UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

La multiplication de la vigne

1. LES PORTE-GREFFES

On sait que l’invasion phylloxérique avait obligé les Champenois, comme d’ailleurs les viticulteurs du monde entier, à greffer leurs vignes françaises, vitis vinifera, sur des porte-greffe américains susceptibles de résister au redoutable puceron. De nombreux croisements ont été et sont encore opérés, les porte-greffe qui en résultent étant désignés par un groupe de chiffres et lettres rappelant leur origine. Dès la reconstitution du vignoble, au début du XXe siècle, on a choisi en Champagne celui qui correspond le mieux aux conditions locales, le 41B, utilisé aujourd’hui encore pour 80% des bois à greffer. Ce porte-greffe, hybride franco-américain de Chasselas et de Berlandieri, créé en 1882, convient particulièrement aux terrains calcaires par sa grande résistance à la chlorose. Il est un peu tardif, ce qui est sans gravité dans ces terrains, car ils se réchauffent bien, mais pour cette raison on lui préfère parfois dans certains terroirs des porte-greffe plus précoces, le SO4 et le 3 309, ce dernier en régression.

2. LE GREFFAGE

Le but du greffage est de réaliser l’union intime du porte-greffe américain et d’un greffon prélevé sur la vigne champenoise, l’ensemble devant produire des raisins d’une qualité rigoureusement identique à celle de cette dernière. Le porte-greffe assure par ses racines la nutrition minérale. Le greffon fournit les rameaux, les feuilles et les fruits, sans que leur caractère spécifique soit influencé par le porte-greffe.

À la latitude septentrionale de la Champagne il ne peut être question de greffer sur place. On opère le greffage sur table des greffons sur des boutures2 de porte-greffe, dans un local abrité. Ces boutures greffables sont élevées dans des vignes mères de porte-greffe, situées en général dans des régions du Midi de la France dont le climat leur est propice, le Vaucluse et le Gard en particulier. L’Association viticole champenoise, comme elle l’a toujours fait, organise une partie de l’approvisionnement du vignoble, principalement en matériel sélectionné, dit certifié. En attendant d’être utilisées, les boutures greffables sont conservées dans les caves champenoises ou en silo de pleine terre.
Les greffons sont prélevés dans les vignes, le plus souvent en février avant la montée de la sève, sur des sarments choisis et marqués à la vendange parmi les plus fructifères, avec un bon aoûtement garantissant l’importance des réserves nutritives. Ils peuvent aussi être des greffons certifiés fournis par les vignes mères de sélection clonale du C.I.V.C. Dans ce cas, pour obtenir des plants certifiés l’emploi de porte-greffe certifiés est obligatoire. Les greffons, bottelés, passent l’hiver le pied dans du sable, dans un local sain où on les garde à l’abri des courants d’air qui les dessécheraient et des réchauffements trop accentués qui occasionneraient des mouvements de sève prématurés.
Au printemps a lieu le greffage, c’est-à-dire l’assemblage du porte-greffe et du greffon, l’un et l’autre ayant préalablement été taillés en biseau à fentes susceptibles de s’emboîter (technique de la greffe anglaise habituellement utilisée en Champagne) et formant, une fois réunis, un ensemble d’une vingtaine de centimètres, longueur adaptée à des sols souvent peu profonds. Le greffeur utilise pour ce faire un greffoir, sorte de couteau à lame courbe, et c’est merveille de voir la rapidité avec laquelle se font entailles et assemblages. De plus en plus le greffage à la main est cependant concurrencé par le greffage à la machine, permettant de faire 3 à 4000 greffes par jour. La Champagne compte d’excellents greffeurs, bénéficiant d’une formation familiale et des cours professionnels de la Corporation des vignerons. Mais elle emploie aussi des Nord-Africains qui traditionnellement passent un mois ou davantage en Champagne pour l’exercice de ce métier saisonnier. Cependant, la production des plants a tendance à devenir l’apanage des pépiniéristes, qui utilisent surtout des machines à greffer automatiques.
Lorsqu’elles ont été exécutées, les boutures-greffées, éventuellement paraffinées, sont soumises à la stratification, opération qui a pour but d’activer la formation du tissu de soudure de la greffe en les soumettant à une atmosphère humide et à une température élevée. À cet effet, elles sont rassemblées verticalement3 dans de petites caisses garnies de sciure humide de bois blanc ou autre matériau spongieux. Les caisses sont mises pendant 15 à 20 jours dans une chambre chaude où la température est au début de 30 à 35° puis diminue après huit à dix jours, l’humidité étant maintenue par des arrosages. Il faut qu’avant d’être enlevées des caisses les greffes soient bien soudées. Toute l’habileté des praticiens consiste à obtenir ce résultat avec le moins de développement possible des bourgeons de façon à conserver dans la petite bouture toutes les réserves nécessaires au développement des racines [1]. Le succès de la greffe est consacré par sa vigueur ; ne dit-on pas en Champagne d’un homme bien rétabli d’une sérieuse maladie : « Le voilà regreffé ! »

3. LA PRÉPARATION DES PLANTS

Quand la greffe a été menée à bien, les boutures-greffées, devenues ce que l’on appelle les greffés-soudés, sont mises en pépinière, en général en mai, pour que soit consolidée la soudure de la greffe et favorisée la sortie des racines, l’enracinement.
Les pépinières sont créées par certains exploitants, et par les pépiniéristes de profession qui multiplient la vigne à tous les stades au profit des vignerons qui ne souhaitent pas s’en charger, préparant en particulier plus de la moitié des greffés-soudés. Elles sont dans la mesure du possible établies dans un terrain riche en humus, peu calcaire, situé près d’un cours d’eau et bien exposé. Elles peuvent l’être en dehors de l’aire délimitée et il en existe même en Bourgogne, en Savoie, dans le Midi. En Champagne, elles ne peuvent produire dans de bonnes conditions plus de trois années de suite, si bien qu’il faut les changer de place assez fréquemment.
On donne aux boutures des soins assidus, binages, arrosages, fumures, etc. On effectue le sevrage qui consiste à supprimer les radicelles qui se développent sur le greffon ; celles-ci feraient concurrence aux racines du porte-greffe et, en outre, seraient susceptibles d’attirer le phylloxera puisqu’elles proviennent de la partie vigne française des greffés-soudés. Au cours de leur séjour en pépinière, ceux-ci deviennent des greffés-soudés-racinés, ou plants. On les arrache en novembre, on les trie en ne retenant que les plants de premier choix présentant belle pousse et belles racines, on les lie en bottes, généralement de 25, et jusqu’à l’emploi on les place en jauge en pleine terre ou dans du sable en cellier.
L’enracinement des greffés-soudés peut aussi se faire par forcement en serre, pour fournir des plants en pots. À la sortie de la chambre chaude, ils sont placés dans des pots en matière biodégradable, remplis d’un milieu de culture approprié. La serre est chauffée entre 23 et 26° et le degré hygrométrique est entretenu entre 70 et 80 %. Au bout de 6 à 7 semaines, les plants sont progressivement acclimatés à la température extérieure. Ayant gagné une année, ils peuvent être employés pour des plantations tardives de printemps ou d’automne ou pour remplacer, peu après la plantation, les plants qui n’ont pas repris, ce qui peut aussi être fait avec des plants gardés en chambre froide (1 à 3°) par les pépiniéristes.

Notes

[1CHAPPAZ (Georges). Le Vignoble et le vin de Champagne. Paris, 1951.