UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Les dangers auxquels la vigne est exposée

La vigne est exposée à de nombreux accidents dus aux intempéries, aux animaux, aux maladies de diverses origines, physiologiques, cryptogamiques, virales, microbiennes. Y faire face est pour le vigneron un souci permanent. L’épouse de l’un d’eux l’exprimait ainsi : « Les vignes exigent autant de soins, sinon plus, que mes enfants. Il faut les protéger du froid, de la chaleur excessive, de l’eau trop abondante, de la sécheresse, des parasites ; bref, la surveillance qu’elles réclament est constante. » Et tout cela au prix d’une lutte âpre et fatigante, coûteuse en temps et en argent.

1. LES ACCIDENTS CLIMATIQUES 4

C’est contre les intempéries que le vigneron est le plus désarmé. Outre l’influence qu’elles peuvent avoir sur le développement des maladies et le comportement des parasites, leurs effets directs, le plus souvent imprévisibles, sont parfois d’une extrême gravité.

A. LES GELÉES

Les gelées constituent pour le vignoble champenois des accidents très dommageables par leur fréquence et les pertes de récolte qu’elles occasionnent. Leur nature et leurs conséquences pour la vigne sont différentes, selon qu’il s’agit de gelées d’hiver, de gelées de printemps ou de gelées d’automne.

a. Les gelées d’hiver

Il arrive que des froids sévères détruisent des bourgeons pendant leur état de dormance, mais les dégâts sont généralement localisés et de faible amplitude. Lorsque le thermomètre descend au-dessous de -15°, le gel peut occasionner des éclatements de charpentes avec formation de tumeurs appelées broussins. La production du cep peut s’en trouver affectée pour une ou plusieurs années, et dans les cas limites, très exceptionnels heureusement, le froid peut entraîner la mort de la souche.

b. Les gelées de printemps

Ce sont les plus redoutées car elles surviennent lorsque la montée de la sève rend la vigne très sensible aux dégâts du gel, qu’il s’agisse de la gelée noire, due à un retour du froid hivernal, ou de la gelée blanche qui, par un effet de rayonnement du sol, amène progressivement un abaissement de la température à sa surface, avec un minimum atteint un peu avant le lever du soleil. Au printemps, les bourgeons gèlent à -2 ou -3°, exceptionnellement, pour une végétation sèche sur un sol sec, à -5° seulement ; les contre-bourgeons résistent normalement jusqu’à -3,5°. Que le thermomètre descende à 4 heures du matin d’un degré au-delà du seuil critique, cela suffit pour que soient anéantis en un rien de temps, totalement ou partiellement, les espoirs de récolte du vigneron. En quelques jours on verra noircir et se flétrir les organes gelés, bourgeons, pousses, premières feuilles, grappes embryonnaires, selon l’avancement de la végétation qui finalement s’arrêtera.
Les gelées de printemps peuvent s’étendre à tout le vignoble comme ce fut le cas en 1946, 1951, 1957, et, à un moindre degré, en 1968, années noires qui restent dans la mémoire des vignerons car, écrivait J.C. Leroy dans l’Union du 12 mai 1981, les nuits passées dans le froid, à tenter de protéger la vigne, sont de celles qu’on n’oublie pas. Le plus souvent, néanmoins, elles frappent irrégulièrement. Des régions sont plus sensibles que d’autres ; c’est le cas des vallées de la Marne et de l’Ardre, du vignoble de l’Aube. Les cépages réagissent différemment ; le Chardonnay est généralement plus atteint. Certaines situations sont plus exposées que d’autres ; ainsi en est-il des bas-fonds ou des emplacements où des écrans naturels retiennent l’air froid, lieux qu’en Champagne on qualifie de gélifs. Les parcelles se comportent différemment selon le mode de culture ; la non-culture diminue le risque de gel, sauf lorsque l’on a épandu récemment des composts. Le temps influe sur les circonstances de la gelée ; s’il est sec, si les vents sont actifs, la vigne est moins exposée. Quoiqu’il en soit, même limités dans l’espace, les dégâts sont catastrophiques pour ceux qui en sont les victimes. Grâce à Dieu on n’en déplore pas chaque année, mais on les constate tout de même plusieurs fois par décennie et il peut s’en produire deux ou trois années de suite. Comment ne pas s’associer alors aux lamentations que Maucroix a recueillies au XVIIe siècle de M. de Lahaye, prévost de Château-Thierry : Adieu panniers, vendanges sont faites, toutes les vignes sont, pardieu, gelées de la nuit dernière. Encore si le mal fut tombé sur quelques treilles malautrües ! sur quelque terroir de nulle valeur ! mais les divines côtes d’Avenay ! de Mareuil ! d’Ay ! que les colibeteurs du pays nomment par excellence « vinum dei », de Cumières ! d’Arty ! ah ! savoureux vin blanc, dont la moindre goutte est digne de la bouche de quatre Roys  [1] !
Les gelées de printemps ont lieu plus ou moins tôt dans la saison, selon l’avancement de la végétation et l’époque de l’offensive du froid. Elles peuvent se produire au début d’avril si la vigne est en avance et c’est ce qui explique la méfiance habituelle du vigneron pour le beau temps précoce qui fait monter rapidement la sève au sarment. Elles peuvent aussi être tardives à un point tel que se trouve souligné le caractère septentrional du vignoble champenois. On y a en effet plusieurs fois déploré des gelées survenues le 23 mai, alors que l’on récolte déjà les fraises en Roussillon, et en 1793 la végétation a même été entièrement détruite le 30 mai [2] .
Le vigneron attribue souvent les froids de la première quinzaine de mai à l’influence de la lune rousse, lunaison qui débute entre le 5 avril et le 6 mai et qui est supposée roussir les bourgeons. L’explication de ces chutes de température réside dans le fait que par nuit claire le rayonnement du sol et des plantes est plus intense, ce qui entraîne un refroidissement plus accentué. Cette période est aussi celle des saints de glace, Mamert, Pancrace et Servais, dont les fêtes tombent respectivement les 11, 12 et 13 mai, et qui ont toujours été associés à la période des gelées, le vigneron commençant à respirer, souvent trop tôt, hélas ! une fois leurs noms barrés sur le calendrier familial. Il serait peu chrétien de les rendre responsables des gelées, mais on peut au moins les prier, lorsque les dégâts ont eu lieu, pour que la vigne donne une seconde génération de feuilles et de fruits. C’est assez souvent le cas, surtout lorsque les gelées surviennent de bonne heure dans la saison. Les raisins sont en général moins nombreux que ceux que l’on aurait pu espérer, mais la vigne, moins chargée, emmagasine de bonnes réserves et donne l’année suivante une forte récolte. II y a même des années exceptionnelles où la seconde génération donne presque autant que ce qu’aurait donné la première. Ce fut le cas en 1811, la célèbre Année de la Comète.

