UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

L’élaboration du champagne

Ce n’est que tardivement que la persévérance des hommes et leur esprit d’invention ont su maîtriser les techniques du champagne dont ils ont ainsi permis la prodigieuse expansion. On lit encore en 1866, dans la 5e édition de la Topographie de tous les vignobles connus de Jullien, que les phénomènes qui déterminent ou détruisent la qualité mousseuse des vins sont si étonnants qu’ils ne peuvent pas être expliqués. Comme le dit fort justement William Younger, jusqu’au milieu du siècle le champagne a été un vin difficile, jeune et instable, parfois mousseux au sens naturel du terme, parfois simplement crémant. La recherche scientifique et l’amélioration des techniques lui ont permis de devenir un vin régulier digne de confiance, de meilleure qualité et meilleur marché [1].

On doit ces progrès à ces savants français, mais également allemands et suisses, qui, œuvrant dans le sillage de Lavoisier, s’appellent Chaptal, Cadet de Vaux, Thénard, Nicolas de Saussure, Mitscherlich, Gay Lussac, Leuwenhoek, Appert, Cagniard de La Tour, Pasteur, Berthelot, Claude Bernard, Liebig, Buchner. On les doit aussi à des chercheurs champenois, moins célèbres, mais dont le rôle a été déterminant dans le domaine pratique, Herpin, François, Maumené, Robinet, Cordier, Salleron, Manceau, pour ne citer que les principaux. Vignerons et négociants participent pour leur part à cette évolution, sur le double plan des idées et des moyens financiers, et commencent à la fin du siècle à tirer systématiquement profit des facilités qu’elle leur offre. Couanon et Convert notent en 1900 que la pratique des essais chimiques rapides effectués sur les moûts et sur les vins s’est répandue à la propriété et chez les négociants [2].

LA PREMIÈRE FERMENTATION

On fait en Champagne le vin de première fermentation avec un soin particulier lorsqu’il est destiné à devenir effervescent, et André Jullien en témoigne en écrivant : La Champagne est sans contredit le pays où l’industrie a fait le plus de progrès en ce qui concerne la manipulation des vins. On les clarifie avec un soin extrême, on ne les met en bouteilles que lorsqu’ils sont parfaitement limpides [3]. Les matériels de vinification sont toujours en excellent état, qu’il s’agisse des innombrables tonneaux, les pièces, marqués avec des lettres et des chiffres qui permettent de reconnaître la provenance du vin, les numéros du marc et de la cuvée ou de la taille, ou encore des bassins de soutirage et des larges entonnoirs qui sont toujours en cuivre pour éviter tout risque de casse ferrique.

Comme partout, on suit les conseils de Chaptal qui écrit au début du siècle, à propos du sucrage du moût, que l’addition du sucre a le double avantage d’augmenter considérablement la spirituosité du vin53 , et de prévenir la dégénération acide à laquelle les vins faibles sont sujets [4]. On vise ainsi à atteindre 11,5° à 12° d’alcool en fin de fermentation [5]. Certains, pour obtenir le même résultat, ajoutent au moût quelques litres d’esprit de cognac bon goût [6], une fois le vin fait. Parmentier, pour sa part, conseille le sirop de raisin, ou jus de raisin concentré, qui, dit-il édulcore les vins de Champagne avec plus d’avantages que le sucre candi [7].

Avant de remplir le tonneau du moût additionné de sucre, on le mèche pour le désinfecter, c’est-à-dire que l’on y fait brûler une mèche ou plaque de soufre soutenue par un crochet en fer. Maumené précise qu’à l’époque (1871) on mêle ordinairement au soufre des poudres aromatiques telles que girofle, cannelle, fleurs de lavande, de thym, de marjolaine, de violette, iris de Florence. Il ajoute que la plus faible quantité de ces substances peut se faire sentir dans le vin avec avantage [8].

Voici quel est ensuite, rapidement esquissé, le processus de la transformation du moût en vin tel qu’il se déroule à la fin du XIXe siècle :

Pendant les 15 ou 20 jours que dure la 1ère fermentation dite « tumultueuse »54 il faut « ouiller » avec soin le tonneau, c’est-à-dire le remplir trois ou quatre fois de bon vin. La bonde est recouverte d’une feuille de vigne chargée de sable, qui permet le dégagement du gaz acide carbonique produit par cette fermentation. Au bout d’une vingtaine de jours, plus ou moins, selon qu’on s’est assuré que cette phase a cessé, on remplit le tonneau. Le vin attend Noël dans ces tonneaux, où il dépose encore ; et sous l’influence du froid, la fermentation s’arrête, le vin s’éclaircit. On le soutire alors, vers la fin de décembre, en choisissant un temps clair et sec, dans des tonneaux de même contenance où il achève de s’éclaircir [9].

Le vin est donc bon à soutirer lorsque, sous l’effet du froid, la plus grande partie des sels et des matières organiques se précipitent. Pendant longtemps, on en est réduit à subir les caprices du froid hivernal, mais vers 1890 on voit apparaître les premiers systèmes de réfrigération des celliers.

Préalablement au soutirage les vins sont collés au tanin, à l’acide tartrique et à la colle de poisson [10]. Maumené précise que l’on colle également dans les années 1870 au blanc d’ouf, à la caséine et à la poudre de sang séché. Le soutirage, depuis le début du siècle, se fait avec la pompe, dont l’usage s’est établi en Champagne et successivement dans d’autres pays-vignobles [11]. On profite du soutirage pour rectifier si nécessaire la couleur au moyen du noir animal. Dans la deuxième partie du XIXe siècle, on commence à filtrer les vins, mais le collage reste préféré.

LA CUVÉE

Le stade qui suit le soutirage est celui du coupage des vins, opération qui consiste à mélanger ensemble diverses espèces de vins qui doivent composer ce qu’on appelle les cuvées [12], vins de la même année mais de différents crus, alliage savant, suite logique des pratiques instaurées au XVIIIe siècle par Dom Pérignon pour les vins gris et par les premiers producteurs de vin mousseux. Pour Cavoleau, en 1822, c’est faire des assortimens [13]. Pour la Notice historique sur le vin de Champagne, document officiel de 1889, il s’agit des recoupages ou assemblages.

On assemble dans le grand foudre les vins des différents vignobles

Employé tardivement dans le sens de coupage, le mot assemblage signifie aussi le rangement en cellier des tonneaux selon des lignes parallèles composées chacune d’un certain nombre de pièces, de chaque cru, en rapport avec la proportion dont chaque vin doit entrer dans le mélange décidé lors de la composition des cuvées.

À la fin du XIXe siècle, la cuvée est définie comme l’ensemble des vins dont le chef de maison a lui-même, après dégustation, arrêté la composition et l’importance, de manière à faire un tout homogène et harmonieux, où les bouquets sont combinés, améliorés et complétés les uns par les autres [14]. En fait, le coupage est une nécessité pour le producteur champenois comme il l’était déjà pour Dom Pérignon, et pour des raisons analogues. Comme l’écrit le Sparnacien Robinet, dans un pays vignoble comme la Champagne, où la propriété est divisée à l’infini, chaque propriétaire ne récolte qu’une petite quantité de vin ; donc le négociant... doit procéder à un mélange de vins venant de chez un grand nombre de propriétaires. Le producteur trouve en outre dans cette pratique la meilleure utilisation de ses disponibilités en vins. André Jullien en donne un bon exemple : Lorsque la température a été chaude, les meilleurs Vins de la 5e classe sont employés à la préparation des vins mousseux de 3e classe, en y ajoutant environ 1/10e de vins de taille d’Ay ou de Mareuil qui, en leur donnant du corps et du spiritueux, les rend susceptibles de se conserver. Il est en effet prouvé que le coupage augmente la qualité de l’ensemble, et pas seulement en Champagne. Il se pratique en Bordelais et dans bien d’autres vignobles. Lenoir affirme en 1828, traitant du vin en général, que les mélanges, lorsqu’ils sont bien assortis et faits dans des proportions convenables, produisent toujours des vins meilleurs que chacun de ceux qui ont servi à les composer [15]. Et Horace écrivait déjà : Je n’ai ni les vignes de Falerne, ni les coteaux de Formie, pour corriger par un heureux mélange le vin de mon cru [16].

Le champagne étant principalement un vin de marque, l’assemblage permet aussi à un producteur de rester fidèle au type adopté par sa maison et connu de ses clients, en jouant avec les différents vins qu’il possède dans ses celliers pour s’en rapprocher chaque année le plus possible, ou encore, s’il le juge opportun, de le modifier en quelques années par transitions imperceptibles. Le champagne peut être adapté au goût des consommateurs étrangers qui diffère souvent de celui des Français. Comme l’écrit Cavoleau en 1827, envoyer à Francfort le vin qui plaît à Paris serait s’exposer à le voir rester pour le compte de l’expéditeur. C’est l’idée que développe en 1892 J. de Saint-André : Les consommateurs de tel pays aiment un champagne frais, distingué et sucré, ceux de tel autre désirent un vin vieux, corsé et sec, il est évident que les éléments qui doivent composer ces vins ne sont pas les mêmes.

Sur un plan purement technique, encore que tout progrès dans la qualité du vin ait des prolongements commerciaux, le producteur se sert de l’assemblage pour compléter l’ajustement de la couleur, et surtout pour améliorer ses chances d’obtenir une véritable mousse. Ce ne sont pas toujours les meilleurs vins qui y réussissent si on en croit Maizière qui écrit en 1846 : Ce n’est encore que par hasard que l’on a pu avoir du vin grand mousseux fait de raisins de première qualité [17]. Comme au XVIIIe siècle on pratique un assemblage de sécurité en mêlant les vins de raisins blancs à ceux de raisins noirs pour avoir davantage de mousse [18]. La règle est donc de mélanger avant leur mise en bouteilles les vins de divers crus lorsqu’ils ont des caractéristiques complémentaires, ou même pour utiliser des approvisionnements disponibles, mais toujours de façon à obtenir le meilleur vin possible, en réunissant les différentes qualités attribuées à chaque vignoble. Mais une fois assemblés, les crus ont totalement perdu leur personnalité ; même si l’un d’eux prédomine, les consommateurs ignorent lequel. Or certains d’entre eux le regrettent et on peut lire dans une Note des Bibliophiles insérée dans le Mémoire sur le Vin de Champagne de Louis-Perrier : N’est-ce pas enlever à chacun de nos meilleurs vins son véritable cachet ? Par cette fusion générale des raisins de dix paroisses dans la même cuve, nous perdons le goût de pêche du vin d’Ay, le goût de fraise du vin d’ Avenay, le goût de noisette d’Hautvillers, le goût de pierre à fusil de Pierry.

Outre le mélange des crus, on effectue celui de vins d’années différentes à partir du milieu du siècle. Le Dr Guyot appelle cette opération le recoulage. Il écrit à son sujet : Lorsque le vin de tirage est le produit d’une année petite ou médiocre, on y ajoute une proportion de vin de grande année, mis en réserve à cet effet. On recoule par exemple le petit vin de tirage de 1847 à 10, 15, 20% avec le grand vin de tirage de 1846. Il note que la constance de la qualité d’une grande marque en dépend et qu’une maison dépourvue de vins vieux de première qualité, dans une série d’années médiocres, est une maison démontée, perdue pour le grand commerce . Ces stocks constituent ce que la notice du Syndicat du Commerce des Vins de Champagne (qui deviendra Syndicat de Grandes Marques, puis, en 1994, Union des Maisons de Champagne) appelle en 1889 les vins de réserve [19] et qui sont depuis connus comme tels.

Si on n’assemble que des vins d’une seule année, on a ce que l’on appelle aujourd’hui un millésime. Au XIXe siècle, le mot n’existe pas55 et la notion de la chose est assez floue. Au début des années 1830 on commence à dater certaines étiquettes, mais rarement, et seulement pour signaler une année véritablement exceptionnelle, notamment pour les marchés britannique et américain. Simultanément cependant, marchands de vin et connaisseurs, en Angleterre particulièrement, se référent volontiers aux années de production même lorsqu’elles ne sont pas indiquées. Ce n’est qu’à partir de 1865 que l’on commence à mettre régulièrement sur le marché, tous les deux ou trois ans en France, plus fréquemment en Angleterre, des champagnes produits en principe sans addition de vins de réserve ; néanmoins le millésime ne figure encore qu’occasionnellement sur l’étiquette, tout au moins jusqu’aux années 1870. Ils sont vendus avec la seule garantie de la bonne foi du vendeur, dit André Simon [20]. II précise que de 1881 à 1891 on vend en Angleterre un millésime chaque année alors que sur le continent la cuvée non millésimée est la règle. Et comme aucune réglementation n’oblige les producteurs à une correspondance rigoureuse entre l’année affichée et le contenu de la bouteille, c’est sans vergogne qu’ils vendent un champagne de 1882 fait à partir de deux ou trois années différentes. Feuerheerd va même jusqu’à écrire en 1899 qu’il doute qu’un vin de Champagne d’une année, réellement pur, ait jamais été mis en bouteilles [21]. Les bonnes maisons mettent tout de même leur point d’honneur à offrir une bouteille dont le vin de l’année affichée forme l’essentiel, mais les autres ne l’y font entrer qu’en faible proportion, quand il n’en est pas totalement absent.

À partir des années 1870, les meilleures marques livrent des champagnes où domine réellement le vin de l’année indiquée, qu’ils commencent à prendre l’habitude de faire figurer sur le bouchon. Certains producteurs ne s’y résolvent d’ailleurs que tardivement, Charles Heidsieck en 1889, Pommery en 1892.

Vizetelly estime qu’un grand vintage ne survient jamais plus de deux fois en dix ans, et que dans la même période il y a généralement un ou deux autres vintages assez bons [22]. Voici, d’après ses recherches et observations, et selon d’autres témoignages postérieurs, les très bonnes années du XIXe siècle : 1802, 1806, 1811, 1815, 1818, 1822, 1825, 1834, 1840, 1842, 1846, 1848, 1857, 1865, 1868, 1874, 1880, 1884, 1889, 1892, 1893, 1898, 1899. Il faut ajouter que 1875, qui a donné la récolte la plus abondante du siècle, a parfois été louée pour sa qualité, et que 1900 débutera le XXe sous de très heureux auspices.

