’ont pas que des avantages. Ils détruisent des racines superficielles qui bénéficiaient d’un milieu riche, vivant, aéré, et ils modifient la structure du sol dans l’interligne en raison des passages du tracteur dont les roues créent un tassement, ce qui, entre parenthèses, n’était pas le cas du cheval. En outre, le travail du sol effrite le calcaire et, de ce fait, le rend plus actif et enclin à accentuer la chlorose. On peut aussi reprocher au labour de débuttage d’abaisser les températures des couches basses de l’atmosphère, l’évaporation de l’eau contenue dans la terre humide ramenée en surface étant préjudiciable à la vigne au moment des gelées printanières. Il faut noter enfin les blessures faites aux souches par le tracteur et l’interceps, compromettant non seulement la récolte, mais la vie même de la vigne.
On a donc cherché à détruire les mauvaises herbes par d’autres méthodes et on s’est tourné vers le désherbage chimique qui permet de les combattre efficacement en se servant à bon escient d’herbicides déjà utilisés en horticulture et en agriculture et qui font l’objet d’améliorations constantes. Les premiers essais ont eu lieu en Champagne en 1957, avec un succès immédiat, mais la méthode ne s’est réellement développée que depuis 1970. À l’origine, on a pratiqué un désherbage limité soit dans le temps, le désherbage temporaire, cherchant à détruire une végétation adventice que les façons d’entretien classiques n’avaient pu prévenir, soit dans l’espace, le désherbage en localisation, effectué sous le rang, avec maintien des façons superficielles dans l’interligne ou simple emploi de défanants à l’automne. On a ensuite essayé le désherbage sélectif, ne laissant qu’un mince tapis d’herbes choisies, maintenant une légère humidité limitant le ravinement et permettant un accès plus facile du vignoble, mais sans avoir les inconvénients des mauvaises herbes incontrôlées. Dans le même esprit, mais sans succès, on a aussi tâté de l’enherbement en ray-grass, végétal coûteux et difficile à détruire.
On a finalement abouti dans les années 1970 à la non-culture, expérimentée en Champagne depuis 1957, désherbage total supprimant tous les travaux aratoires, la surface du sol étant nivelée et nue. Cette technique consiste à effectuer au début du printemps un désherbage de préémergence empêchant la levée des plantules, qui absorbent l’herbicide dit préventif appliqué sur toute la surface du sol. On contrôle ensuite au cours de la saison, par un herbicide curatif, les espèces qui ont échappé à l’opération initiale et se développent le plus souvent par taches. Au bout de deux ou trois années le désherbage de printemps ne demande plus que des doses d’entretien.
Les désherbants ne sont pas toxiques pour la vigne si on les emploie convenablement. Il faut choisir les herbicides avec discernement, respecter scrupuleusement les prescriptions des fabricants concernant les doses et les époques d’emploi et utiliser des appareils d’épandage précis et économiques, pulvérisateurs à dos, convenant parfaitement, lances, buses et rampes commandées par tracteur, en bref, tous les moyens qui permettent de bien désherber sans nuire à la vigne. Sous réserve de ces précautions, le désherbage chimique, et plus précisément la non-culture, présente beaucoup d’avantages. Au printemps, époque très chargée pour le vigneron, il réalise un gain de temps important par rapport aux travaux du sol classiques dont il évite de surcroît les inconvénients signalés plus haut : développement de la chlorose, abaissement des températures et, bien entendu, blessures des ceps. Il permet de pénétrer plus aisément dans les vignes par mauvais temps, le bilan hydrique est généralement supérieur à celui résultant des labours et façons superficielles et l’absence totale d’herbe offre une meilleure garantie contre le gel.
Il faut noter cependant que le désherbage chimique doit surmonter un phénomène gênant, l’inversion de la flore. Les espèces très sensibles, tels que le mouron, la véronique, la matricaire ou camomille, ont pratiquement disparu du vignoble. La place étant libre, d’autres plantes sont venues la prendre, le liseron, la passerage, surnommée en Champagne le chou-fleur d’Ambonnay, la morelle noire, la potentille rampante, le chardon, la carotte et le panais sauvages, l’épilobe qui, en une année, a envahi une quarantaine d’hectares du vignoble de Verzenay, la renouée persicaire. Leur propagation se fait, on le voit, avec une rapidité déconcertante, démontrant le danger toujours menaçant de l’envahissement du vignoble par des plantes nouvelles et la nécessité d’une mise au point permanente des herbicides, d’autant plus que des espèces s’adaptent à certaines produits, comme le séneçon, réapparu dans la majeure partie du vignoble en 1981.
Une autre question posée par le désherbage chimique est celle de la pollution qui pourrait résulter de la présence des herbicides dans l’eau de ruissellement accumulée en bas de pente et provoquer des dégâts dans les cultures voisines ou contaminer les rivières. En Champagne viticole, les responsables communaux et syndicaux sont très attentifs à ce problème et on peut penser que l’utilisation des produits convenablement limitée qui y est de règle écarte tout danger sérieux de pollution.