c. Les gelées d’automne

Il peut arriver, mais c’est heureusement assez rare, que des froids précoces associés à une cueillette tardive occasionnent des gelées dans la période de prévendanges ou de vendanges. Dès que la température descend au dessous de 0°, les feuilles gèlent. Même si elles ne tombent pas immédiatement, leur action au profit de la plante cesse totalement, comme en témoignent leur dessèchement et leur couleur plus foncée. Il s’ensuit que le raisin ne peut plus continuer à mûrir et l’aoûtement des bois à se faire. Au-dessous de -2°, et jusqu’à -7°, on assiste à la concentration en sucre du raisin. Celui qui est déjà mûr ne gèle pas mais celui qui ne l’est pas encore prend une teinte rougeâtre et acquiert un goût désagréable de bouilli qui ôte tout espoir d’en tirer parti car il est susceptible de se communiquer au vin.

d. La protection contre le gel

C’est depuis le XIXe siècle que le vigneron a entrepris de lutter contre le gel avec des moyens spécifiques. On se rappelle qu’à l’époque ils étaient rudimentaires, nuages de fumée, abris en toile, paillassons, joncs. Les techniques ont depuis considérablement progressé, mais les moyens de protection sont loin de couvrir tout le vignoble. La lutte antigel était même en régression dans les années 1970, en raison des augmentations répétées du prix de l’énergie dont elle est grosse consommatrice (équivalent moyen de 400 litres de fuel-oil par heure à l’hectare) et parfois aussi de la limitation apportée aux rendements par la réglementation. C’est ainsi que l’on pouvait lire dans le Vigneron champenois de janvier 1979 que la lutte contre les gelées printanières a été partiellement abandonnée dans beaucoup de secteurs, surtout avec les chaufferettes à fuel-oil étant donné le prix du carburant, les frais entraînés et surtout parce que les rendements dépassaient souvent les quantités en appellation, ce qui rendait la lutte non rentable. On constate cependant une certaine fluctuation due aux variations de la conjoncture économique champenoise. Lorsque les besoins en raisins sont importants, la protection s’accroît, lorsqu’ils diminuent, elle tend à se relâcher. Il faut reconnaître que c’est un combat souvent décevant que doit mener l’exploitant, car il lui faut mettre en route dans des conditions pénibles, à la pointe du jour et dans le froid, des systèmes délicats et onéreux, alors que le gel est par nature aléatoire. Il risque de les mettre en œuvre trop tôt ou pour rien, ou au contraire trop tard, parfois aussi de combattre à grands efforts et à gros frais une forte gelée qui aura le dernier mot. Même convenablement utilisé, et à bon escient, aucun système n’est efficace à cent pour cent.
Il y a une forme préventive de la protection contre le gel. Comme le conseillerait Monsieur de La Palice, il faut éviter de planter en terrain gélif. Si cela n’est pas possible, on doit y mettre du Meunier, qui débourre tardivement, et supprimer les haies d’arbres et autres obstacles au drainage de l’air froid, butter et s’abstenir de labourer pendant la période des gelées de printemps, ou pratiquer la non-culture, de toute façon avoir un sol net. On peut aussi monter les charpentes, tailler tardivement et... prier le Bon Dieu. Les moyens de lutte active n’ont de résultat que contre les gelées de printemps. Ils se répartissent en trois catégories qui se différencient en fonction de l’objectif qui leur est assigné.

a. Les moyens de la première catégorie ont pour but de réchauffer l’atmosphère. Ce sont essentiellement les chaufferettes, fonctionnant au fuel-oil. Elles sont des types les plus divers, depuis le simple pot rempli de mazout jusqu’aux ensembles d’appareils à cheminée, avec systèmes centralisés d’alimentation sous pression, à niveau constant, avec consommation automatisée en fonction des variations du froid et allumage électrique simultané et automatique par indicateur de gelée. Les chaufferettes sont assez efficaces, à raison de 100 à 250 à l’hectare, mais elles présentent pas mal d’inconvénients. Les frais de combustible sont lourds, ainsi que ceux de main-d’œuvre, car elles sont encombrantes et, sauf parfois en non-culture, doivent être mises en place et rangées chaque année. Des problèmes de réapprovisionnement peuvent se poser si les gelées durent plusieurs jours. En cas d’emploi massif par temps brumeux, elles forment un nuage noirâtre qui met longtemps à se dissiper ; en 1968, la fumée des chaufferettes a été si dense qu’elle a perturbé la circulation ferroviaire sur la ligne Paris-Strasbourg.
Dans la même catégorie, on trouve les bougies de paraffine, qui jouent un rôle analogue ; elles sont simples et ne nécessitent pas d’investissements en matériel, mais elles risquent d’être plus onéreuses que la combustion du fuel-oil en chaufferette si la durée de fonctionnement doit être prolongée. Elles ont en outre l’inconvénient de beaucoup fumer et d’émettre des flammes assez longues qui peuvent brûler les jeunes pousses. On y trouve aussi le système antigel à propane, qui utilise le gaz sous forme gazeuse, ou de préférence liquide, pour alimenter à partir de citernes des brûleurs disposés dans les interlignes. Ce procédé est d’une grande facilité d’emploi, mais il est peu usité car l’installation est coûteuse pour une protection très limitée. En outre, le prix croissant du gaz exerce un effet certain de dissuasion.