Une année mérite que l’on s’y arrête quelque peu, c’est 1811, l’Année de la Comète. Au début du siècle, la nature n’avait pas toujours été généreuse et on s’était plaint de l’année 1805, dont le vin détestable, baptisé « le conscrit », a gâté les poinçons [23], et des années 1808 et 1809. Mais voici que l’année 1811 produit un vin incomparable sous tous les rapports, en qualité comme en quantité. Or, cette année-là, apparaît une comète particulièrement impressionnante. Par association naturelle entre deux prodiges, le vin est donc baptisé le Vin de la Comète 57. Il faut aussi donner une mention spéciale à 1846, ainsi qu’à 1894 qui a laissé le souvenir d’un très grand vin, à tel point que vingt ans après sa sortie, sous la plume de R.J. Lloyd Price, une Ode au Pommery 1874 en forme d’adieu a paru dans Vanity Fair du 27 décembre 1894, se terminant joliment comme suit : Adieu donc, Pommery Soixante-quatorze ! À petites gorgées respectueuses nous nous séparons, tristes de penser que jamais plus un tel vin ne passera par nos lèvres.

Les opérations qui constituent la préparation de la cuvée s’effectuent en janvier et février [24]. À la fin du siècle, elles se font selon un rite que l’on peut qualifier d’immuable puisque dans ses grandes lignes il est aujourd’hui le même.

On procède en premier lieu à l’analyse des vins, à l’examen de leurs qualités et de leurs défauts, de leur couleur, de leur acidité, de leur degré alcoolique, en en comparant les particularités avec celles des vins notés les années précédentes dans le livre des cuvées. On obtient ainsi un aperçu des assemblages possibles et souhaitables. Intervient ensuite la dégustation, effectuée en plusieurs étapes par quelques praticiens, sous la direction du chef de cave et la responsabilité du chef de maison qui participe personnellement à la phase finale et parfois même à tout l’ensemble, seul ou avec ses adjoints. C’est en effet une de ses prérogatives essentielles, et il peut regarder comme son oeuvre la cuvée terminée. Voici comment Salleron décrit cette opération en 1886 : Dans le cabinet de dégustation, lieu sacré, véritable sanctuaire de l’œnologie le matin nos dégustateurs mangent une pomme d’api et le silence est observé. Les crus sont goûtés et classés : tels entreront dans la première cuvée, tels dans la seconde ou la troisième, tels seront réservés. Le goût des différents pays dans lesquels les vins sont expédiés est considéré en première ligne ; les mélanges des années précédentes sont des points de ralliement ; tout est examiné, pesé, calculé et les chiffres sont arrêtés : la cuvée se compose de tant de pièces d’Ay, Bouzy...

On procède ensuite au mélange des vins retenus. Pour ce faire, on classe les tonneaux et on en déverse le contenu dans les proportions indiquées dans de grands foudres, immenses récipients contenant 200 et même 250 pièces, afin d’obtenir un vin régulier, exactement de même force, de même, qualité, de même nature. Un mélangeur à palettes agite doucement la masse liquide pour que le mélange soit absolument parfait. La cuvée étant achevée et entonnée dans de nouveaux fûts, elle est collée avec des soins tout spéciaux 58 et laissée ensuite reposer quelque temps. Les vins sont alors soutirés et descendus en cave jusqu’à la mi-avril, époque de la mise en bouteilles.

LA MAÎTRISE DE LA MOUSSE

On sait aujourd’hui pourquoi, avant le tirage, il est nécessaire d’ajouter à la cuvée du sucre, ainsi que les ferments qui le transformeront en alcool et en gaz carbonique. Ce n’est qu’à partir des années 1830 que l’on prend conscience progressivement des raisons de cette technique. Auparavant, on procède empiriquement car on ignore encore le rôle de ces éléments dans la fermentation alcoolique, à la bonne marche de laquelle ils sont pourtant indispensables. Il en résulte une grande irrégularité de la mousse, laissée au hasard des conditions naturelles de sa formation.

Voici ce qu’écrit Cavoleau en 1827 : Les vins tirés pour mousser ne prennent pas la mousse également. Il en est où elle se manifeste de suite après quinze jours de bouteille ; d’autres qui exigent plusieurs mois ; d’autres qui réclament un changement de température et qu’on les remonte de la cave au cellier ; d’autres qui attendent le redoublement de la sève en août ; d’autres qui, après avoir lassé toute attente, commencent à se décider lorsqu’on n’y comptait plus ; d’autres enfin qu’il faut, à l’année suivante, remettre en cercles et mélanger avec un cru de la nouvelle récolte, qui ait la propriété d’être éminemment mousseux, tel que celui des raisins blancs de la Côte d’Avize. La mousse du vin de Champagne considérée dans son avènement, dans sa marche et ses effets, est... une sorte de Protée pour les négociants et les propriétaires les plus expérimentés (88). En 1846 encore, Maizière se demande quand l’art d’obtenir, à volonté et sans perte, un vin grand mousseux d’une cuvée de purs raisins fins, va être mis en pratique.

Cavoleau aurait pu aussi mentionner la casse, qui sévit à son époque tout autant qu’au XVIIIe siècle. Elle est normalement de 10 à 20% mais il arrive qu’elle amène la destruction de la totalité des bouteilles de la cuvée. Jullien signale qu’il n’est pas prudent de traverser une cave sans être garanti par un masque de fil de fer.

On cherche à se prémunir contre le fléau par des inventions parfois étranges. Maizière met en service avec peu de succès le para-casse, énorme cylindre étanche qui devrait permettre de mener à bien la prise de mousse de 15 000 bouteilles à la fois, et dans le Rapport à l’Académie de Reims de la Commission chargée de l’examen de divers procédés relatifs à la vinification, Sutaine relate des essais négatifs d’acupuncture par piqûre au travers du bouchon pour arrêter la casse en faisant échapper du gaz carbonique, essais exécutés sur une petite partie de 2 000 bouteilles, avec le trocard de M. le docteur Rousseau d’Épernay. Par le même rapport, on apprend les meilleurs moyens d’arrêter les désastres d’une casse excessive. On y conseille de déboucher les bouteilles, de les vider à peu près au cinquième, et de les remplir ensuite, opération ayant l’inconvénient d’être assez longue et d’occasionner des frais considérables, ou bien encore d’imiter ceux qui ont remis leur vin en fûts, et l’ont tiré de nouveau et immédiatement en bouteilles.

Mais Sutaine, en terminant, fait allusion au seul espoir possible de solution du problème en recommandant à tous les négociants en vin de Champagne un opuscule, très-connu du reste, de M. François, ancien pharmacien à Châlons-sur-Marne, et qui a pour titre : Traité sur le travail des vins blancs mousseux. C’est en effet cette mince brochure, parue en 1837, œuvre d’un modeste chercheur, qui est le maillon initial et capital de la chaîne des travaux qui vont être menés à bien pour mieux connaître le phénomène de la prise de mousse et en tirer les applications pratiques permettant de l’obtenir à volonté et de supprimer à peu près entièrement la casse. Au début du siècle, on ignore tout du rôle du sucre dans la deuxième fermentation59.

On observe seulement que les vins mousseux ne doivent leur propriété de mousser qu’à ce qu’ils ont été enfermés dans le verre avant qu’ils aient complété leur fermentation (97). On ajoute parfois du sucre, mais c’est avec l’idée qu’il aidera le vin à bien se conserver. Cadet de Vaux écrit en effet en 1803 que les vins ne tournent jamais à l’aigre tant qu’il y existe encore une portion de principe sucré et que cette observation justifie l’usage où l’on est, sur-tout pour le vin de Champagne mousseux, d’y ajouter un peu de sucre quand on le met en bouteilles, pour le conserver sans altération.

Il semble que ce soit peu avant 1820 que certains commencent à utiliser le sucre avec l’espoir qu’il fera mieux mousser le vin, ainsi que le remarque Roques qui écrit en 1821 : Pour rendre le champagne plus gazeux, on y ajoute du sucre candi dissous dans du vin blanc [25]. Si on l’a fait auparavant, on n’en a pas parlé car Chaptal, Jullien, Macculoch, Cavoleau, Lenoir sont muets sur ce point. Vers 1830, l’addition du sucre à la cuvée est reconnue comme favorable à une bonne prise de mousse mais il n’existe encore aucune méthode permettant de connaître le dosage optimal, compte tenu de la quantité de sucre résiduel provenant de la fermentation, quantité que l’on ne sait pas évaluer. C’est cette lacune que François va s’efforcer de combler. Ayant constaté que les vins manquent la mousse parce que le sucre n’y est pas en quantité suffisante, ou bien cassent énormément lorsque cette substance y entre à trop haute dose, il s’attache à déterminer l’emploi rationnel du sucre.

Après de nombreuses expériences, il parvient à mettre au point une méthode qui consiste, après avoir fait évaporer la partie alcoolique d’un volume donné de vin à tirer, à évaluer au moyen du gleuco-œnomètre de Cadet de Vaux et d’une table de correspondance le poids de sucre naturel contenu dans un litre du vin examiné. C’est ce qu’on appelera la réduction François, dont Monceau dira qu’elle est pratique, sinon d’une très grande exactitude. On peut ajouter que le résultat ainsi obtenu est fragmentaire, car si on a appris à mesurer le sucre résiduel, on ne connaît toujours pas avec précision la quantité totale nécessaire pour une bonne prise de mousse et, par conséquent, celle que l’on doit rajouter.

On peut donc, grâce à François, éviter de grosses erreurs, mais on en reste encore à un stade de larges évaluations, étayées sur l’expérience, confirmées par les dégustations, ce qui permet tout de même de se rapprocher graduellement, avec encore des accidents spectaculaires, d’un niveau de casse de 3 à 8%. François estime d’ailleurs qu’un tel pourcentage est normal car, écrit-il, quand on descend à 1 ou 2% de casse on s’expose à arrêter la fermentation et, par la suite, la mousse n’a plus le degré d’intensité convenable.

Le pharmacien châlonnais a eu ainsi le très grand mérite de mettre en lumière la relation qui existe entre le poids du sucre contenu dans le vin et la production du gaz carbonique et, dans la pratique, d’inventer un procédé de dosage d’une utilité certaine, qui permet d’obtenir une diminution importante de la casse à partir des années 1840. En 1899, dans le Bulletin de la maison Moët & Chandon, on lit encore que la réduction François reste aujourd’hui telle que son auteur l’a établie le guide du chef de cave pour l’opération du tirage. Dans la Notice historique sur le vin de Champagne qu’il fait paraître pour l’exposition de 1889, le Syndicat du Commerce des Vins de Champagne (qui deviendra Syndicat de Grandes Marques, puis, en 1994, Union des Maisons de Champagne) note que depuis la découverte importante de Monsieur François, le commerce des vins mousseux a pris une extension considérable.

Après François, disparu prématurément en 1838 à l’âge de 46 ans60, les travaux continuent. En 1874, Maumené, ancien professeur de chimie à la chaire municipale de Reims, fait intervenir dans la recherche du dosage optimal le pouvoir dissolvant du vin envers le gaz carbonique, procédé qu’il avait entrevu dès 1858. Il dresse un tableau permettant de connaître la quantité de sucre à ajouter au tirage en fonction de la pression que l’on veut obtenir. Malheureusement sa méthode de détermination du pouvoir dissolvant est trop imprécise pour pouvoir être appliquée avec un plein succès. En 1877, Robinet donne une méthode de réduction plus rapide que celle de François, mais moins précise, et en 1886, Salleron invente un absorptiomètre à manomètre et pompe pour le calcul du pouvoir dissolvant du vin, conseillant de calculer le sucre restant par une analyse chimique reposant sur l’action réductrice que le sucre exerce sur les sels de cuivre. On cherche donc, on invente, mais ce ne sera que dans les dernières années du XIXe siècle qu’ayant déterminé que 4 grammes de sucre environ sont nécessaires pour obtenir une atmosphère de pression, on saura enfin, compte tenu du sucre résiduel 61, du pouvoir absorbant du vin, de son degré alcoolique et de la température, calculer la quantité exacte de sucre à ajouter pour obtenir les six atmosphères d’un vin grand-mousseux.

Parallèlement aux recherches sur l’emploi du sucre, on s’occupe des ferments [26], dont Chaptal a reconnu l’importance au début du siècle :

Le sucre existe dans le raisin et c’est surtout à lui qu’est dû l’alcool qui résulte de sa décomposition ; mais ce sucre est constamment mêlé avec un corps doux plus ou moins abondant, et qui sert de ferment ; nous appellerons ce principe doux levain, levure [27], ce que Lenoir confirme en 1828 en écrivant qu’aucune fermentation alcoolique ne peut avoir lieu sans la présence d’un ferment [28] qui en est l’agent en transformant le sucre en alcool et en gaz carbonique.
Il faut revenir au pharmacien François, qui procède à une étude approfondie des ferments et indique les moyens de les éliminer lorsqu’ils sont en excès, en les précipitant par l’acide sulfureux, l’alcool (ou l’eau-de-vie) et le tanin. Il note également que la quantité de ferment est en raison directe de la présence de l’acide tartrique, qui est son dissolvant naturel [29]. Mais il n’établit pas de relation directe entre les ferments et la prise de mousse. On y songe cependant. Sutaine écrit dans le rapport précité de 1843 : Nous connaissons la manière de peser le vin et le degré de sucre qu’il doit contenir : que la science nous apprenne maintenant à opérer de même sur le ferment.
La connaissance de la nature des ferments et de leur rôle dans la fermentation alcoolique fait de grands progrès dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Cagniard de La Tour, reprenant les travaux de Leuwenhoek démontre que ce sont des végétaux. Pasteur établit d’une manière indiscutable la relation systématique qui existe entre la présence de levures et la fermentation du milieu. Buchner découvre que les ferments agissent par l’intermédiaire de substances qu’ils sécrètent, les enzymes. Hansen met au point un procédé permettant d’obtenir des cultures pures à partir d’une seule cellule de levure. Maumené découvre que les aléas du tirage sont la conséquence de l’existence et des fonctions de la levure et, le premier, envisage d’utiliser les ferments pour la prise de mousse. Il note que leur action est différente selon les crus dont ils proviennent et qu’il n’est pas nécessaire d’en avoir une grande quantité, la qualité primant la quantité. Salleron les étudie dans leurs rapports avec le sucre, l’alcool et la température, il en ajoute expérimentalement dans les vins de tirage, avec d’excellents résultats et il préconise de ne pas trop pousser le soutirage après assemblage, afin d’en conserver en quantité suffisante dans le vin [30] . À partir des années 1880, ayant acquis une meilleure connaissance du rôle des levures, les producteurs les utilisent petit à petit pour la seconde fermentation, avant de le faire systématiquement au début du XXe siècle. On sélectionne les ferments par culture dans les laboratoires régionaux car on s’est aperçu que les levures cultivées de crus de Champagne accomplissent le travail de la prise de mousse beaucoup plus facilement, plus régulièrement et mieux que n’importe quel autre ferment et ont la faculté de faciliter la formation du dépôt dans les bouteilles et de simplifier beaucoup le travail du vin. Avec elles, on a l’immense avantage d’être absolument certain de réussir la prise de mousse [31]
.Mais hélas ! on n’en est pas encore là au milieu du siècle, et même dans les années 1880 malgré les progrès que l’on vient de voir. Il n’y a pas encore de résultat définitif dans la recherche du contrôle de la prise de mousse. La casse continue, souvent d’ailleurs par suite d’une mauvaise application des travaux des chercheurs, et la production du vinaigre encore largement alimentée par le vin de casse.