Tout bien pesé, le désherbage chimique est un progrès technique indéniable, qui s’accompagne d’un réel avantage économique. Comparé en non-culture aux modes traditionnels de travail de la terre, son coût est plus élevé les deux premières années mais ensuite l’économie est sensible. Il y avait un choix à faire entre le labour, accompagné ou non de désherbage partiel, et la non-culture. Celle-ci semble l’avoir définitivement emporté puisqu’en 1980 on estimait qu’elle intéressait 70 % du vignoble, contre 20 % pour le désherbage partiel et 10 % pour les labours accompagnés de façons superficielles sans aucune utilisation des herbicides. On a pu même lire dans le Vigneron champenois du mois d’avril 1981 : Très peu de vignes ont été buttées cet hiver à part les jeunes plantations.

C. L’ÉROSION DES TERRES

De la disposition des vignes champenoises en coteaux, il résulte fréquemment des effets de ravinement causés par les averses et par les pluies d’orage, entraînant des masses de terre au bas des pentes et sur les champs avoisinants. Les très fortes précipitations peuvent même déchausser les ceps et transformer les chemins en rivières, allant jusqu’à déposer des couches de boue dans les rues des villages. Ce phénomène oblige le vigneron à remonter à grand-peine sur sa vigne la terre fertile. Il a toujours été constaté en Champagne, mais il s’est amplifié depuis la dernière guerre en raison de la reconstitution, qui a supprimé peu à peu les terres en friches qui le limitaient considérablement, tandis que, pour faciliter la motorisation, on supprimait les arrêts d’eau, les talus, tout ce qui avait pour effet de freiner la chute des eaux.
La non-culture remplace le ravinement par un ruissellement qui se produit sur la surface croûteuse du sol, et dont l’écoulement s’effectue par les rigoles des interlignes en emportant beaucoup moins de terre. On peut même en interdire presque totalement l’exportation en laissant sur le sol les composts urbains, qui forment une couverture limitant considérablement le ruissellement. Les sarments non broyés restés sur place après la taille jouent un rôle analogue lorsque, au bout de deux ou trois ans, ils se sont convenablement incorporés au sol. Par les techniques modernes de culture, on est donc arrivé à lutter efficacement contre l’érosion et, par voie de conséquence, contre la pollution que pourrait causer l’entraînement des produits de traitement.

D. LES APPORTS DE TERRE

Plantés depuis des siècles, les coteaux viticoles champenois sont en permanence l’objet d’un phénomène d’usure, provenant de l’érosion du sol, de sa dégradation, de la fatigue résultant des échanges qu’il entretient avec la vigne et de l’épuisement en matières organiques qui en découle. Si on n’y porte remède, la couche de terre arable diminue, les carences minérales se multiplient, la vigne dépérit. Il est donc nécessaire de rajeunir le sol de temps à autre et c’est ce que fait depuis des siècles le vigneron champenois par ses apports de terre.
Profitant généralement du froid de l’hiver, qui durcit les sols et les rend plus praticables, il fait déverser par camions au pied de sa vigne, ou sur un emplacement se trouvant libre à proximité, de la terre végétale qu’il répartit ensuite à la brouette ou par épandage au moyen de trémies portées sur tracteur-enjambeur ou sur remorque.