b. La deuxième catégorie est celle qui a pour objet le réchauffement direct de la végétation par divers procédés dont le seul employé sur une large échelle en Champagne est l’aspersion d’eau. Cette méthode est basée sur le principe de l’apport de chaleur provoqué par la transformation de l’eau en glace, libérant 80 calories par gramme d’eau congelée. La vigne enrobée de glace se maintient, tant qu’elle reste humide, à une température voisine de 0°, donc encore à l’abri des gelées. L’installation comporte un groupe motopompe et des tuyauteries d’amenée d’eau, aériennes ou enterrées, d’un débit suffisant pour permettre un arrosage d’une dizaine d’heures, assuré par des appareils rotatifs qui doivent tourner suffisamment vite pour que la glace n’ait pas le temps de sécher entre deux passages. Le procédé nécessite très peu de main-d’œuvre, il est propre, il est économique à l’emploi, mais l’installation est onéreuse. Généralement très efficace, il peut cependant donner lieu à des pannes provenant du moteur, du bouchage des jets ou d’une pénurie d’eau. Il requiert pour son alimentation la présence d’une rivière ou d’un important réservoir d’eau, car il nécessite 50 m3 d’eau par hectare et par heure de protection. En 1981, 400 hectares étaient équipés en Champagne d’une installation de lutte contre le gel par aspersion.

c. La troisième catégorie est celle qui est constituée par le réchauffeur-brasseur qui réchauffe l’air, puis le dirige vers la vigne à protéger. L’appareil se présente comme un gros brûleur à mazout qui, placé à trois mètres de hauteur, chauffe l’air aspiré par une grande hélice verticale mue par un moteur auxiliaire. Cet air est ensuite pulsé en direction des ceps, jusqu’à plusieurs dizaines de mètres, par une grosse buse qui, avec l’ensemble de l’engin, effectue autour de son axe une rotation d’une durée de quatre minutes. D’un emploi relativement aisé, consommant assez peu pour la surface couverte, cet appareil représente un gros investissement pour une protection dont l’efficacité est controversée.

B. LA GRÊLE

Même si elle est peu fréquente, la grêle est un fléau atmosphérique redouté du vigneron. Cette grêle tranchante, effroi de nos vendanges [3], peut en effet ravager une vigne en quelques instants. Certes, elle est habituellement ponctuelle, mais il y a, hélas, des exceptions. En 1956, et très tardivement puisque c’était le 10 août, elle s’est étendue sur 2 000 hectares. Elle peut anéantir à 100% la future récolte, comme ce fut le cas le 8 juillet 1975 sur 160 hectares de trois communes de la région de Sézanne. Les grêlons détruisent les inflorescences et celles qui y échappent évolueront mal, car elles seront insuffisamment nourries par les feuilles déchiquetées. Si les raisins sont déjà bien formés, les meurtrissures peuvent entraîner leur flétrissement général, suivi de dessiccation. La grêle a en outre des effets à rémanence lointaine. Elle blesse les charpentes et les sarments, et il en résulte généralement un grave handicap pour la végétation de l’année suivante, pouvant conduire à une montre inexistante.
Depuis le XVIIIe siècle, bombes, canons et fusées paragrêles, et depuis les années 1960, générateurs de cristaux d’iodure d’argent sont employés avec une constance qui n’a d’égal que le peu de confiance que l’on a dans leur efficacité. On pouvait lire dans le Vigneron champenois de juillet 1979 : Pour l’instant, tout système de lutte contre la grêle demeure aléatoire. La protection la plus sûre réside dans l’assurance contre la grêle qui en atténue les néfastes conséquences économiques. Les atteintes de la grêle contre les ceps et la végétation font toujours craindre l’apparition du mildiou et il est de règle de sulfater aussitôt, l’emploi de l’hélicoptère étant nécessaire si les terrains sont trop détrempés pour permettre au matériel terrestre de pénétrer dans les vignes.

C. L’ÉCHAUDAGE

Le soleil peut provoquer un accident appelé échaudage, ou grillage. Il se produit sur les raisins avant la véraison, lorsque ceux-ci, après avoir été protégés de la grande lumière par un ciel plus ou moins nuageux, sont exposés brusquement à un soleil ardent, par temps calme. La partie exposée au soleil est grillée ; il se forme à l’emplacement atteint une dépression, le coup de pouce. Les grains semblent avoir été frappés par des grêlons, ils dessèchent et tombent. Cet accident est très rare en champagne, mais il peut avoir des conséquences importantes. En 1919, l’échaudage a diminué la récolte de 10 à 15 %.

D. LES VENTS ET LA FOUDRE

Les vents de tempête cisaillent l’extrémité des pousses ou les font butter contre les fils du palissage lorsque celui-ci n’est pas encore effectué. Le Chardonnay y est particulièrement sensible. La récolte peut s’en trouver diminuée. Lorsque les vents forts succèdent à une période humide, ils peuvent entraîner une dessiccation partielle ou presque totale de certaines souches, c’est le folletage. Les feuilles et les rameaux ne sont plus alimentés et se flétrissent, parfois provisoirement. La foudre cause sur tout le rang de vigne atteint des altérations sur les feuilles ; les ceps touchés sont affaiblis.