Il n’est que de lire Vizetelly qui, en 1879, raconte comme suit sa visite dans une cave champenoise : Les bruits causés ici et là par les bouteilles qui explosent assaillent l’oreille, et tandis que l’écho va en mourant, il s’y mêle le son argentin du vin qui s’échappe, coulant en cascade jusqu’au bas des tas et trouvant son chemin sur les côtés inclinés du sol jusqu’à l’étroite gouttière centrale [32]. En 1894 encore, Thudichum écrit que lorsque la casse atteint plus de 8%, le vin doit être débouché ou transporté dans un endroit plus frais, comme on l’a vu faire au début du siècle, et que pendant ce travail le personnel porte des masques et gants [33].
Une casse de 8% est plus supportable que les 20% des années 1840 mais elle est encore considérable. D’où différentes pratiques, déjà connues, pour essayer de sauver la cuvée, surtout par le refroidissement. Maumené le conseille sous forme d’aération, de jets d’eau froide sur les bouteilles, de blocs de glace entreposés dans les caveaux, en précisant qu’il faut nettoyer rapidement les caves souillées par les vins qui se sont répandus, sans quoi ils s’oxyderaient et feraient monter la température de la cave à 18 ou 20° . On opère aussi des changements d’emplacement en descendant les bouteilles dans une cave plus froide, lorsqu’une pression de 8 atmosphères est indiquée par l’aphromètre que Maumené a inventé pour pouvoir suivre la progression de la fermentation.

Parmi les barrières que l’on cherche à opposer au fléau destructeur de la casse, on doit noter, comme au XVIIIe siècle, la recherche de meilleures bouteilles. Au milieu du siècle la champenoise, ainsi nommée depuis 1800 [34], est encore assez pansue, puis elle s’allonge, ce qui lui donne une meilleure résistance. Pendant longtemps elle est faite très irrégulièrement. On lit dans l’édition de 1866 de la Topographie de tous les vignobles connus de Jullien que la qualité des matières servant à la fabrication des bouteilles, et peut-être aussi le degré de feu qu’elles ont subi, contribuent à diminuer ou à conserver la mousse des vins de Champagne. On ne doit donc pas être étonné de trouver, dans le même panier, des bouteilles dont le vin mousse plus ou moins fortement, et d’autres où il ne mousse pas du tout.
Pour ne pas s’exposer à une casse qui résulterait de l’emploi de bouteilles déjà fatiguées par la pression d’une première prise de mousse, on n’utilise généralement que des bouteilles neuves [35]. Et comme les bouteilles sont d’une solidité inégale, on cherche un moyen d’en contrôler la résistance avant emploi.

Sutaine écrit en 1843 dans son rapport précité qu’il deviendra indispensable que toutes les bouteilles destinées aux vins mousseux soient éprouvées dans les verreries, et que celles-là seulement qui auraient résisté à la pression d’un certain nombre d’atmosphères soient livrées à la consommation. En fait, c’est au niveau du producteur que se fait l’essai préalable des bouteilles. Il dispose pour cela depuis les années 1830 de la machine à pression Colardeau, à laquelle le docteur Rousseau, médecin sparnacien et très actif chercheur, déjà rencontré à propos de l’acupuncture, apporte quelques perfectionnements avec un appareil de son invention, le brise-bouteilles. Ces procédés sont fort imprécis car, comme le fera remarquer Salleron, qui avait pour sa part inventé un élasticimètre, des bouteilles résistant à 30 atmosphères pendant deux ou trois minutes peuvent ne pas supporter des pressions continues de 8 atmosphères. Maizière, autre chercheur infatigable, préconise de vérifier la solidité de la bouteille en en mesurant l’épaisseur à l’épaule, la partie la plus mince, avec un compas de son invention. Mais les résultats sont décevants.

À la fin du XIXe siècle on n’a donc encore trouvé aucun remède totalement efficace contre la casse, qui ne s’abaissera dans des proportions admissibles qu’au début du XXe, lorsque l’on aura acquis définitivement la maîtrise de la deuxième fermentation.

On a bien compris combien est irrégulière et déconcertante, à l’époque, la production du gaz carbonique pendant la prise de mousse. La pression monte plus ou moins rapidement, avec des pointes de 8 à 12 atmosphères pouvant atteindre exceptionnellement 20 à 30 atmosphères. Elle s’établit en fin d’opération à 2 atmosphères environ en 1840, d’après le rapport de Sutaine, et à 4, 5 ou 6 en 1870 d’après Maumené , ce qui correspond déjà à la pression du champagne d’aujourd’hui. Deux atmosphères, par contre, c’est peu. Cela suffit pour faire sauter le bouchon, mais la mousse ne persiste pas longtemps dans le verre. On doit à Maizière une jolie évocation du comportement du champagne sortant de sa bouteille où le lyrisme de l’homme de goût rejoint la précision du technicien ; elle se termine par la description de l’ascension accélérée d’une colonne centrale de perles brillantes, qui naissent au fond du verre, et se succèdent rapidement pendant une minute (379), ce qui n’est guère !
Il est aisé, cependant, de prendre conscience de l’augmentation de pression constatée au cours du XIXe siècle en se reportant à la littérature et aux dessins de l’époque. Pour faire mieux mousser, comme le faisaient leurs prédécesseurs du XVIIIe siècle, les buveurs que décrivent les hommes de lettres de l’Empire et de la Restauration, que dessinent Gavarni, Deveria, Grandville, versent de très haut le champagne dans les verres, ce que facilite l’usage de le servir très froid mais ce qui serait impossible avec une forte pression. À la fin du siècle, cette habitude s’est perdue car elle est devenue impraticable en raison de l’abondance habituelle de la mousse.

Il peut arriver cependant, et c’est assez fréquent, que les vins pèchent par une mousse trop faible, la pression restant très au-dessous de ce qu’elle devrait être normalement, atteignant seulement une atmosphère au lieu de deux, ou deux au lieu de quatre à cinq. Ces vins de petite mousse, résultat d’un échec [36], ces vins appelés au XVIIIe siècle les demi-mousseux, on en fait depuis les années 1820 type particulier de champagne, le crémant [37].

Voici ce qu’en dit en 1822 André Jullien : Chassant le bouchon avec moins de force, pétillant moins dans le verre, leur mousse forme une nappe d’écume qui couvre la liqueur et se dissipe au bout de quelques instants ; ils ont, sur les vins grands mousseux, l’avantage de conserver plus de qualités vineuses et d’être moins piquants ; leur prix est ordinairement plus élevé parce qu’ils sont fort recherchés par un certain nombre d’amateurs, et que, ne devant leur qualité qu’à l’un de ces phénomènes bizarres qui se manifestent dans les vins de Champagne, on n’est pas à portée de s’en procurer en aussi grande quantité qu’on eut le désirer [38].

En 1862, Moët & Chandon adresse à ses clients un prix courant qui précise que le vin Crémant d’Ay ne peut être obtenu que dans les meilleurs crûs et dans les années tout-à fait remarquables ; il est offert en blanc et en rosé et vaut 25 % de plus que les autres qualités.

Mais le grand mousseux est celui qui constitue l’essentiel des expéditions, celui qui est consommé universellement, celui qui s’élève en gerbes jusqu’au plafond [39], pour la plus grande joie des caricaturistes à qui il offre matière toutes sortes de situations cocasses. Maumené indique en 1874 que sa mousse est marchande, forte ou très forte, selon que la pression atteint, en atmosphères, respectivement à 4½, 4½ à 5½, 5½ à 6 , la mousse forte étant celle que cherche à obtenir systématiquement Salleron en 1886. Le degré d’alcool du grand-mousseux terminé est de l’ordre de 11,5° à 12,5°.

La tisane de Champagne existe toujours. Par sa pression, elle s’apparente au crémant, mais elle a moins de finesse. Le Dictionnaire de la langue française de Littré la définit comme un vin de Champagne plus doux, plus sucré, moins spiritueux et André Jullien précise que les vins de tisane sont principalement fournis par les crus de la Côte d’Avize [40].

LE TIRAGE ET LA PRISE DE MOUSSE

Sachant ainsi ce que l’on veut ou espère obtenir comme mousse, on se prépare au tirage des vins qui ont été préalablement assemblés. L’époque choisie est, comme au XVIIIe siècle et pour les mêmes raisons, celle du retour des beaux jours, en principe mai et juin. On est toujours lié par le concept de la reprise de la fermentation interrompue, si bien qu’il serait plus exact de dire qu’à l’époque le champagne résulte d’une fermentation unique, mais discontinue, bien plutôt que d’une seconde fermentation. Comme le faisaient les auteurs du siècle précédent, John Macculoch l’exprime en 1821 en écrivant que le retour des températures élevées explique le renouveau de la fermentation qui a lieu au printemps, après qu’elle a été partiellement ou totalement suspendue par le froid de l’hiver [41] . Nous voici au printemps, écrit Salleron, la nature entière revient à la vie, tous les êtres subissent l’action mystérieuse qui doit assurer la perpétuité des espèces par la génération... Les globules de ferment sortent de leur torpeur et attendent le sucre nécessaire à leur nouvelle évolution. C’est le moment opportun pour procéder au tirage. On s’affranchit peu à peu des anciens impératifs du cycle lunaire, mais on reste très attentif à la température, et à bon droit car les ferments ne reprendront vie que si elle leur est propice. C’est ce que François exprime en écrivant : La mise en bouteille ne doit avoir lieu qu’autant qu’une température de douze degrés ait régné depuis quelque temps, aussi on ne doit pas s’attacher précisément à tel mois ou à tel lune, si cette condition n’existe pas.
Pour le docteur Guyot, le sucre restant naturellement dans le vin est le combustible de base de la prise de mousse, et on s’efforce de faire en sorte qu’il se trouve exactement limité à la proportion nécessaire pour qu’on obtienne la bonne mousse . C’est la doctrine des œnologues de l’époque mais elle n’est pas admise par tous puisque l’on peut lire dans le Vigneron champenois d’avril 1883 que dans la vinification la première chose à obtenir est la fermentation entière du sucre, théorie en avance sur son temps. En réalité, on cherche généralement à limiter la fermentation. Dans le Nouveau dictionnaire des dictionnaires, en 1898, Mgr Guérin, reprenant un texte du docteur Guyot, écrit que l’on met le vin à l’abri d’une première fermentation trop complète, afin qu’il garde une notable quantité du sucre du moût. Vizetelly explique très précisément que si c’est nécessaire on ralentit la fermentation en transférant les tonneaux dans un cellier plus froid, car il est essentiel que le vin retienne une large proportion de son sucre naturel pour assurer sa future effervescence.
On prétend, sans preuves, dans les notices des maisons que la faculté qu’ont les vins blancs de garder leur sucre naturel est loin d’être aussi prononcée dans tous les vins que dans les vins de Champagne [42], que différant en cela de la plupart des vins ordinaires, le vin de Champagne ne perd pas tout son sucre dans la première fermentation [43]. En réalité, c’est un problème de conduite de la première fermentation, et du fait que ces documents de la fin du siècle ont pour objet la promotion des marques, que l’on n’y trouve pas mention d’addition de sucre, on peut seulement conclure que l’on s’efforce à l’époque de présenter le champagne comme un produit absolument naturel.
Dans la pratique, on prépare une liqueur de titrage [44] en faisant dissoudre dans du vin de cuvée la quantité de sucre nécessaire, sucre candi de canne, provenant des colonies, en général raffiné à Nantes, et on y ajoute les ferments lorsqu’ils sont en usage. Afin d’éviter la maladie de la graisse, on y joint du tanin à la dose de 15 à 20 gr/hecto . En outre, si l’acidité est insuffisante, on la complète par une addition proportionnée d’acide tartrique ou mieux d’acide citrique, et si le degré alcoolique est trop bas, on le remonte par une addition de fine champagne.
C’est à ce stade qu’est préparé à l’époque le champagne rosé, le vin paillé ou œil-de-perdrix du XVIIIe siècle, que l’on fait mousser de la même façon que le blanc, et cela depuis le début du XIXe puisqu’il figure en tant que vin rosé mousseux sur un bulletin d’expédition de 1775 de la maison Vve Clicquot et sur la carte des Frères Provençaux de 1814 [45] , œil-de-perdrix mousseux sur le prix courant de 1819 de Wichelhausen à Zurich, champagne pink sur celui de 1823 de The London Wine Company.

Pour obtenir la teinte voulue, on ajoute dans la liqueur de titrage une quantité de teinte, dite de Fismes ; c’est le seul procédé cité par Robinet, qui ne l’indique d’ailleurs qu’en passant. Mais on peut aussi, avant tirage, ajouter du vin rouge à la cuvée, méthode que préfère Vizetelly qui estime que l’utilisation de la teinte de Fismes est le fait de producteurs de réputation douteuse.