La provenance de la terre est variée, mais les vignerons de la Marne ont la chance de pouvoir disposer dans la Montagne de Reims, donc pratiquement sur place, d’un approvisionnement d’une exceptionnelle qualité. Il s’agit des terres noires ou cendres, lignites sulfureux du sparnacien qui se trouvent sur le rebord du plateau en lisière de forêt, au-dessus des vignes, d’où on les extrait de carrières appelées cendrières, et qui servaient à constituer les magasins du XIXe siècle, selon un usage aujourd’hui en voie de disparition. Leur très forte acidité conduit à ne les utiliser que plusieurs mois après l’extraction, afin de diminuer par l’oxydation de l’air leur agressivité chimique vis-à-vis des racines de la vigne. On en voit pour cette raison de grands tas en attente ici et là dans le vignoble. Cette terre améliore la structure des sols en raison d’une teneur assez élevée en carbone, dont l’effet est durable. Mélangée avec le sable provenant des mêmes carrières, elle donne un produit de texture plus légère permettant d’ameublir les sols argileux. Elle est pauvre en éléments minéraux majeurs, mais elle a un pouvoir fertilisant grâce à la présence de soufre et de zinc ; par sa grande richesse en fer, elle a une action favorable dans la lutte contre la chlorose ferrique, au point que l’on a parfois considéré qu’elle avait permis l’implantation du vignoble dans certains sols du pourtour de la Montagne de Reims particulièrement prédisposés à cette carence.

3. L’ALIMENTATION DE LA VIGNE

A. L’ALIMENTATION MINÉRALE

La fertilité de la vigne est subordonnée à sa bonne alimentation minérale dont les éléments majeurs sont l’azote, le phosphore et le potassium. L’azote augmente la capacité de production du cep et permet d’accroître le rendement sans nuire à la pérennité de la plante. Conforment au phénomène fréquemment constaté, une augmentation exagérée du rendement due à un excès d’azote risque de se faire au détriment de la qualité. D’autre part, son utilisation abusive sous forme trop rapidement assimilable peut avoir des conséquences néfastes, coulure, retard de la maturation, aoûtement incomplet, moindre résistance aux maladies cryptogamiques. Le potassium est comme l’azote un facteur de rendement car, en neutralisant les acides organiques formés par la plante, il favorise la respiration et active la croissance. C’est aussi un facteur de qualité car il augmente l’assimilation chlorophyllienne et l’accumulation des hydrates de carbone dans les raisins. C’est enfin un facteur de santé et de conservation de la vie du cep car il facilite la répartition des réserves entre ses différentes parties. Le phosphore a un rôle moins connu mais qui semble orienté vers la régulation du développement de vigne et notamment de la mise à fruits ; il est en tout cas indispensable. On peut donner à la vigne l’azote sous forme d’engrais nitriques ou ammoniacaux, l’acide phosphorique sous forme de scories ou de superphosphates, la potasse sous forme de chlorure ou de sulfate de potasse. Mais ce sont les engrais ternaires complexes contenant trois éléments majeurs qui ont la faveur du vigneron.
Les autres aliments minéraux nécessaires à la vigne sont des éléments secondaires, soufre, magnésium et calcium, et des oligo-éléments, qui se définissent comme des aliments indispensables mais en très petite quantité, zinc, fer, manganèse, bore, cuivre, molybdène, etc.