E. L’ÈXCES D’EAU

À la suite de fortes pluies, en juillet et en août, les raisins peuvent absorber rapidement de grosses quantités d’eau. Certaines baies, trop serrées, se trouvent arrachées de leur pédoncule ; d’autres éclatent. C’est une forme de cochonnage auquel le Meunier, aux grappes serrées, est particulièrement sensible.

2. LES MALADIES CRYPTOGAMIQUES

A. LE MILDIOU

On sait que le mildiou, venu d’Amérique, a fait son apparition en Champagne en 1882. Son champignon attaque les feuilles de la vigne, les grappes, les fleurs et les fruits ; de plus, il empêche l’aoûtement de se développer dans de bonnes conditions. À la floraison, lorsque la grappe est atteinte, les grains formés deviennent gris, c’est le rot gris ; à la véraison ils sont maculés de taches brunes, c’est le rot brun. L’humidité et la chaleur favorisent le développement de la maladie. Le vin provenant de raisins atteints de mildiou est de mauvaise qualité ; si les attaques sont répétées dans la saison, la récolte peut être partiellement détruite, comme en 1958, ou presque totalement, comme en 1910.

B. L’OÏDIUM

Le champignon de l’oïdium a été découvert sur des raisins de serre à Margate, en Angleterre, en 1845, à l’époque de son attaque généralisée contre la pomme de terre. Il a atteint la même année les vignobles français et la maladie des raisins a fait tomber en 5 ans la production vinicole nationale de 45 à 11 millions d’hectolitres. Il est arrivé vers 1850 en Champagne où, selon Plonquet, la partie peu éclairée de la population attribuait la maladie de la vigne à la vapeur des locomotives [4] ; ses attaques y ont été limitées longtemps au Chardonnay. Le champignon se répand à la surface de toutes les parties vertes de la vigne, contrairement à celui du mildiou qui se développe à l’intérieur des organes. La fleur tombe ; si la maladie survient après la nouaison, le grain grossit mais il se fend, ne mûrit pas et prend une odeur de moisi. Si la véraison est déjà passée, l’évolution s’arrête. Le temps chaud et l’atmosphère humide par ciel couvert sont les conditions les plus favorables au développement de l’oïdium qui, malgré les moyens modernes de protection, a encore causé de graves dommages aux vignes en 1981.

C. LA POURRITURE GRISE

La pourriture grise, ou maladie du bleu (en anglais grey-rot, à ne pas confondre avec le rot gris du mildiou), est due à un champignon, le botrytis cinerea, tristement célèbre en Champagne où il a dû commencer à exercer ses méfaits à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe. Plonquet n’en parle pas mais Moreau-Bérillon le cite et le vigneron Ciret, on l’a vu, se plaignait de la pourriture en 1901. Dans de meilleures conditions climatiques, et pour certains cépages, le botrytis donne la pourriture noble qui se manifeste en période de surmaturation, propriété utilisée en particulier pour les vins de Sauternes, Barsac, Sainte-Croix-du-Mont, Loupiac. Mais en Champagne c’est un fléau redouté. Le champignon pénètre dans tous les organes de la vigne en profitant des altérations qui ont pu se produire, blessures, dégâts du gel et de la grêle, piqûres d’insectes. Lorsque les conditions lui sont favorables, température suffisamment élevée et humidité, il se propage en desséchant les raisins dans la grappe qui devient grisâtre et forme ce que dans le langage champenois on appelle une souris. Outre qu’elle peut anéantir une grande partie des espoirs de la récolte, la pourriture grise risque de donner de mauvais goûts aux vins et d’en rendre difficile la fermentation et la conservation. Après avoir été jusqu’à la fin des années 1960 un fléau redouté, on avait pu ensuite espérer que le vignoble champenois en serait bien protégé par des traitements particuliers très actifs, à base d’imides cycliques. Mais, au début des années 1980, l’apparition de souches de botrytis résistantes à ce groupe de produits a redonné vigueur au mal et posé le problème de la lutte en des termes nouveaux.

D. LE BRENNER

Le brenner, ou rougeot parasitaire, est une des plus anciennes maladies des vignobles septentrionaux. Ce n’est qu’en 1903 que Muller-Thurgau l’a identifié comme un champignon. Il a été particulièrement actif au lendemain de la dernière guerre en raison du manque de produits de traitement. Présent depuis toujours en Champagne, où il était autrefois appelé la maladie pectique, le brenner, après une période d’accalmie, y est réapparu vers 1970. Il y était toujours virulent au début des années 1980, davantage que dans les autres vignobles de France. À la faveur de l’humidité, les feuilles des vignes sont atteintes, rougissent (Pinot et Meunier) ou jaunissent (Chardonnay), puis se dessèchent, ce qui entraîne l’affaiblissement des souches et la coulure.

E. LE POURRIDIÉ

Le pourridié, ou morille, d’origine très ancienne, était dans la seconde partie du XIXe siècle, avec l’oïdium, la maladie la plus répandue en Champagne. Des champignons de plusieurs espèces, vivant sur des débris de végétaux enfouis en sol humide, en sont responsables et causent le dépérissement et parfois la mort des ceps. Au début des années 1980 le pourridié était peu fréquent et sans réelle gravité à l’échelle de la Champagne.

F. L’EXCORIOSE

L’excoriose, signalée en France à la fin des années 1880, a pour effet de gonfler et crevasser les sarments, ce qui entraîne l’éclatement des bois de taille qui se détachent de la souche. Elle peut aussi s’attaquer aux grappes et provoquer leur dessèchement. Peu répandue en Champagne, où elle n’a jamais occasionné de gros dégâts, l’excoriose semble cependant depuis 1979 en légère recrudescence.