Il est curieux de constater que le champagne rosé est toujours marginal. On en parle depuis le début du siècle, mais beaucoup de traités œnologiques, tel celui de Maumené, n’y font même pas allusion. Quant aux amateurs, ils s’en détournent parfois, comme Alexander Henderson, qui écrit en 1824 que le champagne rosé est moins demandé et qu’il n’a en réalité rien qui justifie qu’on lui donne la préférence [46], ou Cyrus Redding qui affirme en 1833 qu’aucun connaisseur ne voudrait en boire s’il pouvait obtenir les autres catégories [47]. Le champagne rosé est en réalité un vin au succès intermittent, réapparaissant de temps à autre avec une popularité passagère due à son aspect attractif, mais qui ne séduit jamais les véritables amateurs de champagne.
À côté du champagne rosé, il existe le champagne normal légèrement rose, produit dans les années où la maturité du raisin est excessive. Selon Vizetelly [48], ce champagne slightly pink est devenu à la mode en Angleterre depuis le vin de 1874, mais le fait n’est pas nouveau. Sur un avertissement joint vers 1840 aux expéditions de la maison Moët, on lit que les meilleurs vins blancs de Champagne se faisant avec le raisin noir, une plus grande maturité, dans les années chaudes, leur donne une légère nuance de rose, qui, bien loin de leur nuire, est une preuve d’excellente qualité.

Quant au champagne rouge, il s’en est fait un peu (on peut citer notamment un champagne rouge Giesler 1887) mais on n’en a guère parlé, son succès, si succès il y a eu, n’ayant pu être que très limité.

La liqueur de titrage et le vin de cuvée sont déversés ensemble dans de grands foudres, d’une capacité qui atteint couramment 600 à 750 hl à la fin du siècle. Des palettes mécaniques y brassent le mélange afin d’en assurer l’homogénéité et d’aérer le vin qui doit contenir l’oxygène nécessaire à la vie des ferments. Selon les conseils de François, on remet souvent en tonneaux pour attendre la reprise de la fermentation et procéder alors seulement au tirage. Cette méthode est encore préconisée par Salleron en 1886 lorsqu’il écrit : L’habitude est de ne mettre en bouteilles que lorsque le vin a subi un commencement de fermentation, et on s’en trouve bien.

Les bouteilles utilisées à la fin du XIXe siècle sont indiquées ci-après avec leur contenance : le double magnum, 2,90 l à 3 l, le magnum, 1,45 l à 1,50 l, la champenoise, 0,78 l à 0,84 l, la pinte impériale [49], 0,56 l à 0,60 l, la ½ champenoise 68 , 0,39 l à 0,42 l, la ¼ champenoise, 0,18 l à 0,20 l. La champenoise a un poids d’environ 1 kg. Elle est habituellement remplie à 0,80 l.

Après avoir été triées, et éventuellement testées, les bouteilles sont soigneusement nettoyées.
On les décape avec de la grenaille de plomb, qui a le défaut de rester souvent dans les bouteilles, et des chaînes de fer portant à chaque extrémité une sorte de molette d’éperon, ou avec des perles de verre, ou encore avec des brosses et du sable (au début du XXe siècle, on utilisera de la limaille de fer). On les lave à l’aide de canules ou de machines à laver. Ce sont d’ordinaire les femmes qui font ce travail, les laveuses, et qui le contrôlent, les mireuses.

Les bouchons sont en liège, de Catalogne et d’Andalousie pour les meilleurs. Ils sont d’un seul bloc, ou, à partir de 1858, faits de deux parties, collées dans la longueur ou la largeur par de la gutta-percha ; on en trouve même, vers 1870, qui sont faits de six fragments. Pour les fabriquer, de nombreux Catalans viennent s’installer en Champagne au cours du XIXe siècle.
Certains sont employés dans les maisons de champagne au service des bouchons, d’autres travaillent dans les bouchonneries installées sur place par des Espagnols.
Les bouchons sont examinés un par un avant usage, parfois à l’aide d’une machine à essayer les bouchons, inventée par Salleron, mais le plus souvent à la main, afin de déceler les imperfections qui pourraient occasionner le goût de bouchon, qui tient de la moisissure et d’une amertume particulière. Un bouchon défectueux peut être responsable de la mauvaise obturation d’une bouteille qui deviendra une couleuse, une recouleuse [50], noms que l’on donne à une bouteille mal bouchée ou munie d’un bouchon de mauvaise qualité qui laisse échapper du vin et du gaz [51]
Dans la salle des tirages travaillent jusqu’à 200 personnes, hommes essentiellement, occupées au remplissage des bouteilles, dont sont chargés les emplisseurs, au bouchage et au ficelage. Des enfants font passer les bouteilles des uns aux autres. À partir de 1825, on utilise dans les grandes maisons des tireuses à six, huit ou dix becs, d’origine anglaise.

Pour le boucheur, faire pénétrer un bouchon de liège dans un goulot de bouteille d’un diamètre deux fois plus petit n’est pas une opération facile.

Sutaine, dans le rapport précité, écrit en 1843 : Le temps n’est pas encore bien loin de nous où les tonneliers ne connaissaient, pour déprimer le bouchon et le forcer d’entrer dans la bouteille, d’autre moyen que de le serrer entre leurs dents, moyen nuisible à la santé de quelques-uns, et, dans tous les cas, fort peu énergique et peu convenable.

L’ouvrier avait alors comme seul outil d’enfoncement un maillet appelé batte, dont il donnait trois coups sur chaque bouchon, à la cadence de 1700 bouteilles par jour [52]. En 1827, apparaît en Champagne une machine à boucher fabriquée en Bourgogne restée imparfaite malgré des améliorations successives et remplacées par les machines à maillet Leroy (vers 1840) et Maurice (1848) qui donnent enfin satisfaction. Dans les années 1860, M. Charbonnier, d’Épernay, fabrique pour le bouchage une machine à mouton glissant entre deux rainures verticales, dont l’idée lui aurait été donnée, si on en croit le Vigneron champenois du 29 mars 1899, par un de ses apprentis qui avait vu tomber le couperet de la guillotine, alors que celle-ci était dressée le 23 juin 1862 pour une exécution capitale sur la place Louis-Philippe, aujourd’hui place de la République, à Épernay. Il est de fait que cette machine à boucher est connue sous le nom de guillotine. Elle est améliorée par Delorme qui combine le maillet et le mouton.
Parallèlement aux recherches en matière de machines à boucher, dont le rendement s’élève ainsi à 5000 bouteilles par jour, on met au point des machines à ramollir les bouchons à sec, puis on adopte la méthode du trempage des bouchons dans l’eau chaude. Si bien qu’à la fin du siècle, l’opération du bouchage s’effectue d’une manière satisfaisante et que, par voie de conséquence, la proportion des recouleuses diminue.

Le ficelage suit le bouchage. Afin de prévenir toute sortie intempestive du bouchon, on le fixe à la bague de la bouteille par deux ficelles huilées posées en croix par le ficeleur qui doit dérouler la pelote de ficelle, faire un noeud tirer sur les deux bouts de la ficelle et couper, tout cela deux fois pour chaque bouteille puisqu’il y a deux ficelles, avec une cadence de 1 000 à 1 200 bouteilles par jour ! [53] Le travail se fait à la main, avec l’aide à partir de 1844 du ficeleur sparnacien, dispositif inventé par Maurice, puis, à partir des années 1870, à la machine avec le ficeloir mécanique de Nicaise. Au ficeleur succède souvent le metteur de fil qui pose un fil de fer également en croix. Dans certaines maisons, on procède au calottage du bouchon avant la pose de la 2e ficelle en le coiffant par une calotte en fer-blanc portant deux rainures en croix pour recevoir le passage de la 2e ficelle et du fil de fer. Pour faciliter ces opérations, le bouchon n’a pas été tout à fait enfoncé dans la bouteille et se trouve en saillie. Un renflement se forme sous la pression de ses liens et on dit qu’il fait champignon, en prenant l’aspect caractéristique du bouchon de champagne.
Vers 1850, on commence à utiliser une sorte de muselière en fil de fer appelée agrafe de tirage, posée par une machine à agrafer. C’est l’origine du muselet utilisé aujourd’hui pour le bouchon d’expédition. Un peu plus tard on se sert aussi d’une bride, prenant parfois appui sur la cannelure d’une plaque de fer-blanc appliquée sur la tête du bouchon et se fixant sous la bague de la bouteille. À la fin du siècle, la bride supplante l’agrafe, dont elle prend le nom. Elle remplace petit à petit ficelles et fil de fer.

Après avoir été bouchées et ficelées, les bouteilles sont placées verticalement dans des paniers en osier à plusieurs compartiments, six le plus souvent, ce sont les six-cases, mais parfois bien davantage. Leur lieu de destination normal est la cave, et non point le cellier, car en raison de la fraîcheur du sous-sol, la fermentation se déroulera lentement et régulièrement, ce qui limitera la casse. Certains, cependant, préfèrent mettre d’abord les bouteilles en cellier, jusqu’à ce que la prise de mousse soit bien amorcée. Les caves comportent des essors, ouvertures de 1 à 2 mètres carrés, placées en alignement vertical pour la circulation des tonneaux et paniers entre les étages, ceux-ci étant en général au nombre de trois. Les essors servent également à l’aération.
Les caves sont éclairées à la chandelle, au moyen de lampes de cave en fer forgé, comportant un trépied sur lequel glisse un bougeoir que l’on peut ainsi placer à hauteur convenable [54]. On pratique aussi dans la deuxième moitié du siècle un éclairage par large réflecteurs disposés au fond de puits verticaux de 15 à 20 mètres de profondeur. À l’apparition de l’électricité, les caves sont équipées de deux fils parallèles sur lesquels on pose à cheval sur les deux bouts une légère traverse de bois munie à ses deux extrémités d’une bande de cuivre destinées à recevoir le courant. Au milieu de cette pièce de bois est fixé un fil souple, au bout duquel se trouve une lampe qui s’éclaire instantanément. La mobilité de l’éclairage est ainsi obtenue.
Les paniers sont descendus à la main ou le plus souvent accrochés à des chaînes sans fin appelées parfois descendeurs. Dans les caves où l’on peut entrer de plain-pied on utilise des paniers de 36 et 48 bouteilles portés sur des chariots.

On procède ensuite à l’entreillage des bouteilles en les rangeant sur lattes. Autrement dit, on les dispose horizontalement en murailles régulières de 12 à 15 rangées superposées, par lits séparés par des lattes de bois, sur double rang, tête bêche, tous les fonds d’un rang en dehors et tous les goulots en dedans . De cette manière, s’il y a casse de la bouteille, qui se décule, les morceaux de verre et le vin sont chassés à l’extérieur du tas. On profite de l’entreillage pour marquer chaque bouteille d’un trait de peinture blanche qui servira de repère dans les manipulations.
La prise de mousse commence trois ou quatre jours après le tirage. Guyot note assez curieusement, en 1860, que le signal de la formation de la mousse est donné par la détonation et la fracture de plusieurs bouteilles dans les tas , et Moreau-Bérillon écrira encore au XXe siècle que la première bouteille qui casse réjouit tout le monde, car elle indique la réussite du tirage et une prise de mousse normale [55]. Mais on peut aussi suivre plus scientifiquement les progrès de la montée de la pression en consultant l’aphromètre.
Le moment de la fin du séjour en cave est étroitement lié à celui choisi pour les expéditions, étant entendu que le champagne n’atteint sa pleine qualité qu’au bout d’un temps suffisant de présence sur lattes. Ce délai, qui varie d’ailleurs selon les vins, est généralement de deux à trois ans selon les opinions de l’époque [56] , ce qui est confirmé par le fait que le champagne que l’on trouve alors sur le marché a le plus souvent trois ans d’âge. Vizetelly écrit

que le 1874 a été expédié en 1877, soit après 3 ans, comme c’est le cas de la plupart des champagnes. Lorsque l’on estime qu’il va être bientôt temps d’expédier tout ou partie de la cuvée, on procède au désentreillage. On défait les tas et on se prépare à les débarrasser de leur dépôt.

LE DÉPÔT ET SON ÉLIMINATION

Après la casse, et depuis les débuts du champagne effervescent, le souci principal des négociants est l’élimination du dépôt provenant des levures qui s’engourdissent en cours de fermentation et forment une lie composée de globules de ferment agglomérés par les matières organiques végétales.

Au tout début du XIXe siècle comme auparavant, et avec les difficultés que l’on sait, on transvase le vin d’une bouteille dans une autre, le dépôt restant dans la première [57]. En 1821, Macculoch indique que cette méthode est encore en usage pour le champagne de la meilleure qualité [58]. L’opération est coûteuse. André Jullien écrit : On n’obtient le vin bien clair qu’en en laissant une certaine quantité avec le dépôt. Ce résidu, qu’on nomme bas-vin, n’est pas entièrement perdu mais sa valeur diminue de moitié ; souvent même il n’est employé que dans le vin que l’on donne aux ouvriers.

Très vite on cherche donc à s’affranchir du transvasement et on a l’idée d’éjecter directement le dépôt après l’avoir fait descendre par gravité vers la sortie, ce qui suppose que la bouteille soit conservée le goulot en bas tant que l’opération n’est pas terminée. Pour ce faire, on la fiche dans cette position dans le trou d’un ratelier fixé au mur, si bien que le stade qui suit le désentreillage s’appelle la mise sur pointe. Il correspond au processus du glissement du dépôt vers le bouchon, et il est suivi du dégorgement qui consiste à expulser le dépôt [59]. André Jullien décrit comme suit en 1813 l’ensemble des opérations :
On tient la bouteille par le col, d’abord dans une position horizontale ; on la fait osciller sur elle-même jusqu’à ce que le dépôt soit détaché et rassemblé en une seule masse, au milieu de la cavité inférieure ; on continue le même mouvement en inclinant la bouteille pour rapprocher le dépôt du col ; ensuite on place cette bouteille dans l’un des trous d’une planche percée, de manière qu’elle conserve l’inclinaison qu’on lui a donnée en la faisant osciller. On prend une seconde bouteille qu’on traite de la même manière ; chaque ouvrier continue ordinairement cette opération sur cent bouteilles. Lorsque la planche est couverte, on reprend la première bouteille, on la fait osciller de nouveau en l’inclinant davantage, et on la remet sur la planche toujours dans la même inclinaison. Après avoir fait osciller de même les autres bouteilles, on les reprend une troisième, fois pour les agiter encore ; mais à cette dernière manipulation le dépôt doit être descendu dans le col de la bouteille, qu’on place tout-à-fait renversée sur la planche. On laisse reposer ainsi le vin pendant quelques jours, jusqu’à ce que le dépôt soit bien réuni et, fixé sur le bouchon ; alors on débouche la bouteille sans la retourner, et le vin qui s’élance aussitôt au-dehors chasse devant lui le dépôt. On ne laisse sortir ainsi que le moins possible de liqueur ; on retourne la bouteille et on la bouche [60] .
Le dépôt repose en général sur le flanc de la bouteille en une pellicule plus ou moins épaisse, plus ou moins adhérente. Au cours de la prise de mousse, on a pris soin de changer les tas de place en agitant violemment chaque bouteille pour en détacher le dépôt ; c’est ce que Robinet appelle retenir les vins et que l’on désigne plus communément sous l’expression changement de tas. Pour ce faire, on la prend par le goulot et on la secoue en lui faisant faire un mouvement de balancier. Cette opération, appelée le coup de poignet, a pour but de mûrir le dépôt, de le rendre moins adhérent, elle remet les molécules du vin en contact avec toutes les molécules du gaz. On profite du changement de tas pour nettoyer les emplacements souillés par les bouteilles brisées et les couleuses.

