UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Les origines de la vigne en Champagne

On trouvera dans cette première partie les grandes lignes de l’évolution des vins de Champagne à travers les âges. L’histoire sera également présente dans le reste de l’ouvrage, le champagne, vin de tradition, ne pouvant être considéré dans ses divers aspects qu’en fonction des données historiques qui l’ont fortement marqué, mais il convient d’étudier auparavant l’origine et l’expansion de la vigne et des vins de la province de Champagne, puis l’apparition de la mousse, et d’établir la chronique du champagne jusqu’au seuil des années 1980.
Ce faisant, on s’attachera à faire le partage entre la réalité des faits, pour autant qu’elle peut être perçue, et la légende, souvent belle et attachante, qui a contribué à créer l’aura du champagne.

LES ORIGINES DE LA VIGNE EN CHAMPAGNE

Il serait tentant de faire remonter la viticulture champenoise à la préhistoire puisque des feuilles de vigne fossiles ont été trouvées à Sézanne dans des tufs du tertiaire. Mais cette vitis sezannensis a été chassée d’Europe par la grande glaciation du riss, il y a environ 100 000 ans [1]. Elle était, de surplus, inapte à la vinification, ainsi qu’en témoignent aujourd’hui sur le continent américain des vignes qui lui sont apparentées [2]. C’est bien à la période historique qu’est apparue en France la vitis vinifiera, espèce à laquelle appartiennent les cépages actuels de la Champagne. La datation de son implantation dans cette province soulève cependant des difficultés. Certains ont dit, sans aucune preuve, qu’elle y existait déjà à l’arrivée des Romains. D’autres, pour affirmer qu’il n’en était rien, ont tiré argument de ce que Jules César n’en a pas parlé dans ses Commentaires, écrits en l’an 52 avant Jésus-Christ, en oubliant qu’il n’y a mentionné les ressources locales que pour le ravitaillement en blé et en bétail qu’elles pouvaient lui procurer pour ses opérations militaires. Plusieurs auteurs, se copiant les uns les autres, ont prétendu que Pline l’Ancien aurait écrit dans les années 70 après Jésus-Christ, dans son Histoire naturelle, livre XIV, chapitre VI : Les autres vins de la Gaule, recommandés pour la table des rois, ne sont-ils pas ceux de la campagne de Reims qu’on appelle vins d’Ay. C’est une pure invention. Le chapitre en cause est essentiellement consacré aux vins, mais rien de tel ne s’y trouve, pas plus que dans le reste de l’ouvrage qui, en fait de vins gaulois, mentionne seulement, et brièvement, ceux de la Narbonnaise. On a aussi voulu prouver que la viticulture existait en Champagne dès le début de l’époque gallo-romaine en arguant des vases et coupes trouvés au cours de fouilles archéologiques. On peut simplement en déduire que les Gaulois et les Romains des « forces d’occupation » s’en servaient pour boire les breuvages de l’époque, c’est-à-dire la cervoise (bière d’orge ou de blé), l’hydromel coupé d’eau, du vin provenant d’Italie ou de la Gaule méridionale, ou tout simplement de l’eau.

On a souvent mis en avant, en citant l’historien romain Suétone, l’édit par lequel l’empereur Domitien, dans les années 90 de notre ère, a ordonné d’arracher une partie des vignobles des provinces romaines, en ajoutant parfois que l’édit s’appliquait à la Champagne et que l’empereur agissait ainsi pour que les vins étrangers ne viennent pas concurrencer ceux produits en Italie.

Or voici le texte de Suétone : Une année où le zain était en abondance, alors que le blé manquait, estimant que la culture exagérée de la vigne faisait négliger les terres, il interdit d’en planter davantage en Italie, et donna l’ordre de couper des ceps, dans les provinces, en n’en laissant que la moitié, au maximum, mais il ne fit pas exécuter cet édit  [3]. Suétone ajoute que Domitien fit révoquer l’édit car il circulait dans Rome des billets à son adresse, ainsi libellés : Même si tu me dévores jusqu’à la racine, je porterai toujours assez de fruits pour que l’on puisse faire la libation sur ta tête, ô bouc, lors de ton sacrifice. On voit donc que les motifs de Domitien étaient autres que ceux qu’on lui prête couramment et que l’édit ne pouvait avoir d’influence sur des vignobles de Champagne dont tout permet de croire qu’ils n’existaient pas encore à cette époque.