G. L’ESCA

L’esca est une maladie parasitaire due à des champignons qui se développent dans le bois, ce qui a comme conséquence pour le cep atteint soit un affaiblissement, soit une apoplexie soudaine. L’esca avait surtout manifesté sa présence en Champagne lors de la reconstitution des vignobles phylloxérés. Il avait disparu en 1950 et il est réapparu en 1976, mais en restant très rare.

H. LA TOURNE DU CHARDONNAY

La tourne du Chardonnay est une maladie cryptogamique peu répandue en Champagne mais elle est sans remède. Elle provoque une altération des raisins, qui se colorent en brun.

3. LES MALADIES À VIRUS

A. LA DÉGÉNÉRESCENCE INFECTIEUSE

La dégénérescence infectieuse, ou court-noué, a été connue en Champagne bien avant le phylloxera qui, cependant, a été soupçonné d’en être un des vecteurs. Pour Chappaz le court-noué serait le chabot, signalé en 1869, pour d’autres le chabot serait l’esca. La maladie a comme symptôme une déformation du feuillage, des pousses et des sarments, une tendance affirmée à la coulure et au millerandage. La production s’en trouve diminuée, en attendant la mort précoce du cep. Dans certains cas le feuillage devient jaune d’or en totalité ou en partie, c’est ce que l’on appelle la panachure. C’est donc une maladie très grave, contre laquelle il n’y a pas d’autre remède que l’arrachage de la vigne, la désinfection du sol et la plantation de plants de bonne sélection sanitaire.

B. L’ENROULEMENT

L’enroulement est une maladie récente. Elle se manifeste à l’automne par un enroulement des feuilles vers leur face inférieure et, dans les cépages noirs, par une coloration rouge très accusée. Les raisins mûrissent mal et la récolte en souffre en qualité. La maladie se transmet par greffage, lorsque les greffons sont prélevés sur un cep atteint, ce qui permet aux descendants des clones agréés d’en être préservés.

* C. AUTRES MALADIES À VIRUS

La marbrure de la vigne est largement répandue en Champagne, mais sans présenter de manifestations externes ni causer de dégâts. Quant au corky-bark, ou maladie de l’écorce liégeuse, il y est très rare.

4. LES MALADIES À BACTÉRIES

On ne trouve en Champagne dans cette catégorie que le broussin, ou crown-gall, ou cancer bactérien de la vigne. Il est produit par une bactérie présente dans tout le vignoble et y restant à l’état latent jusqu’à ce qu’elle trouve des conditions favorables de développement, notamment les suites de fortes gelées d’hiver ou de grêle provoquant lésions ou éclatements. Il se forme des tumeurs qui détruisent le système vasculaire et, sur les jeunes vignes, entraînent la mort de la souche. Cette maladie, heureusement assez rare, est apparue brusquement en Champagne à la suite des gelées de l’hiver 1978. Le remède consiste essentiellement à éliminer et brûler les organes malades.

5. LES MALADIES PHYSIOLOGIQUES

* A. LA CHLOROSE CALCAIRE

La chlorose, ou carence ferrique, est apparue dans les régions calcaires, en Champagne notamment, lorsque les plants greffés ont remplacé les vignes françaises après l’invasion phylloxérique. Elle est la manifestation d’un manque d’alimentation en fer qui, lorsqu’il est bloqué au niveau des racines dans les sols calcaires, ne peut assurer la formation correcte de la chlorophylle, un excès de calcium dans le sol provoquant l’insolubilisation du fer naturel de la plante. La maladie se développe surtout dans les périodes froides et peu ensoleillées, ou aux premières chaleurs succédant à un printemps pluvieux, entraînant une croissance importante des pousses. La chlorose occasionne un affaiblissement du cep, suivi d’une baisse de production et parfois, après quelques années, de la mort de la plante. Elle se traduit par le jaunissement des feuilles, qui conservent longtemps un liseré vert bordant les nervures tandis que la panachure de la dégénérescence infectieuse donne à toute la feuille une couleur jaune d’or. On la combat principalement par l’emploi des chélates de fer. De toutes les maladies qui attaquent la vigne champenoise, c’est la plus onéreuse, tant par les pertes de récolte qu’elle peut entraîner que par le coût des traitements qu’elle occasionne.

B. LES AUTRES CARENCES

La brunissure, ou carence potassique, est due à une alimentation insuffisante, aggravée par une carence en potasse. À partir de juillet les feuilles deviennent par places jaune-brun ou brun foncé. La brunissure est une maladie qui se rencontre très peu dans le vignoble champenois. La carence magnésienne touche seulement certaines contrées du vignoble. Elle est due à l’absence de magnésie dans les sols ou au blocage de cet élément dans la plante par excès de potassium. Elle se manifeste par des colorations très particulières des feuilles, entre les nervures et sur le bord, rouges ou jaunes suivant les cépages. La carence manganique, due à une insuffisance de manganèse, est assez fréquente.
Ces carences ont pour effet d’affaiblir la souche et la végétation, de compromettre la récolte en quantité comme en qualité. On les combat par différents procédés visant à accroître la quantité de l’élément déficient.

* C. LE ROUGEOT PHYSIOLOGIQUE ET LA FLAVESCENCE

Avec le rougeot (ou rougeau) physiologique, pour les cépages noirs, et la flavescence, pour le Chardonnay, on a affaire à une maladie qui provoque l’arrêt de la migration des sucres élaborés dans les feuilles. Les causes en sont diverses et souvent accidentelles, avec pour effet initial une perturbation de la circulation de la sève. Les feuilles se dessèchent petit à petit en même temps qu’un rougissement (jaunissement pour le Chardonnay) les envahit en partant du pourtour et en progressant entre nervures. Les effets sont un aoûtement imparfait et une maturation incomplète.