Pour les dépôts rebelles, Jullien invente des brosses mécaniques pour détacher le dépôt qui se fixe dans les bouteilles de vin de champagne mousseux, afin de pouvoir les dégorger ensuite. Mais avant cette dernière opération, il colle le vin dans la bouteille, à l’aide d’une poudre n° 3 et d’une pompe aérifère pour coller les vins mousseux en bouteilles [61]. Il arrive fréquemment que le dépôt adhère fortement au flanc de la bouteille, formant ce que l’on appelle un masque s’il s’est déposé en une couche unie, ou une griffe s’il présente des palmures, des replis divergeant de l’un des points du goulot. Lors des changements de tas, pour éviter la formation des masques, le dépôt doit se reformer toujours à la même place sur le verre [62] ; les bouteilles sont donc remises dans la même position dans le nouveau tas, l’ouvrier se guidant sur la marque blanche apposée à l’entreillage. Pour démasquer, on frappe la bouteille à coups de marteau, c’est ce que l’on appelle l’électrisage, ou bien on pratique le tapotage, qui consiste à frapper vigoureusement la bouteille sur une barre de bois, le bord d’un pupitre ou celui d’une table. On emploie aussi des machines à démasquer, et des machines à électriser dont un brevet est déposé en 1867.
La méthode qui consiste chaque fois que l’on veut faire avancer le dépôt à enlever la bouteille du râtelier, à la remuer avec le poignet et à la remettre sur pointe, est trop lente. Elle ne correspond pas au souhait des négociants ; ils ont besoin pour leur commerce d’un procédé plus expéditif que l’on trouve en 1818. Cette année-là, écrit Vizetelly, un homme nommé Antoine de Müller, au service de Madame Clicquot, pensa que la bouteille devrait rester sur la tablette pendant le remuage, et, de plus, que les trous devraient être percés obliquement afin que les bouteilles puissent être inclinées à des angles variés. La tradition veut que Mme Clicquot se soit elle-même penchée sur le problème, allant jusqu’à faire découper, pour des essais, une table de son mobilier ; selon Victor Fiévet, elle aurait même été nuitamment dans ses caves s’attaquer au dépôt pour vérifier les résultats de ce nouveau procédé . [63]
Un trou oblique, s’il est assez large, offre en effet davantage de possibilités que le trou cylindrique des planches auxquelles on a vu Jullien faire allusion ; mais il semble que certains aient gardé pendant longtemps l’habitude d’y ficher les bouteilles à une inclinaison fixe de 25 à 30° [64]. Par le docteur Guyot, on sait cependant qu’en 1860 les trous sont faits de telle sorte que les bouteilles peuvent y être placées très obliques, puis plus verticales, puis tout-à-fait verticales . C’est ainsi que l’on procède aujourd’hui, et c’est bien la meilleure manière d’obtenir, un glissement progressif et complet du dépôt sans avoir à craindre de le voir se disperser à nouveau chaque fois que l’on remue la bouteille.

En 1860 encore, et toujours d’après le docteur Guyot, les planches sont en chêne, disposées en tablettes le long des murs des caves ou soutenues par quatre pieds. Cavoleau avait déjà décrit en 1827 l’appareil de mise sur pointe sous forme de grandes et fortes planches percées de trois rangs de trous, où on place 3 ou 4 000 bouteilles à la fois, ajoutant que les ouvriers sont assis sur une escabelle [65] qu’ils se promènent successivement sur tous les points de l’appareil . Pour remuer les bouteilles, l’ouvrier prend appui du coude sur le genou. Néanmoins, lorsque les étagères murales sont superposées, il ne peut atteindre les bouteilles de l’étage supérieur qu’en étant debout et peu à main.

Dans les années 1830, la fréquence du travail est assez faible, tous les deux ou trois jours, la bouteille restant sur pointe pendant dix à quinze jours. En 1889, par contre, le Syndicat du commerce, dans sa brochure officielle, indique que les bouteilles sont remuées légèrement en leur imprimant un déplacement circulaire par un mouvement sec et précipité et précise qu’il en est ainsi chaque jour pendant six semaines ou deux mois, le redressement de la bouteille expliqué ci-dessus par Jullien étant effectué simultanément. C’est ce qui se pratique aujourd’hui.
À la fin du siècle, l’ouvrier qui exécute ce travail est connu sous le nom de remueur. Il traite jusqu’à 20 à 25 000 bouteilles par jour. Il est vrai que dans certaines caves l’opération est grandement facilitée depuis le début des années 1840 par l’invention du pupitre qui, pour le remuage des bouteilles, remplace peu à peu les planches horizontales qui resteront cependant utilisées pendant longtemps.
A la maison Vve Clicquot-Ponsardin, écrit Bertall en 1878, on ne met pas les bouteilles sur des pupitres, comme dans la plupart des établissements de Reims, mais bien sur des tables horizontales pour ne pas négliger les bouteilles placées en contre-bas [66]
M. Werlé craint, en effet, que le remuage des bouteilles ne soit pas aussi régulièrement fait sur pupitre que sur table, mais avec des ouvriers expérimentés et consciencieux, le résultat est

en réalité meilleur. Le pupitre est constitué par deux planches en bois, de forte épaisseur, assemblées par des charnières et formant un angle aigu lorsque les extrémités opposées reposent à terre. Chacune des deux planches comporte dans le sens de la largeur dix rangées de six trous. On peut donc mettre sur un pupitre 120 bouteilles et, s’il est volumineux, il tient cependant moins de place que les planches horizontales. De plus, il peut être plié lorsqu’il n’est pas en service. Le remueur travaille debout et a ainsi accès à toutes les rangées.
Après que tout le dépôt a été rassemblé sur le bouchon, les bouteilles sont retirées du pupitre . Elles sont mises en masse [67], c’est-à-dire entreposées en gardant leur position de fin de remuage, en tas de plusieurs rangées superposées, trois à cinq généralement, le goulot d’une bouteille reposant sur la concavité du fond de la bouteille inférieure. Elles y restent jusqu’à la phase d’élimination du dépôt, quelques semaines ou quelques mois, exceptionnellement une année ou plus, tandis que le vin achève lentement sa maturation chimique. [68]
On a vu, avec les explications de Jullien, comment le dégorgement est pratiqué à ses débuts. Pour faciliter l’opération on utilise un crochet au moyen duquel on casse facilement le fil de fer et la ficelle ; le bouchon, qui ne tient jamais beaucoup, s’enlève de même avec ce crochet.
Le dégorgeur peut aussi se servir d’une pince pour aider le bouchon à sortir ou, tout au moins, en contrôler la course. Malgré l’augmentation de la pression interne, l’extraction peut être difficile et, dans ce cas, on utilise la machine à retirer les bouchons, sorte de puissant tire-bouchon à manivelle, encore appelée machine à déboucher.
Voici comment, en 1874, Maumené décrit le dégorgement [69] : l’ouvrier prend la bouteille, toujours sur pointe, et la renversant sur son avant-bras, il en détache le fil de fer, et les ficelles, au moyen d’un crochet ; le bouchon commence à glisser, il le maintient avec l’index de la main gauche, et s’en rend maître, au moyen de la pince à dégorger, ou patte de homard, qu’il tient de la main droite. Il fait sortir le bouchon en le tirant vivement et il le dirige vers le petit tonneau incliné où s’élancent en mousse les 4 ou 5 centilitres de vin qui entraînent le dépôt. L’ouvrier passe le doigt au milieu même de la mousse pour chasser les impuretés qui auraient pu rester, en stimulant le mouvement du vin par quelques légers coups de crochet, et tournant, sans cesse, la bouteille entre ses mains. Maumené signale qu’il arrive, trop souvent, de voir des bouteilles faire explosion dans les mains du dégorgeur, et lui causer des blessures graves [70]. Pour parer à ce danger, on lui fait porter des manches en cuir et parfois un masque. Il faut ajouter enfin que lorsque le dépôt vient de s’échapper avec le bouchon, l’ouvrier, vivement, relève la bouteille afin d’empêcher une trop grande déperdition du liquide précieux [71], le vin éjecté, appelé vin de dégorgement, rentrant dans la catégorie des bas-vins.
Malgré l’habileté du dégorgeur, le niveau du champagne a baissé dans la bouteille qu’il faut recompléter avec du champagne de même cuvée provenant d’une autre bouteille. L’opération s’appelle le remplissage. Elle est difficile et occasionne un déchet considérable quand le vin est grand mousseux car la mousse qui se forme, à l’instant où on débouche la bouteille, en remplit le vide, et rejette en dehors la


majeure partie du vin qu’on verse
. C’est à ce stade que l’on remplit les recouleuses pour lesquelles, bien entendu, la quantité de vin à ajouter est beaucoup plus importante.
On cherche à faciliter l’opération. Jullien invente un entonnoir aérifère double, pour remplir les vins de Champagne grand mousseux, lorsqu’on les a dégagés de leur dépôt par l’opération nommée dégorgement, afin que le remplisseur et la bouteille à remplir fassent échange de leur contenu sans communication avec l’air extérieur . Maumené met au point un garde-mousse ou aphrotèque pour vider sous pression la bouteille après dégorgement, la remplir de gaz carbonique pur et tirer à nouveau sur la liqueur préalablement introduite dans la bouteille. Mais pas plus que les machines à remplir utilisées à partir des années 1840 aucun de ces procédés n’apporte la solution à un problème qui ne sera résolu d’une manière satisfaisante qu’au XXe siècle.
En 1884, survient cependant une importante amélioration avec le brevet pris par Armand Walfard pour le dégorgement à la glace. Néanmoins le dégorgement sans usage du bac à glace restera la règle jusqu’à aujourd’hui pour les exploitations ne pouvant faire les frais de cet important matériel [72] et, par opposition au dégorgement à la glace, on l’appelle dégorgement à la volée.

Le dégorgeur profite de l’ouverture de la bouteille pour vérifier l’état du vin en le flairant. En outre, en essuyant le col intérieur avec le doigt pour éliminer toute trace de dépôt, il s’assure qu’il n’y a pas de saillie qui, en occasionnant un bourrelet dans le liège, fournirait une issue au gaz et produirait une recouleuse (59). Chaque bouteille suspecte est éliminée et l’ouvrier, pour l’avoir signalée, reçoit une prime qui, en 1913, sera de 50 centimes [73].
Les techniques étant encore imparfaites, il arrive que la fermentation reprenne après transvasement ou dégorgement, surtout au début du siècle où le phénomène est fréquent, et considéré presque comme normal. Une fois dans la cave du client, quelque limpide que paraisse le vin, écrit André Jullien en 1813, il est toujours chargé de particules imperceptibles qui tendent à se précipiter. Et il conseille de ne plus déranger les bouteilles une fois qu’elles sont entreposées car chacune de celles que l’on déplace, ne fût-ce que pour la regarder, est sujette à former, quelque temps après, un dépôt plus volumineux que les bouteilles qu’on n’a pas dérangées, surtout aux trois époques de la pousse de la vigne, de sa floraison et de la maturité du raisin . C’est dire les efforts des producteurs pour que le champagne soit au moins parfaitement limpide à la livraison.
Si l’expédition tarde, écrit Cavoleau en 1827, il ne sortira point de la cave du marchand sans avoir été une deuxième, fois, souvent même une troisième, soumis au dégorgement et rebouché à neuf, eût-il été travaillé dans les quinze jours précédents. Il s’y reforme toujours un petit dépôt. Il n’est point nécessaire de faire remarquer combien ces manipulations sont coûteuses. Et si on en croit Kirwan, on peut même procéder, et encore en 1864, au filtrage des vins changés de bouteille. Il écrit en effet, dans Host and guest, à propos du champagne qui redépose : C’est l’habitude, dans les grandes caves de Champagne, de filtrer le vin dans des nouvelles bouteilles.