Et que penser des affirmations selon lesquelles l’empereur Probus et ses légions ont joué un rôle déterminant dans l’implantation du vignoble en Champagne ? Il est exact que pendant son court règne, c’est-à-dire entre 276 et 282 de notre ère, Probus a favorisé la plantation de vignobles. Voici ce qu’en dit l’historien romain Aurelius Victor : Comme Hannibal avait couvert de plantations d’oliviers la plus grande partie de l’Afrique grâce au travail de ses légions, dont il considérait le repos préjudiciable à l’Etat et à leurs généraux, de la même manière Probus fit couvrir de vignes la Gaule, la Pannonie et les collines de Mésie [4]. Mais l’historien romain Eutrope précise que Probus a recouru à la main d’œuvre militaire pour planter de vignes le Mont Almus, près de Sirmium, et le Mont d’Or en Mésie supérieure [5], autrement dit dans des régions qui sont, à l’heure actuelle, respectivement yougoslave et bulgare. Rien n’indique donc que Probus, ainsi qu’il a parfois été écrit, ait voulu prendre le contre-pied de l’édit de Domitien, vieux de près de 200 ans et qui, nous l’avons vu, n’avait pas été appliqué. Et rien ne peut nous faire penser que la Champagne ait bénéficié de « plantations militaires » qui, compte tenu des nécessités de l’approvisionnement en plants de vigne, ne pouvaient se faire sur une grande échelle que dans des régions de vignobles déjà en rapport. C’est pourquoi il est peu probable que ce soit en l’honneur de Probus, comme on l’a prétendu, qu’a été érigée la Porte Mars, monument gallo-romain dont s’enorgueillit la ville de Reims. Il est plus vraisemblable qu’elle fut élevée beaucoup plus tôt, dans les dernières années du premier siècle avant Jésus-Christ, sur ordre d’Agrippa qui l’aurait dédiée à Jules César [6]. Reims était la capitale des Rèmes, alliés indéfectibles des Romains, et s’appelait alors Durocortorum. Elle fut la métropole de la province romaine de Belgique, avant de devenir celle de la Belgique seconde. Nœud routier de première importance, quatre voies romaines y prenaient naissance. L’une d’elles conduisait à Bavay (14 km à l’ouest de Maubeuge), en empruntant la Porte Mars.

Quoi qu’il en soit, comme le démontre Roger Dion qui fait autorité en la matière, s’il est certain que la culture de la vigne a été importée en Gaule méridionale dès le début du VIe siècle avant Jésus-Christ par les colons grecs de Marseille, ce n’est qu’au IIIe siècle de notre ère que se créèrent les vignobles de Bourgogne et de Moselle, d’où la vigne aurait gagné, à la fin du siècle et au IVe, la partie septentrionale de la Gaule, et donc la Champagne, Mennesson notant en 1806, dans L’Observateur rural de la Marne, qu’en Champagne les érudits fixent assez généralement cette origine au commencement du cinquième siècle.

Notes

[1ENJALDERT (Henri). Histoire de la vigne et du vin. Paris, 1975.

[2DION (Roger). Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXe, siècle. Paris, 1959.

[3SUÉTONE. Fie des douze Césars.

[4AURELIUS VICTOR. Livre des Césars, traduction Pierre Dufraigne, Paris, 1975. es salons

[5EUTROPE. Abrégé de l’histoire romaine, traduction Maurice, Rat. Paris, 1934.

[6GALERON (ME.). journal historique de Reims depuis la fondation de celle ville jusqu’à nos jours. Reims, 1853