D. LE DESSÈCHEMENT DE LA RAFLE

Le dessèchement de la rafle se manifeste en fin de véraison par l’apparition sur la rafle d’altérations du tissu, de couleur brune, puis par son dessèchement et par celui des grains. La cause en est indéterminée et pourrait provenir de carences en calcium et en magnésium. Cette maladie entraîne une perte de récolte et une diminution de la qualité des raisins encore en place, qui flétrissent plus ou moins sans parvenir à maturité.

E. LE PIED NOIR

Le pied noir est une maladie apparue en Champagne dans les années 1950 et encore mal connue. Très probablement d’ordre physiologique, elle pourrait être la conséquence de tassements de sol accompagnés d’une mauvaise alimentation hydrique des ceps qu’elle attaque et qu’elle fait dépérir. Assez fréquente dans les jeunes vignes, elle est sans remède.

6. LES ACARIENS

L’apparition des acariens dans le vignoble champenois ne date que des années 1950 ; Moreau-Bérillon n’en parle pas, non plus que Chappaz en 1951 et Hollande en 1952. Il semble que l’emploi des insecticides de synthèse, notamment du D.D.T., ait favorisé leur développement en détruisant leurs parasites naturels, amenant ainsi une rupture de l’équilibre biologique. Les acariens sont d’autant plus dangereux qu’ils ont un grand pouvoir de multiplication, favorisé par la chaleur et la sécheresse et pouvant donner jusqu’à 10 générations dans l’année.

A. LES ARAIGNÉES

L’araignée rouge et les araignées jaunes sont à peine visibles mais elles peuvent causer des dégâts considérables et l’apparition de nouvelles espèces est toujours à craindre. Les larves sucent la sève et les adultes piquent la feuille, détruisant ainsi les cellules. Au printemps, les jeunes feuilles tombent ; puis l’aoûtement est mauvais et les grappes mûrissent mal.

B. L’ ACARIOSE ET L’ÉRINOSE

L’acariose et l’érinose sont deux maladies provoquées par des acariens invisibles à l’œil nu, qui s’attaquent aux jeunes pousses et aux feuilles, parfois aux grappes. Les dégâts provoqués par l’érinose sont en général sans grande gravité, limités à des boursouflures brunes sur la face supérieure des feuilles. L’acariose, par contre, est très dangereuse. Elle retarde la végétation, provoque la coulure, compromet l’aoûtement, et la Champagne a connu dans les années 1960 des attaques aux résultats catastrophiques, des vignes ayant perdu en quelques jours toutes leurs promesses de récolte.

7. LES CHENILLES ET AUTRES LARVES

A. LA PYRALE

La pyrale, ou ver de la vigne, était aussi appelée ver de l’été et ver de la feuille en Champagne où elle est à l’état endémique depuis le XVIIIe siècle. C’est une chenille de papillon qui dévore les jeunes feuilles et les jeunes grappes. Elle n’a qu’une génération par an mais elle est très prolifique et il arrive que l’on trouve plusieurs centaines de chenilles sur une seule souche, ce qui arrête totalement sa croissance. Elle cause parfois de très graves dégâts et la mémoire du vigneron garde le souvenir de ravages qui, comme en 1875 et 1937, ont laissé des traces pendant plusieurs années. Il existait alors, il est vrai, peu de moyens pour la combattre, mais elle demeure une menace réelle ; son évolution est cyclique.

B. LES VERS GRIS

On groupe sous le nom de vers gris les chenilles de différents papillons de la famille des noctuelles. Très voraces, elles s’attaquent chaque année aux bourgeons, lors de leur débourrement. Elles peuvent en détruire plusieurs dans la nuit et causer des dégâts importants, généralement locaux mais parfois étendus, comme en 1911 dans la vallée de l’Ardre. Parfois, les larves de noctuelles s’attaquent plus tardivement aux feuilles, dont elles peuvent dévorer entièrement le limbe. C’est le cas pour la noctuelle du chou, souvent improprement appelée pyrale noire, dont les ravages débutent à la fin du mois d’août.

* C. LES VERS DE LA GRAPPE

Les vers de la grappe, appelés aussi les tordeuses de la grappe, sont les larves de deux papillons qui ont des modes de vie analogues, la cochylis 5 et l’eudémis. La cochylis est très anciennement connue en Champagne, où sa chenille porte ou a porté les noms de ver coquin, ver rouge, ver de vendange, ver de l’automne. Des invasions sérieuses y ont eu lieu de 1779 à 1784 et on a vu le souci qu’elle donnait aux vignerons du XIXe siècle. On parle de l’eudémis en France depuis 1891 et en Champagne depuis 1914. Les vers de la grappe s’attaquent au printemps aux inflorescences puis en été, par leur deuxième génération, aux grains qu’ils détruisent les uns après les autres, exposant notamment la grappe à la pourriture grise. L’eudémis a même une troisième génération qui attaque les fruits en fin de maturation mais, néanmoins, ses dégâts sont dans l’ensemble moins graves que ceux causés par la cochylis qui, écrivait le docteur Jolicœur avant l’apparition du phylloxera et des acariens, est assurément le parasite dont le vigneron a le plus généralement à redouter les atteintes [5]. En outre, au début des années 1980 l’eudémis se rencontrait presque exclusivement dans quelques vignes des environs d’Épernay, alors que partout ailleurs les tordeuses de la grappe étaient représentées par la cochylis.