LE DOSAGE

Après le dégorgement, le premier de la série s’il y en a plusieurs, on procède à l’opération du vin [74], plus communément appelée dosage, qui consiste à adoucir le vin avec une dose de sucre tenant compte de ses caractéristiques gustatives, variable en fonction du type de vin que l’on se propose de mettre sur le marché et du goût du client. La nécessité du dosage vient de ce que le champagne a été privé de son sucre par la seconde fermentation. Si celle-ci est bien faite, toute saveur sucrée a disparu par suite de la transformation complète du sucre ; selon le goût de la clientèle à laquelle les expéditions sont destinées, il faut lui rendre, plus ou moins, cette saveur sucrée. C’est vraisemblablement à partir des années 1830 que l’on commence à doser systématiquement [75].
Très vite les consommateurs veulent du champagne largement édulcoré, et cela de plus en plus au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle et que se développe l’habitude de le boire en fin de repas et frappé. Maizière écrit en 1846 qu’il s’agit de rendre le champagne de plus en plus digne de primer, au dessert, tous les vins du monde, en le rendant plus parfait . On verra que certains font exception, mais la doctrine officielle, aux approches de 1900, est qu’il faut doser fortement : on lit dans une brochure d’information du Syndicat du Commerce des Vins de Champagne (qui deviendra Syndicat de Grandes Marques, puis, en 1994, Union des Maisons de Champagne) que par suite de la fermentation dans la bouteille, le vin a presque complètement perdu son sucre et est devenu à peu près imbuvable. [76]
Il semble bien qu’en France il faille attendre 1890 pour trouver les premiers amateurs de vins peu dosés. En pays anglo-saxons, par contre, dès les années 1850 il se crée une demande pour le champagne sec. Plusieurs négociants de Reims, Ay et Épernay vendent des English cuvées beaucoup moins édulcorées [77], et en 1855 apparaissent sur les étiquettes de Moët & Chandon les mentions sec et dry pour le marché américain, puis en 1861 pour le marché anglais. L’Amérique du Nord apprécie les vins secs, mais en réalité c’est en Grande-Bretagne que beaucoup ont le goût du champagne sec, car davantage qu’en France et aux Etats-Unis le champagne s’y boit tout au long du repas.
Voici l’avis que donne à ce sujet Thomas Walker en 1835 : Le champagne devrait être donné au tout début du dîner, il devrait être placé sur la table de manière à ce que chacun puisse se servir à sa guise [78]. Charles Monselet, décrivant dans La Cuisinière poétique le repas à bord d’un transatlantique, écrit : La consommation porte en général sur le champagne, que beaucoup d’Anglais prennent comme ordinaire, et en 1855 on lit dans l’Exposition de Troyes illustrée citée par Plonquet [79], qu’un grand nombre d’Anglais ne font pas usage d’une autre boisson que le champagne depuis le commencement jusqu’à la fin de leur repas. William Younger le confirmera en écrivant, en se référant à la même année 1855, qu’ainsi s’établit une habitude qui prévaudra à la fin de l’ère victorienne [80].
Dès 1848, cependant, un marchand de vins londonien, M. Burne, avait demandé à Perrier-Jouët de lui envoyer sa cuvée 1846 sans aucun dosage, afin de le vendre comme grand vin de table, plus facilement que le champagne vendu habituellement dans la catégorie des vins de dessert, dans laquelle il se heurtait à la concurrence du porto et du madère. Le résultat avait été un échec, dû en partie au fait de l’absence totale d’addition de sucre, alors que l’opération aurait pu réussir si le champagne avait été légèrement dosé. Et même après 1855, et durant tout le XIXe siècle, de nombreux buveurs de champagne britanniques, comme aujourd’hui les buveurs de sherry, aiment avoir des bouteilles qui, bien qu’elles soient étiquetées dry, soient en réalité légèrement sweet  [81].
Quoi qu’il en soit, le champagne sec est devenu en Grande-Bretagne, à Londres principalement, une chose courante et même, dans certains milieux, un snobisme [82]. Voici la conversation imaginée, au cours d’un dîner au Champagne, par John Leech, dans le Punch du 12 avril 1862. Un oncle ayant donné un verre de champagne à son jeune neveu lui dit : « George, mon garçon, voici un verre de champagne pour toi », et son neveu lui répond : « H’m ! Terriblement doux. Bon pour les dames. Je suis arrivé à un stade de ma vie où je confesse aimer mon vin sec. » Nombreux sont par contre, et pendant longtemps, les amateurs qui continuent à préférer le champagne fortement dosé et qui disent de quelqu’un dont ils n’apprécient ni le goût ni les manières : « En voilà un qui prétend aimer le champagne sec  ! » Même s’il est relativement lent [83], le mouvement est réversible et la plupart des grandes maisons expédient en Grande-Bretagne, et dans une moindre mesure aux Etats-Unis, du champagne sec à partir de 1860. C’est notamment le cas d’Ayala, avec sa cuvée de 1865 qui, dans les années 1870, aurait converti au champagne sec le prince de Galles, futur Edouard VII [84], de Bollinger, également avec le 1865, de Pommery, qui connaît un grand succès avec son millésime 1874 [85] mis sur le marché en 1879, de Vve Clicquot, qui vend un dry 1857 et peu après 1870 introduit un vin parfaitement sec.
La quantité de sucre ajoutée aux champagnes destinés à l’Angleterre diminue progressivement, pour certains d’entre eux tout au moins, et à partir de 1865 on y expédie des extra-sec, des very-dry et des extra-dry qui, sans les remplacer, viennent s’ajouter aux sec et dry. Sur la liste des principales marques insérée par Vizetelly dans Facts about champagne, on trouve en 1879 dix-neuf maisons proposant un ou plusieurs de ces champagnes, et pour onze autres il est possible, sans que ce soit spécifié, qu’il en soit de même pour les qualités indiquées. Bien que le marché anglais ait considérablement progressé à la faveur de l’introduction des champagnes secs, certains producteurs restent cependant très réticents à l’égard des vins peu dosés. Louis Roederer junior aurait dit qu’aussi longtemps qu’il vivrait il ne s’inclinerait pas devant ces faux dieux [86]
Dans les années 1870, le culte du champagne sucré, lentement mais sûrement, touche à sa fin sur le marché britannique, où l’escalade des vins secs continue avec un nouveau type, le brut, dont les étiquettes apparaissent peu après 1876, en particulier avec les vins de l’année 1874. Dans la terminologie de la technique champenoise, on appelle brut, à l’époque, le vin qui vient d’être dégorgé et est resté dans son état naturel. On ne peut le boire ainsi que lorsqu’il provient d’années marquantes comme qualité et vinosité, ou encore lorsqu’il est consommé très vieux mais c’est l’exception. On lira encore en 1929, dans la 5e édition du Manuel du travail des vins mousseux de Weinmann : Après dégorgement, le vin mousseux est brut, il n’est généralement pas agréable à boire en cet état. Même dans les vins dits bruts on ajoute un peu de liqueur.
Répondant à la demande des acheteurs britanniques, quelques négociants leur fournissent du vin étiqueté brut mais dosé jusqu’à 10 à 30 grammes de sucre par bouteille . En 1879, sur la liste précitée de Facts about champagne, on trouve quatre champagnes bruts, Moët & Chandon, Pfungst, Pommery et Greno et De Saint-Marceaux, auxquels trois ans plus tard viennent s’ajouter G.H. Mumm et Roper Frères sur une liste analogue publiée, encore par Vizetelly, dans A History of Champagne.

En France, cependant, il faudra attendre jusque vers 1910 pour que le champagne fortement dosé commence à céder le pas au champagne sec. Cela ressort des archives des négociants. Mais Cyril Ray (521) en donne une confirmation intéressante en comparant deux éditions du Gourmet’s Guide to Europe. Dans celle de 1903, l’auteur raconte qu’ayant demandé en Champagne du vin brut à un négociant, dans une partie de chasse, il s’était vu répondre : « Ah ! vous buvez de ce poison-là ! » Dans celle de 1911, l’anecdote a disparu. Si bien qu’il n’est pas exagéré de dire, avec Patrick Forbes, que le champagne sec est une invention britannique.

On trouve donc à la fin du XIXe siècle deux catégories de champagne, celle des vins secs, connus comme tels en raison des qualificatifs qui leurs sont attribués, et celle des vins largement édulcorés sans dénomination particulière, sauf en pays anglo-saxons où ils sont vendus comme medium-dry ou, pour les plus sucrés comme full ou rich. On sait déjà que les Britanniques sont amateurs de vins réellement secs. Les Américains boivent nettement moins sec. En Allemagne, Belgique, Autriche, France, le champagne doux est préféré [87] . Il le restera longtemps, même pour les repas. En 1885, lorsque le Bel-Ami de Guy de Maupassant dîne au Café Riche avec Mme de Marelle, celle-ci réclame : « Du champagne frappé, du meilleur, du champagne doux par exemple ! » Vizetelly précise cependant que les Français consomment des vins modérément doux, tandis que pour les Allemands il faut doser quatre fois plus que pour les Anglais. Quant aux Russes, il leur faut un vin sucré comme le grog d’une jeune femme et il est même un moment à la mode en France,

sinon de bon ton, de faire Romanoff en versant le champagne dans des verres contenant une quantité importante d’une liqueur colorée, très sucrée.
Il s’ensuit que la quantité de sucre ajoutée dans une bouteille varie considérablement selon sa destination. On l’exprime par un pourcentage qui correspond au nombre de centilitres de dissolution sucrée introduite dans la bouteille. Ainsi pour doser à 10 %, on en met 10 centilitres. On verra ultérieurement comment se prépare cette dissolution, dont il existe plusieurs types, avec des proportions variables de sucre. Mais on peut admettre ici, avec Maumené, qu’elle se compose de 150 kilos de sucre et 10 litres d’eau-de-vie pour 125 litres de vin, ce qui correspond à peu près à 11 grammes de sucre par centilitre de liqueur . En 1882, donc du temps de Maumené, selon Vizetelly les dosages sont les suivants : 2 à 6 % pour les Britanniques soit de 22 à 66 gr de sucre par bouteille, c’est le goût anglais ; 10 à 15 % pour les Américains, soit 110 à 165 gr, c’est le goût américain ; 15 à 18 % pour les Allemands et les Français, soit 165 à 200 gr, c’est le goût français ; jusqu’à 25 à 30 % pour les Russes, soit 275 à 330 gr, autrement dit un véritable sirop, la solution constituant le tiers du volume de la bouteille !
On a de la difficulté à s’expliquer aujourd’hui le goût des Russes pour un champagne qui n’en est plus un, et on comprend le conseil de la notice de la maison Pommery qui écrit en 1891 qu’il doit être glacé à outrance. Dans les autres pays d’ailleurs, y compris en Grande-Bretagne, pour une bonne partie des consommateurs [88] le champagne est terriblement sucré si on le considère selon les critères actuels.
Si le dosage est essentiellement fonction du goût du consommateur, il varie aussi, mais dans une faible mesure, selon l’âge et la nature des vins à doser. Il faut noter aussi qu’un même pourcentage peut, pour deux raisons différentes, ne pas avoir la même valeur car chaque producteur choisit comme il l’entend le titre de solution sucrée. En raison d’une tendance générale vers un champagne moins doux, en 1913 on ne dosera plus, en moyenne, qu’à 0,5 % pour les Anglais, 8% pour les Français, 10 % pour les Allemands et 20 % pour les Russes, le dosage pour les Américains diminuant d’autant et même davantage, car on lit dans la Notice sur le vin de Champagne de Pommery qu’aux Etats-Unis, dès 1891, on commence à demander des vins presque aussi secs qu’en Angleterre. Pour le champagne, pris dans son ensemble, 60 % des bouteilles sont dosées à 5 % et au-dessus contre 80 % en 1882 .
Pour doser, on introduit dans la bouteille la liqueur d’expédition. C’est ainsi qu’est appelée depuis le milieu du siècle la solution utilisée pour le dosage, avec une proportion de sucre qui varie selon les producteurs.
Voici ce qu’en dit Maumené dans son Traité théorique et pratique du travail des vins : La liqueur est théoriquement une dissolution de sucre pur dans du vin ; mais pratiquement, c’est un liquide beaucoup plus complexe, et que chacun fait varier, suivant les goûts du public et suivant son aptitude à bien servir ces goûts. Il énumère ensuite les ingrédients que l’on peut trouver normalement dans une liqueur destinée aux vins du marché anglais : sucre, eau, champagne de la cuvée, vin de Porto, esprit-de-cognac, eau-de-vie ordinaire de cognac, eau-de-vie brune de cognac, teinte de Fismes, kirsch, alcool framboisé, solutions saturées d’alun, d’acide tartrique et de tannin.
La liqueur proprement dite, constituée par le sucre, l’eau, et le vin de Champagne, est réduite à chaud et on ajoute ensuite les ingrédients. Cela relève vraiment de la cuisine, et d’aucuns s’en plaignent. Le docteur Guyot écrit : Le mauvais vin n’y gagne rien et le bon vin y perd toujours et, tout au moins, son cachet original et sa saveur . Et le Vigneron champenois, dans son numéro du 16 septembre 1885, croit bon de protester contre la calomnie selon laquelle la liqueur d’expédition contiendrait du kirsch, du porto, etc., attestant qu’il s’agit là d’une pratique exceptionnelle et frauduleuse, alors que l’on vient de voir le docteur Maumené la considérer comme normale, et qu’en 1894 encore M. d’Avenel, dans le numéro d’octobre de la Revue des Deux-Mondes, fait état de l’utilisation dans la liqueur des mêmes ingrédients, auxquels il ajoute la teinture de vanille.
On se sert aussi de la liqueur pour, s’il y a lieu, foncer la couleur du champagne. Robinet écrit dans la 5e édition du Manuel général des vins que le client aime ou est habitué à avoir un vin d’une couleur déterminée ; mais comme les années diffèrent toutes, s’il a l’habitude d’avoir un vin légèrement teinté, le fabricant... donnera à sa liqueur une teinte plus ou moins foncée qui la communiquera au vin et donnera satisfaction. Il ajoute que pour colorer la liqueur, on se sert en Champagne de la teinte dite de Fismes.
L’eau-de-vie utilisée dans la liqueur d’expédition est généralement de l’esprit de cognac à 82°, écrit Robinet, qui ajoute que si le vin doit faire des voyages maritimes, on force le dosage en alcool, car celui-ci augmentant le pouvoir dissolvant du vin, le gaz a moins tendance à se dilater, il évite la casse. On attache beaucoup d’importance au choix du sucre. Maumené, dans l’ouvrage précité, signale l’odeur spéciale et désagréable des mélasses de betterave, due à l’époque à un traitement imparfait, et recommande le sucre candi provenant de la canne comme le seul qui puisse être mêlé au vin dans des proportions considérables sans en diminuer le parfum et le bon goût. Pour le vin, on prend en principe la meilleure qualité. Comme le note Robinet, en opérant une bouteille de vin, on a pour but de l’améliorer, il faut donc en choisir le vin avec soin. Et on peut lire dans le Vigneron champenois de septembre 1885 que l’on choisit des vins vieux n’ayant plus aucune tendance à la fermentation.
Le chef de cave arrête la quantité de liqueur à ajouter. La place nécessaire dans la bouteille a en principe été prévue lors du remplissage. Si néanmoins elle est insuffisante, la bouteille est déchargée de son trop-de-vin par le doseur, mais la décharge est une opération lente, pendant laquelle le vin se trouve exposé à l’air et perd de son gaz carbonique, ce qui casse la mousse et diminue la finesse du bouquet . Ensuite, au moyen d’une petite mesure armée d’un bec, le doseur verse doucement la liqueur en faisant tourner la bouteille sur elle-même, de manière à ce que la liqueur descende lentement dans le vin sans l’agiter, ce qui favoriserait le développement du gaz et ferait projeter le vin hors de la bouteille . L’opération est en effet délicate, comme le remplissage et pour les mêmes raisons. La régularité du dosage dépend de l’ouvrier qui l’exécute et ne peut être constante. C’est pourquoi la machine à doser, ou doseuse, dont un premier modèle voit le jour en 1844, représente un grand progrès ; le travail s’exécute à l’abri de l’air et des poussières, on peut faire varier à volonté la dose à introduire dans la bouteille tout en en assurant la régularité. Néanmoins, chez les petits producteurs, les mesures à doser seront encore utilisées au XXe siècle.
Après addition de la liqueur, on procède s’il y a lieu à l’égalisage en complétant la bouteille à la main, ce qui est le travail de l’égaliseur, ou à la machine, celle-ci, au fur et à mesure qu’elle se modernise, prenant en charge toutes les opérations de remplissage, de dosage et d’égalisage.
On procède alors au bouchage et au ficelage qui s’effectuent dans les mêmes conditions que pour le tirage. Le bouchon est cependant un peu moins enfoncé, ce qui lui donne toute latitude de faire champignon. Encore l’importance de la saillie varie-t-elle avec la destination des bouteilles, les bouchons étant en principe enfoncés plus profondément pour l’exportation . Les bouchons d’expédition sont choisis avec un soin tout particulier et sont marqués à feu au nom de la maison. On utilise toujours ficelle et fil de fer pour les maintenir, avec des essais sans lendemain de débouchage instantané, comme le système à aiguille. Mais à la fin des années 1870, la muselière de métal que l’on utilisait auparavant sous le nom d’agrafe pour le bouchage de tirage commence à être employée sous le nom de muselet pour coiffer et assujettir le bouchon d’expédition, avec pose mécanique. L’opération s’appelle le muselage et une machine à poser les muselets est mise au point vers 1880 par Lemaire, à Épernay. Certains clients restent cependant attachés à la tradition et jusqu’à la première guerre mondiale ficelage et muselage seront employés concurremment.