B. L’ALIMENTATION ORGANIQUE

Les apports organiques sont aussi importants que l’alimentation minérale, car ils ont pour effet de reconstituer l’humus du sol, qui se détruit progressivement du fait de dégradation chimique et de sa consommation par les microbes. Or, l’humus joue un rôle considérable dans la vie de la vigne. Par son action physique, il ameublit le sol, ce qui a pour effet d’augmenter sa perméabilité à l’eau et à l’air, d’accroître sa capacité d’absorption hydrique et donc de diminuer les risques de sécheresse, d’empêcher les éléments fertilisants d’être entraînés par les pluies, d’atténuer les dégâts dus à l’érosion. Par son action chimique, il facilite l’assimilation des aliments minéraux, dont il est d’ailleurs lui-même pourvoyeur dans une certaine mesure. Par son action biologique, il permet la multiplication des micro-organismes du sol, auxiliaires indispensables dans le processus de l’alimentation des plantes. Le fumier, qui était autrefois l’essentiel de la matière organique, est devenu rare et cher. On s’en sert encore en petite quantité ; il provient surtout de la stabulation libre et des champignonnières. On utilise aussi la tourbe, les déchets de l’industrie du bois, le marc de raisin qui, même après distillation, contient des quantités appréciables de matières fertilisantes et, comme on le sait, les sarments de taille. Les ordures ménagères, sous forme de composts, que les vignerons ont coutume d’appeler gadoues ou boues de ville, sont néanmoins les plus répandues.
Les composts urbains, après une fermentation plus ou moins complète en usine, ou à l’air libre sur une aire étendue, sont livrés après avoir été broyés et totalement ou partiellement triés et criblés. Riches en matières organiques, et aussi en oligo-éléments, ils proviennent de la région parisienne et de sources locales. Utilisés de longue date en Champagne, les composts urbains étaient autrefois enfouis par les labours. Sur les sols traités en non-culture, ils restent en surface où ils jouent de ce fait, on l’a vu, un rôle important dans la lutte contre l’érosion qu’ils arrivent à réduire presque totalement, même dans les vignobles en forte pente. Ils forment en outre un revêtement de sol qui, par mauvais temps, facilite beaucoup la circulation des tracteurs. En contrepartie de ces avantages, ils ont une odeur nauséabonde, il est vrai de courte durée, et confèrent un aspect peu engageant au vignoble, déconcertant pour le visiteur qui en voit trop souvent les interlignes jonchés de débris de plastique. Comme l’écrivait fort justement Claude Badour, directeur de l’A.V.C. dans le Vigneron champenois de janvier 1980, la renommée de la Champagne passe non seulement par le vin mais également par la présentation des vignes bien soignées et bien entretenues. Paradoxalement, l’utilisation des composts urbains en surface participe pour une part importante au bon état de la vigne, mais il serait souhaitable, fût-ce au prix de la dépense supplémentaire entraînée par le triage, qu’ils soient débarrassés des déchets qui nuisent à sa bonne tenue.

C. L’ÉVALUATION DES BESOINS EN FUMURE

Il appartient au vigneron de donner à la vigne tous les éléments qui lui sont nécessaires, en pratiquant l’amendement que l’on appelle fumure, par extension de ce qui était autrefois limité à un apport de fumier. Il doit, cependant, se défendre de les lui fournir en trop grande quantité, ce qui aurait pour effet d’augmenter inconsidérément le rendement, au détriment de la qualité, et cela non seulement pour l’année en cours, mais même pour la suivante, car la constitution des réserves pourrait également en être affectée. À toute époque, les praticiens ont affirmé les mêmes principes. Au XVIIIe siècle, le frère Pierre écrivait : Il ne faut que peu de fumier ; la trop grande quantité rendroit le Vin mol et fade. Vers le mois de février on en porte une demi hôtée à chaque cep, surtout aux nouvelles plantes, pour les aider à pousser ; il suffit de fumer ainsi touts les huit ou dix ans une Vigne, ou une huitième ou dixième partie par chacun an . Au début du XIXe siècle, Chaptal affirmait : La culture doit être dirigée de telle manière que la plante reçoive une nourriture très-maigre, si l’on désire un raisin de bonne qualité [5] ; En 1979, on pouvait lire dans le numéro de novembre du Vigneron champenois : Les vignes à faible production ont donné des moûts très riches en sucres et moins acides ; les fortes productions ont donc bien une influence sur la qualité.
Tout le problème est de savoir quelle doit être l’importance de la fumure, compte tenu des ressources naturelles de la terre, des réserves à constituer, des besoins de la plante, cette dernière consommant naturellement une certaine quantité d’éléments fertilisants qui constitue ses exportations. Le vigneron a pour cela toujours fait appel à son expérience et s’en est bien trouvé dans l’ensemble. Mais il demande de plus en plus le concours de laboratoires spécialisés qui lui permettent de résoudre le problème avec une précision accrue, pour le plus grand bien de la qualité de la production et des finances des producteurs.
Pour l’alimentation minérale, les éléments secondaires et les oligo-éléments entrent peu en ligne de compte, car ils se trouvent en abondance dans le sol champenois et, pour les oligo-éléments, dans les composts urbains. Tout au plus apporte-t-on parfois du calcium sous forme de craie, et plus fréquemment du fer au moyen des terres noires, qui sont épandues à raison de 300 m3 à l’hectare tous les dix ans. Faute de terres noires, onéreuses et éloignées de certains vignobles, on traite tous les deux ans aux chélates de fer. Il s’agit donc essentiellement de déterminer la quantité d’azote, de potassium et de phosphore qu’il convient de fournir annuellement à un hectare de terre. Encore faut-il savoir que les fumures modifient l’équilibre fertilité-vigueur avec un effet différent selon les sols ; pour certains, les terrains grainants, elles augmentent le nombre et le poids des grappes, pour d’autres elles favorisent la végétation. La méthode consiste à calculer la teneur des feuilles en éléments majeurs pour déterminer, d’après des normes de référence, les besoins et les carences et en déduire une formule de fumure. C’est ce que l’on appelle le diagnostic foliaire, qui a commencé à se faire en Champagne à partir de 1952. On procède aussi à des tests fumures, menés par le vigneron dans sa vigne pendant un certain nombre d’années avec l’élément majeur dont il veut connaître l’efficacité, et qui sont complétés à un stade plus poussé par des essais de fumure effectués par les services techniques du C.I.V.C. ou des maisons de champagne ayant des vignobles importants.
On a bien sûr compris que la fumure que l’on apporte à la terre peut varier d’une manière assez considérable d’une vigne à l’autre, d’un vigneron à l’autre, et même d’une année à l’autre en fonction de la conjoncture économique. Normalement, on compte pour l’alimentation minérale, par hectare et par an, de 1 000 à 1 200 kilos d’engrais complet dans lequel entrent généralement pour une partie d’azote deux parties d’acide phosphorique et quatre parties de potasse ; on ajoute souvent de la magnésie. Pour l’alimentation organique, on épand environ 100 à 150 tonnes de compost urbain par hectare tous les 2 ou 3 ans.