D. LES COCHENILLES DE LA VIGNE

Les cochenilles de la vigne sont, comme le phylloxera, de l’espèce des rhynchotes. Présentes dans le vignoble champenois par intermittence depuis très longtemps, on a noté la fin des années 1970 une recrudescence inquiétante de leurs invasions, qu’il s’agisse de la cochenille du cornouiller, ou lécanium de la vigne, dont le corps est recouvert d’une coque cireuse brune, ou de la cochenille floconneuse de la vigne, dont la coque laisse échapper une sorte de coton blanc. Les pullulations sont redoutables car chaque femelle, fixée dès la sortie de l’hiver sur les sarments, peut pondre annuellement 1 500 à 2 000 neufs. Les larves des cochenilles de la vigne écloses en été se nichent sur les feuilles, dont elles sucent la sève. Il peut s’ensuivre une baisse de maturité et surtout un manque d’accumulation des réserves avec des répercussions néfastes sur la végétation du printemps suivant. En outre, ces insectes sécrètent un liquide sucré, le miellat, sur lequel se développent divers champignons de couleur noirâtre constituant la fumagine, qui souille les feuilles et les raisins.

E. LA BOARMIE

La boarmie n’a été identifiée en Champagne qu’en 1978. Elle est difficile à repérer car son immobilité sur la vigne et sa couleur la font ressembler à une vrille, ou à un sarment d’entre-cœur de l’année passée oublié lors de la taille. Elle mange les bourgeons au débourrement et elle peut, comme les vers gris, provoquer des dommages importants.

F. LES AUTRES LARVES

D’autres larves peuvent causer occasionnellement des dégâts à la vigne, comme l’écaille martre, qui a été observée en grand nombre sur les rives de la Marne vers 1880, la cécidomyie, diptère très rare mais toujours présent dans le vignoble champenois, la chenille à sac, la larve du bombyx livrée, l’eulia, ou petite tordeuse de la grappe, tristement célèbre en 1958, l’hibernie, ou phalène effeuillante, rencontrée à Mailly-Champagne entre les deux guerres. On a toujours craint le ver blanc du hanneton, trisannuel, qui attaque les racines de la vigne mais à qui tant d’écoliers doivent le plaisir d’avoir hannetonné pendant les belles journées du début de l’été, l’Association viticole champenoise ayant même organisé en 1928 et en 1931 des concours de hannetonage entre les instituteurs qui se proposent de faire participer les enfants de leur école au ramassage des hannetons (Le Vigneron champenois, février 1931).

8. LES COLÉOPTÈRES

A. LE CIGARIER

Le cigarier, ou rhynchite, est cet insecte vert métallique, d’environ 1 cm de long, qui sous le nom de bêche a tant fait rager le vigneron champenois des siècles passés, alors qu’il était connu également comme liset ou lisette, attelabe, cunche et urbec. C’est lui qui, dès le XVIe siècle, faisait noter par Jean Pussot sur son journal : affluence des besches aux vignes qui les molestèrent merveilleusement et firent grand dommage, et, au début du XVIIIe siècle, écrire au frère Pierre : Et s’il vient dans les vignes des Bêches, animaux pernicieux aux plantes, il faut les faire éplucher, mettre dans des sacs, brûler un peu loin de la Vigne, et enterrer les cendres [6]. Et à Verzy, on employait, concuremment probablement, un autre moyen : en 1753, pour venir à bout du redoutable fléau, on promenait sur tout le territoire de la commune... la châsse de saint Basle ! Le nom de cigarier a été donné vers 1880 à la bêche car en juin l’insecte pique les feuilles de la vigne, ce qui provoque leur enroulement à la façon d’un cigare. Il pond ensuite dans les plis de la feuille qui se dessèche, ce qui compromet la maturation et l’aoûtement. Le cigarier réapparaît épisodiquement en Champagne mais ses dégâts n’ont plus rien de comparable avec ceux d’autrefois.

B. L’EUMOLPE OU GRIBOURI

L’eumolpe, ou gribouri, est un petit coléoptère noir environ 5 mm de long, connu lui aussi depuis plusieurs siècles. L’abbé Pluche en faisait déjà mention. À certaines époques le vignoble en a durement pâti, et c’est lui qui est cité en premier comme ravageur dans les réponses au Questionnaire sur la Vigne de 1842. On le chassait parfois avec des poulets de race Leghorn que l’on promenait dans la vigne après un dressage spécial et facile [7]. On l’a appelé et on l’appelle encore, tête-cache, diablotin et surtout écrivain car il dévore les feuilles en les découpant en tous sens en petites lanières semblables à des caractères d’écriture. Il marque de même les grains de raisin de façon caractéristique. Les dégâts dont l’eumolpe est responsable sont analogues à ceux causés par le cigarier mais il est devenu plus rare que ce dernier.

C. L’OTIORRHYNQUE

Appelé aussi charançon, coupe-bourgeons, cul-crotté, l’otiorrhynque est un coléoptère d’environ 1 cm de long, noir et grisâtre ; il existe en plusieurs types. On en connaît deux en Champagne : l’otiorrhynque sillonné, ou grande bêche-culasse, et l’otiorrhynque de la Livèche, ou bêche-culasse. C’est ce dernier qui est plus précisément le cul-crotté. Comme le cigarier et le gribouri, c’est une vieille connaissance, mais il ne se contente pas comme eux d’attaquer les jeunes pousses et les feuilles, il ronge aussi les bourgeons qu’il détruit entièrement. Il est heureusement assez peu répandu, sauf près des friches.

9. L’ÉTOURNEAU

Déjà cité dans le Roman de la Rose pour son goût pour les raisins, l’étourneau sansonnet a toujours été un habitué des vignes de France et d’ailleurs, comme aussi des vergers et des champs de maïs. Parlant de l’honneur, Maurin Régnier écrivait [8] :
Encore qu’on voye apres courir certains cerveaux,
Comme après les raisins courent les estourneaux.