Pour l’ensemble des opérations qui débutent avec le dégorgement et se terminent avec le muselage, les ouvriers sont groupés en chantier de dégorgement encore appelé chantier d’opération. Les bouteilles en attente sont placées sur des tourniquets appelés rondoirs.

EXPÉDITION - MAIN-D’ŒUVRE - MACHINES

Les bouteilles, dûment bouchées et ficelées, sont envoyées au cellier d’expédition, où on commence par bien mélanger la liqueur en les remuant par un coup de poignet analogue à celui pratiqué lors des changements de tas. On laisse les bouteilles sur tas pendant deux mois pour parfaire la qualité du vin, Maumené précisant que le vin et la liqueur ont l’un sur l’autre de légères actions, par lesquelles s’achève enfin le travail. On profite du repos pour vérifier la qualité du nouveau bouchon. Au moment de l’expédition, chaque bouchon est examiné soigneusement [89] . S’il est considéré comme devant former une recouleuse, la bouteille est retirée et ne sera pas expédiée. C’est une perte de 5 à 10%, quelquefois plus. Les bouteilles jugées bonnes sont lavées et essuyées ; on recouvre les bouchons de cire ou de feuilles d’étain blanc ou doré. C’est ce que l’on appelle le surbouchage, qui date de 1856. On pratique aussi le capsulage, ainsi appelé par Legrand, et dont Guyot fait déjà état en 1860 en précisant que la capsule consiste dans une enveloppe générale du bouchon et de la bague de la bouteille ; c’est donc une sorte de capuchon. La capsule se pose mécaniquement dès 1865 avec une capsuleuse. Surbouchage et capsulage avaient initialement pour but de protéger des rongeurs la ficelle maintenant le bouchon.
C’est vers 1820 que les étiquettes imprimées remplacent sur les bouteilles de champagne les petits billets de vin manuscrits. Dès leur apparition, elles se signalent par l’élégance de leur graphisme, souvent rehaussé d’argent et d’or. Elles sont collées à la main. Certaines maisons cependant s’en dispensent, de même que du surbouchage, tout au moins pour les bouteilles destinées à l’exportation. Sur un prix courant de Moët & Chandon établi en 1862 pour la Belgique, on lit que la règle de la maison est d’expédier les vins avec les bouchons goudronnés, et les bouteilles sans étiquettes ; ceux des commettants qui désirent des feuilles d’étain et des étiquettes doivent en faire mention dans leurs commandes.
Les bouteilles sont enfin emballées dans des paniers en osier, utilisés pour les expéditions continentales, ou dans des caisses, en général en peuplier, servant depuis 1830 aux exportations lointaines, avec la destination inscrite au feu sur le couvercle. Il y a des paniers de 10, 12, 15, 18, 20 et 25 bouteilles et plus (jusqu’à 130), dont la fermeture est assurée par dix attaches de laiton posées par les fermeurs. Il y a des caisses de 12, 25, 50 et même 120 bouteilles pour envoyer en Hongrie et en Russie .

L’emballage est manuel, de même d’ailleurs que l’habillage des bouteilles, et cela encore en 1900. Il est particulièrement soigné. Voici comment André Jullien le voit en 1845 : En Champagne, le fond et les côtés des paniers et des caisses sont garnis intérieurement de feuilles de carton, et chaque bouteille est entourée d’une feuille de papier, par-dessus laquelle on met le tortillon de paille. Pour l’Amérique et pour les autres contrées méridionales, on protège les bouteilles contre l’excessive chaleur en les emballant avec du sel... de manière qu’elles se trouvent entre deux lits de sel, tout en mettant un lit de paille entre chaque rang.
On utilise aussi des paillons, fabriqués mécaniquement depuis 1866. Une fois clos, les paniers et caisses sont entourés de cercles de bois ou de bandelettes métalliques et sont ainsi prêts pour le départ.
Depuis le débourbage du moût jusqu’à l’emballage, la manutention du champagne fait appel à une main-d’œuvre importante. Certaines maisons emploient plusieurs centaines d’ouvriers, appelés tonneliers, bien qu’une minorité s’occupent de tonnellerie ; ils sont dirigés par un maître-tonnelier, important personnage responsable envers le négociant de la qualité du champagne de sa marque. La bouteille passe successivement dans les mains de 45 ouvriers . Dans les petites maisons il n’y a toutefois que 20, 10 ou même 5 ouvriers, chacun d’eux remplissant plusieurs tâches. L’industrie du champagne emploie au XIXe siècle un grand nombre de femmes et embauche des enfants pour le tirage. Tous les personnels sont efficaces et conscients de la qualité que l’on recherche pour le produit à l’élaboration duquel ils participent.
La propreté est de rigueur. Les tonneliers sont en blouse bleue et tablier blanc. Le maître-tonnelier les engage, fixe leur salaire, établit leurs comptes ; il leur distribue l’ouvrage, fait préparer les vins, préside à la manutention, déguste les cuvées, donne son avis sur les diverses qualités, prépare sur ordre les expéditions, reçoit toutes les marchandises, en un mot s’occupe de la surveillance du personnel, du matériel et du mouvement général de tout ce qui se passe en dehors de la maison de commerce . [90]
Le sort des tonneliers est meilleur que celui des travailleurs d’autres industries, mais il reste précaire si on le compare à celui des ouvriers d’aujourd’hui. Comme partout à l’époque, les journées sont très longues, même si elles le sont moins en 1861 avec 60 heures par semaine qu’en 1806 avec en moyenne 84 heures, dont 66 de travail effectif dans une journée commençant entre 5 heures du matin et 6 heures et demie selon les saisons et finissant en tout temps à 8 heures du soir, avec ¾ d’heure pour le déjeuner, autant pour le goûter et 1 heure et demie pour le « dîner de midi ».
Le travail va en se simplifiant et en s’accélérant au fur et à mesure des progrès de la mécanique, souvent associée à la chimie. Les machines, note en 1874 le Vigneron champenois, fournissent avec célérité un résultat identique à celui qui était obtenu par le travail à la main, en évitant tous les défauts inhérents à la nature même de ce travail. Leur rentabilité est assurée non seulement par l’économie de main-d’œuvre et de temps, mais aussi par la diminution ou la suppression des pertes de vin à plusieurs stades de la manipulation.

Comme on l’a déjà vu à propos des problèmes de la casse, la recherche est considérable. Bénéficiant souvent de l’appui financier des négociants, elle est orientée dans toutes les directions, ainsi qu’en témoigne la liste des brevets enregistrés à partir de 1843. On y trouve même des projets, qui resteront sans suite immédiate, de machines à dégorger, en 1852, et de machines à remuer les bouteilles en 1875 et 1876, puis en 1889.

Dresser la liste de tous les appareils qui ont vu le jour au XIXe siècle, pour la plupart d’ailleurs avant 1880, nécessiterait un volume. Il suffit de rappeler, parmi les principaux qui sont en fonctionnement à la fin du siècle, les pompes à vin, les machines à vérifier les bouteilles et les bouchons, à laver les bouteilles, à tirer, à boucher et à ficeler, à capsuler, à museleter, à transvaser, à électriser, à remplir, à doser, à égaliser, sans oublier l’aphromètre et de nombreux appareils de laboratoire.
L’industrie des machines à vin est désormais étroitement liée à celle du champagne, comme le sont d’ailleurs de nombreuses professions, énumérées comme suit par Roux-Ferrand dans Mœurs champenoises (1861) : fabricants de futailles et de bouteilles, fabricants de bouchons et retailleurs qui remettent à neuf les bouchons ayant servi et les vendent pour servir au bouchage des eaux gazeuses et de la bière, fabricants d’agrafes, de caisses, vanniers, lithographes, marchands de toutes sortes de produits : sucre, alcool, fil de fer, ficelle, papier d’emballage, carton, goudron, feuilles d’étain, capsule, tanin, colle de poisson, acide tartrique, etc.

LE CHAMPAGNE DU XIXe SIÈCLE

Le champagne était-il bon au XIXe siècle ? La réponse ne peut être que nuancée. Les goûts ont changé et, en raison de son dosage exagéré, il ne serait probablement guère apprécié de l’amateur d’aujourd’hui, exception faite de quelques cuvées goût anglais. Si on le considère objectivement, il faut admettre que mis à part les vins généralement excellents des très grandes maisons, la qualité en est irrégulière du fait d’une technique encore imparfaite et d’une absence totale de contrôle officiel. L’historien d’art Spire Blondel écrit en 1894 à propos du champagne : En voyage, il faut être très circonspect, si l’on ne connaît point la cave de l’hôtel où l’on loge [91].
Quoiqu’il en soit, le champagne plaît aux consommateurs de l’époque. Il est vrai que la plupart d’entre eux ne lui demandent que de bien mousser, sa qualité vineuse étant d’autant plus secondaire qu’elle est mal perçue en raison de la température très basse à laquelle il est servi. L’amateur éclairé, quant à lui, recherche les très bons champagnes, qui sont en minorité car ils doivent répondre à plusieurs conditions rarement réunies à l’époque : être bien faits, avoir bien vieilli et suffisamment longtemps dans la cave du producteur, et, bien entendu, provenir d’une excellente cuvée. Au début du siècle, le champagne est fréquemment défectueux. Cyrus Redding écrit que le bon champagne est un des vins les plus sains, mais que le mauvais est plus communément pernicieux et il fait état de vins qui, en 1818, sont de qualité très inférieure, assaisonnés de sucre et d’alcool . En 1821, on lit dans la Notice sur les vins écrite par Jullien pour Le Cuisinier économe d’Archambault, à propos des vins blancs mousseux, qu’il ne faut pas les garder trop longtemps car ils finissent par graisser et sont désagréables à boire. On sait aussi combien le bouchon peut amener de mécomptes.
Au fur et à mesure du progrès des techniques, les accidents deviennent plus rares, notamment ceux provenant d’un bouchage défectueux ou se traduisant par la formation d’un nouveau dépôt dans la cave du client.