D. LA MISE EN PLACE DE LA FUMURE

La mise en place des composts urbains s’effectue selon des techniques analogues à celle des apports de terre. Elle prend du temps ; débutant normalement à l’automne, elle peut se prolonger jusqu’en mars à l’occasion des belles journées d’hiver. Pour les engrais minéraux, lorsqu’ils sont en granulés on procède à leur épandage à la volée, parfois à l’automne à l’occasion du buttage, pour ceux qui sont restés fidèles aux labours, plus souvent au printemps ; les épandages se font aussi mécaniquement, en particulier avec des semoirs centrifuges, mais le geste auguste du semeur, transposé pour les besoins de la fumure, est loin d’avoir disparu du vignoble. Quant aux engrais liquides, encore peu utilisés, on les répand par classiques arrosages du sol. Des compléments d’engrais foliaires sont souvent apportés en cas de carence caractérisée en un ou plusieurs éléments ; dans la pratique, on les ajoute aux bouillies antiparasitaires afin d’éviter un passage supplémentaire dans les vignes, et ceci même en l’absence de carence visible.

Notes

[1PIERRE (Frère). Traité de la culture des vignes de Champagne, situées à Hautvillers, Cumières, Ay, Epernay, Pierry et Vinay, d’après un manuscrit rédigé par le Frère Pierre, élève et successeur de Dom Pérignon, appartenant à Mme la comtesse Gaston Chandon de Briailles et déchiffré par M. le comte Paul Chandon Moët. Épernay, 1931.

[2GODINOT (Attribué au chanoine jean). Manière de cultiver la vigne et déjoue le Vin en Champagne et ce qu’on peut imiter dans les autres Provinces pour perfectionner les Vins. Avignon, 1719. - Seconde édition augmentée de quelques secrets pour rectifier les Vins et des planches des divers pressoirs gravées. Reims, 1722.

[3Né à Reims Nicolas Bidet (1709-1782) publie en 1752 une somme des connaissances sur la viticulture au XVIIIe siècle.
Elle s’est ensuite enrichie d’une série de planches finement dessinées par Maugein et gravées par Choffart qui montrent des pressoirs, cuves et divers instruments de vinification. Il fut officier de la Maison du roi et sommelier de la reine Marie-Antoinette.

[4MAUPIN. Méthode de Maupin .sur la manière de cultiver la vigne et l’art de faire le vin. Paris, 1799.

[5CHAPTAL (Jean-Antoine, comte). L’Art de faire le vin par M. le Comte Chaptal. Paris, 1819. CHASTELAIN (Dam Pierre). Voir JADART