Les étourneaux sont des oiseaux de l’ordre des passereaux, au plumage noir aux reflets vert bronzé et poupres, d’une taille voisine de celle du merle. Ils sont sédentaires ou migrateurs, mais ce sont ces derniers qui, séjournant en France d’octobre à mars, forment d’énormes concentrations, passant la nuit dans des dortoirs qui peuvent en contenir plus d’un million ! et qui, du fait de leur arrivée en octobre, sont particulièrement dangereux lors des vendanges tardives. Les étourneaux se déplacent en bandes compactes, dont l’effectif varie d’une cinquantaine à plusieurs milliers et même dizaines de milliers. Leur vol est rapide et les évolutions groupées sont d’une précision et d’une soudaineté étonnantes. II est fascinant d’observer ces nuages noirs se déplaçant à grande vitesse à une trentaine de mètres au-dessus du sol, changeant brusquement de direction à plusieurs reprises avant de s’abattre sur les vignes.
Or, ce sont des nuages de malheur ! L’étourneau, qui pèse 70 à 80 grammes, consomme environ 30 grammes de nourriture par jour soit, pour une population d’un million, quotidiennement 30 tonnes. C’est dire le danger que représentent ces ravageurs pour les vignes. En France, leurs effectifs s’accroissent d’année en année par suite de changements de comportement des migrateurs, aggravés par une explosion démographique. L’importance des dégâts augmente en proportion et on a vu dans les années 1970 des étourneaux manger en totalité les 6 000 kilos de raisins laissés sur un hectare de vignes dans l’attente d’un second passage des vendangeurs. Certes, ils frappent d’une manière ponctuelle, un peu comme la grêle, et les quantités détruites ne représentent qu’une faible partie de la récolte champenoise. Mais à l’échelle individuelle, les méfaits de ces oiseaux peuvent être catastrophiques. Il est donc nécessaire de combattre l’étourneau, bien qu’il soit parfois classé dans les oiseaux utiles puisqu’il se nourrit aussi d’insectes et que dans les pays du Nord et de l’Est on leur construit des nichoirs.
La lutte est difficile et décevante, en raison de l’apparition rapide de phénomènes d’accoutumance ; si l’étourneau est le symbole de l’étourderie, il compte en réalité parmi les plus intelligents des animaux à plumes, si l’on en juge par la variété de ses comportements et ses incroyables facultés d’adaptation [9]. On emploie en Champagne, sans résultat appréciable, des épouvantails, des bandes plastiques multicolores flottant au vent, divers dispositifs sonores tels que pétards, canons, fusées. L’Institut national de la recherche agronomique a mis en expérimentation à la fin des années 1970 une méthode d’effarouchement acoustique, qui consiste en une diffusion d’émission de signaux naturels échangés entre eux par les étourneaux, cris d’alarme en particulier. Les premiers résultats obtenus sur le terroir de Bouzy sont prometteurs.
On utilise parfois des filets de protection en viscose et même de véritables filets de pêche, qui mettent les raisins à l’abri des oiseaux. C’est une méthode efficace mais assez onéreuse et surtout contraignante du fait des nécessités de pose et de dépose. L’usage des filets de protection reste donc très limité. Curieusement, on les trouve surtout aux extrémités des vignes les plus exposées aux ravages... des citadins du dimanche. Dans certaines communes du vignoble, enfin, des groupes de chasseurs tirent au fusil sur les étourneaux, avec une autorisation spéciale si la chasse n’est pas encore ouverte. C’est une méthode beaucoup moins de destruction que d’intimidation et qui a l’inconvénient de renvoyer aux voisins les vendangeurs indésirables, comme c’est d’ailleurs le cas pour les autres procédés d’effarouchement.

10. LES AUTRES RAVAGEURS DE LA VIGNE

Les raisins sont la proie des étourneaux, mais aussi d’autres oiseaux. Les dégâts dont ceux-ci sont responsables sont cependant beaucoup moins graves car ils ne sont pas en bandes aussi importantes, mais Urbain et Jouron ont tout de même écrit : Aussitôt le raisin reconnu mûr, il faut se hâter, car grives, sansonnets, perdreaux, et cailles s’en gorgent à l’envi [10]. En outre, il arrive que si les moineaux mangent les bourgeons au débourrement, le même accident peut se produire avec les limaces grises, les escargots, les campagnols (les souris des vignes) qui peuvent être très dangereux, et enfin les lapins dont les garennes sont situées à proximité des vignes.

Notes

[1MAUCROIX (François ,de) ( œuvre diverses . Renne , 1854)

[2M. de MALAVOIS de la CANNE : Livre du vin que nous avons fait et vendu depuis notre établissement à Ay en 1730 (avec des notes de vendanges écrites de 1782 à 1806 par son gendre M. Hédoin).

[3DELILLE (Abbé Jacques). Œuvres. Paris, 1836.

[4PLONQUET (J.-L.). Nosographie des principaux vignobles de la Champagne. Troyes, 1878.

[5JOLICOEUR (Dr H.). Les Ennemis des vignes champenoises. Reims, 1889.

[6PIERRE (Frère). Traité de la culture des vignes de Champagne, situées à Hautvillers, Cumières, Ay, Epernay, Pierry et Vinay, d’après un manuscrit rédigé par le Frère Pierre, élève et successeur de Dom Pérignon, appartenant à Mme la comtesse Gaston Chandon de Briailles et déchiffré par M. le comte Paul Chandon Moët. Épernay, 1931.

[7MOREAU-BÉRILLON (C.). Au pays du Champagne. Le Vignoble. Le vin. Reims, 1922.

[8RÉGNIER. Oeuvres

[9GRAMET (Philippe). L’étourneau sansonnet en France. Paris, s.d.

[10URBAIN (Paul) et Léon JOURON. Le Vignoble champenois, sa culture et ses produits du Ve siècle à nos jours. Neufchâtel-en-Bray, 1873.