On arrive à venir à bout de la graisse, cette calamité. Dans les vins de Champagne, écrit encore Herpin en 1819, les dépôts blancs ou jaunâtres sont les plus dangereux : au moindre mouvement, ils se répandent dans le vin, soit en flocons, soit en masses épaisses, et le plus souvent en filandres grasses qui traversent le liquide en tous sens. En Champagne, toute la récolte mise dans le verre contracte souvent cette funeste altération [92]. À cette description cauchemardesque correspond l’énumération non moins étrange des remèdes empiriques et peu satisfaisants que l’on mêle au vin lorsqu’il est encore en tonneau : viande fraîche, raifort, radis, raves, etc. Herpin préconise l’emploi de la crème de tartre, mais le vrai remède est trouvé par François vers 1835 et, sur ses conseils, la maladie appelée graisse a disparu par l’emploi du tanin à la dose de 15 à 20 gr/hecto, ajouté en solution alcoolique 3 à 4 semaines avant la mise en bouteille.
Les bons champagnes, on l’a vu, sont normalement vendus après trois ans de vieillissement, parfois davantage. Mais trop de bouteilles sont mises sur le marché quelques mois seulement après le tirage, parfois même parce que celui-ci n’est pas réussi ; le champagne de 1818, que l’on vient de voir cité par Cyrus Redding, est vendu à deux mois de bouteille ! Ces champagnes trop verts font toujours partie de la catégorie des vins très dosés, ce genre de champagne, lit-on dans une notice de 1891, ayant l’immense avantage de pouvoir être expédié et consommé très jeune
Le choix des années et des crus dont sont constituées les cuvées est de première importance. La nature fait encore entièrement la loi, car on sait le peu de succès obtenu au XIXe siècle dans la lutte contre les calamités naturelles ; en vingt ans, de 1871 à 1890, on compte quinze années médiocres ou mauvaises. Ce n’est que dans les périodes riches en bonnes récoltes que les vins de réserve peuvent jouer pleinement leur rôle. Certes, en raison de l’heureuse conjonction d’une meilleure technique et d’une suite d’années fastes, André Simon pourra écrire en 1908 : Jamais d’aussi bons champagnes n’ont été faits que pendant les vingt années qui viennent de s’écouler. Mais, en attendant, beaucoup de vins médiocres sont produits, dont on essaie de tirer parti en les renforçant avec du sucre et de l’alcool..
Pour les crus, il ne peut y avoir d’artifice ; les maisons qui s’approvisionnent régulièrement dans les meilleurs crus sortent les meilleures cuvées. Les raisins provenant des crus modestes servent aux approvisionnements des mêmes maisons pour leurs cuvées secondaires, qui vont parfois jusqu’au 5e choix, et à ceux des producteurs, petits ou gros, qui ont délibérément choisi de vendre à bon marché. Mais pour répondre au succès croissant du champagne, tout le monde va étendre les achats en raisins et en vins au-delà des crus traditionnels. Au début du XIXe siècle, les vignobles du département de la Marne sont les seuls qui fournissent ce vin fameux. Encore serait-il plus juste de dire que ce ne sont que ceux situés dans la vallée de la Marne et sur les falaises de l’Ile-de-France.
On commence par faire appel à des crus de la périphérie du département, dans les régions de Vitry-le-François et de Sézanne [93]. Puis on achète dans le reste de la Champagne, dans la Haute-Marne, dans l’Aisne et surtout dans l’Aube. Les ressources de la Champagne en vins de bonne qualité mousseuse ne sont pas encore épuisées lorsque les producteurs, dans la deuxième moitié du siècle, se tournent vers d’autres régions viticoles susceptibles de les approvisionner à meilleur compte, avec des vins provenant de climats plus propices à la culture de la vigne et dont le transport est moins onéreux depuis l’apparition du chemin de fer.
Dès 1873, Paul Urbain et Léon Jouron écrivent : Les petits vins de Champagne, dans lesquels il n’entre que les deux tiers et quelquefois moins de vins indigènes... contiennent des vins récoltés dans les vignobles tout à fait secondaires de la Champagne, et des vins blancs de Bourgogne, du Midi ou de Saumur principalement, lesquels coûtent moins cher que dans les derniers crus de nos vignobles [94]. Ce phénomène n’est pas uniquement observé pour le champagne. On lit dans The Wine Trade Review du 15 janvier 1874 que les prix élevés des vrais vins de Champagne et de Bordeaux sur place ont engagé plusieurs maisons de spéculation à y substituer des imitations.
Légalement, rien ne s’oppose à cette politique qui, cependant, nuit à la réputation des vins de Champagne et constitue une supercherie très-répréhensible sur la nature, l’origine et la qualité de la marchandise livrée. Elle est dénoncée fréquemment dans la presse et la littérature spécialisée comme un fait avéré et regrettable. Bertall écrit : Les vins mousseux de Champagne sont fabriqués, on le sait, avec des vins de plusieurs provinces.
Les producteurs de champagne, lorsqu’ils cherchent à se justifier, taisent ces errements ou basent leurs calculs sur des superficies et des rendements exagérés et ne tiennent pas compte des raisins non achetés à la vendange. C’est pourquoi, dans l’impossibilité de convaincre, ils s’efforcent surtout de faire la part du feu en affirmant que seuls sont en cause, comme l’écrit Guyot, quelques faux frères et que ces falsifications sont encore plus rares en Champagne que dans la plupart des autres crus dont la grande réputation est toujours exploitée par l’audace de la spéculation. On veut bien croire que le mal n’est pas général [95], qu’il atteint peu les grandes maisons, mais il existe et ses funestes conséquences sont dommageables pour tous les négociants et, par voie de conséquence pour les vignerons, le public étant bien convaincu que le champagne, à l’exception des meilleures cuvées, est le résultat d’un miracle renouvelé de celui de Cana.
On s’efforce, avec les moyens techniques dont on dispose, de rendre ces vins étrangers aussi semblables que possible à ceux provenant des coteaux de la Champagne. C’est ainsi que Weinmann écrit en 1899 que pour les vins exotiques, on procède à la fermentation des moûts avec des levures cultivées en Champagne [96]. Mais le résultat ne peut jamais être le même, et il y a toujours falsification. De sorte que, pour ne pas être trompé, il faut se fournir des produits des premiers crus livrés par les plus anciennes et les plus renommées maisons de la Champagne, maisons à qui une réputation laborieusement et honnêtement acquise ne permet pas de descendre à de pareils procédés de fabrication.
Il est donc bien établi qu’il existe au XIXe siècle deux catégories nettement différenciées. Il y a le champagne des véritables amateurs qui, comme il est le plus cher, est également celui des gens fortunés qui se piquent d’être connaisseurs. Ces grands vins se gardent mieux que les autres dans la cave du consommateur et Vizetelly écrit qu’ils peuvent être bus après dix à quinze ans d’âge, ayant alors acquis une suprême excellence. Il y a le champagne du vulgum pecus, moins fin et meilleur marché, mais dont l’image reste assez forte tout le long du siècle pour en assurer le succès. L’un et l’autre existent en plusieurs types, que l’on a déjà rencontrés au cours de ce chapitre mais dont il est bon de dresser ici la liste récapitulative.
On trouve à la fin du siècle en fait de vins effervescents : le grand mousseux, le mousseux, le crémant ou demi-mousseux et la tisane de Champagne ; les millésimés et les non millésimés ; le rosé , ou œil-de-perdrix ; le brut, le sec (ou very dry, extra dry, extra sec, très sec, dry) et le champagne dosé, qui peut s’appeler medium-dry ou full ou rich en pays anglo-saxons, mais auquel ne s’applique ailleurs aucune terminologie particulière. Bien entendu, un champagne peut présenter plusieurs de ces caractéristiques, et être tout à la fois, par exemple, crémant, rosé, sec et millésimé.

Jusqu’au second Empire le mot champagne ne figure généralement pas sur l’étiquette. On utilise le nom d’un cru prestigieux Ay ou ou même Aÿ, Sillery, Verzenay, Bouzy, suivi de mousseux, ou de grand-mousseux, comme par exemple Sillery mousseux. On trouve même Aï Royal Fleur de Sillery mousseux !

C’est une étrange habitude, si on pense que le contenu de la bouteille n’a le plus souvent rien à voir avec le terroir en question et qu’il peut être à la limite, comme on vient de le voir, du vin provenant de la Lorraine ou de l’Anjou. En 1842, un Comité vinicole du département de la Marne s’en émeut en répondant au questionnaire d’un Comité vinicole central : Il est dérisoire de donner à nos vins mousseux sur des étiquettes brillantes d’or et d’argent, les noms de Sillery mousseux. Que Sillery livre sa récolte de 20 à 25 ha, qu’Ay porte son cachet sur 1 000 ha, Mareuil sur 800, et ainsi de suite ; mais que la maison de commerce qui n’a jamais déboursé cinq centimes dans les achats à la vendange de ces vignobles ne puisse dire avoir des cuves remplies de Sillery, d’Ay et de Mareuil [97].

En dépit des protestations, cet usage subsiste jusqu’à a première guerre mondiale ; parlant de l’assemblage de crus vendus sous le nom de l’un d’eux, Roche écrira en 1908 : Ce procédé s’est généralisé aujourd’hui [98]. Il est vrai que l’habitude a été prise dans la haute société et en littérature de fréquemment remplacer le vocable champagne par la désignation d’un cru prestigieux. Dans Les Natchez, Chateaubriand écrit que le duc d’Aumale goûta le vin d’Aï avant le lait de sa nourrice.

Concurremment, à partir des années 1860, le mot champagne apparaît sur certains habillages [99] mais le terme mousseux lui demeure longtemps accolé. Il ne cessera de l’être qu’au début du XXe siècle.

Sur l’étiquette figure normalement la raison sociale du producteur, mais ce n’est pas toujours le cas, surtout au début du siècle. Elle peut être totalement absente, mais aussi remplacée ou accompagnée par une mention, enregistrée ou non comme marque, faisant allusion à un événement notoire ou à une clientèle particulière. Il en sera reparlé lors de l’étude du commerce du champagne. Sur l’étiquette se trouve enfin l’indication d’une des nombreuses qualités entre lesquelles le producteur répartit sa production et échelonne ses prix. En 1890, par exemple, la maison Dufaut propose sept qualités, à savoir, de la meilleure à la plus modeste : Grands Vins de réserve, Carte blanche, Bouzy, Fleur de Sillery, Grand crémant, Royal Sillery, Ay mousseux. Beaucoup de maisons utilisent le terme carte, associé avec des couleurs qui sont, par ordre décroissant d’excellence, en général : or, blanche, verte ou bleue, noire. À partir des années 1870, certaines maisons réservent la carte blanche pour leur champagne dosé. Mumm, au lieu de la carte, utilise le cordon  : Cordon rouge, for America only.

Pour établir un classement dans une marque peu connue, il faut s’en tenir à la différence des prix, car les termes utilisés pour qualifier les qualités sont souvent fantaisistes. Royal, Supérieur, Spécial, Extra, Extra supérieur, Grand, Crème (qui s’applique parfois au crémant, mais pas toujours), Fleur s’appliquent souvent à des petits champagnes. Par contre Réserve, Cuvée réservée qualifient en général les meilleurs, ainsi que Cabinet qui, en français comme en anglais, s’utilise par allusion à la vogue des cabinets particuliers, parfois en l’absence de tout autre terme l’identifiant comme champagne, ainsi en 1884 le Grand vin de Cabinet de Koch Fils. Les grandes maisons prennent progressivement l’habitude de réserver les noms de crus ou les désignations insolites pour leurs vins de qualité inférieure, leurs grands champagnes ne comportant que le nom de la firme.

Sur l’étiquette ne figurent pas les propriétés physiques et les caractères olfacto-gustatifs du vin, que le producteur s’efforce de rendre aussi conformes que possible au goût de sa clientèle.

Ainsi, écrit Robinet, lorsqu’on veut faire des vins mousseux destinés soit à l’exportation anglaise ou allemande, il est évident que les éléments ne sont pas les mêmes. Dans le premier pays, il faut des vins riches en alcool et en goût ; dans l’autre, il, faut des vins plus fins, plus légers, plus agréables. Vizetelly cite à titre d’exemple la Chine, l’Inde et les autres pays chauds, qui demandent des vins légers et secs, et l’Australie et Le Cap où l’on expédie des vins très forts.

Seules les très bonnes maisons ont la possibilité de créer chaque année des champagnes suivis et diversifiés, en combinant les possibilités que leur offrent d’excellents raisins provenant de vignes différentes, leurs vins de réserve, un dosage plus ou moins accentué et un vieillissement plus ou moins prolongé.

Des champagnes, il y en a donc beaucoup au XIXe siècle. Lequel choisir ? C’est affaire de goût. L’aumônier de Louis de Chevigné (Le Jour des Rois) [100] résout le dilemme par l’éclectisme :

... Mais le joyeux champagne
Se tient au frais, dans ma cave il m’attend.
Lequel veux-tu ? de rive ou de montagne ?
L’aï, si fier, au premier rang prétend ;
Moi, je préfère un sillery crémant.
Mettons d’accord ces rois de la Champagne,
Dit l’aumônier, buvons ces deux gaîment.

.

Notes

[1YOUNGER (William). Gods, men and wine. Londres, 1966.

[2COUANON et F. CONVERT. Rapport des comités d’admission et installation des classes 36 et 60 : Viticulture. Vins el Eaux-de-vie de Vin. Exposition universelle internationale de 1900. Saint-Cloud, 1900.

[3JULLIEN (André). Manuel du sommelier, ou instruction pratique sur la manière de soigner les vins. Paris, 1813.

[4CHAPTAL (Jean-Antoine, comte). L’Art de faire le vin par M. le Comte Chaptal. Paris, 1819. CHASTELAIN (Dam Pierre). Voir JADART.

[5SALLERON (J.). Etudes sur le vin mousseux. Paris, 1886.

[6VIOLART. Le Calendrier du vigneron champenois. Épernay, 1877.

[7PARMENTIER (Antoine A.). Nouvel aperçu des résultats obtenus de la fabrication des sirops et conserves de raisins. Paris, 1813.

[8MAUMENÉ (E. ;J.). Traité théorique et pratique du travail des vins, leur fabrication, leurs maladies. Fabrication des vins mousseux. Paris, 1873.

[9SAINT-ANDRÉ (J. de). Les Grands vins de Champagne. Louis Roederer, dans Les Grandes usines de Turgan, janvier 1892.

[10GUYOT (Dr Jules). Etude des Vignobles de France, pour servir à l’enseignement mutuel de la viticulture et de la vinification françaises, tome 111. Paris, 1868.

[11CADET de VAUX (Antoine-Alexis). L’Art de faire le vin, d’après la doctrine de Chaptal. Instruction destinée aux vignerons. Paris, an IX.

[12ROBINET (E.). Manuel général des vins. Fabrication des vins mousseux. Paris, 1877.

[13CAVOLEAU. Œnologie française ou Statistique de tous les vignobles et de toutes les boissons vineuses et spiritueuses de France, suivie de considérations générales sur la culture de la vigne. Paris, 1827.

[14LEGRAND (N.F.). Le Vin de Champagne. Reims, 1896.

[15LENOIR (A.). Traité de la culture de la vigne et de la vinification. Paris, 1828.

[16HORACE. Odes, traduction René Binct. Paris, 1809.

[17MAIZIÈRE (Armand). Origine et développement du commerce du vin de Champagne. Reims, 1848.

[18Louis PERRIER. Mémoire sur le vin de Champagne. Paris, 1865.

[19Notice historique sur le vin de Champagne. Épernay, s.d. (publié en 1889).

[20SIMON (André). The History of champagne. Londres, 1962.

[21FEUERHEERD (H.L.). The Gentleman’s Cellar and Buller’s Guide. Londres, 1889.

[22VIZETELLY (Henry). Facts about champagne and other sparkling aines. Londres, 1879.

[23Récoltes (Les) vinicoles de Bouzy el d’Ambonnay de 1788 à 1874. Reims, 1893.

[24FRANÇOIS. Traité sur le travail des vins blancs mousseux. Châlons, 1837.

[25ROQUES (Joseph). Phytographie médicale. Paris, 1821.

[26On emploie généralement au XIXe siècle le mot ferment et au XXe celui de levure. Salleron écrit en 1886 : le ferment alcoolique, la levure comme on l’appelle communément.

[27CHAPTAL (Jean-Antoine, comte). L’Art de faire le vin par M. le Comte Chaptal. Paris, 1819. CHASTELAIN (Dam Pierre). Voir JADART.

[28LENOIR (A.). Traité de la culture de la vigne et de la vinification. Paris, 1828.

[29FRANÇOIS. Traité sur le travail des vins blancs mousseux. Châlons, 1837.

[30SALLERON (J.). Etudes sur le vin mousseux. Paris, 1886.

[31WEINMANN (J.). Manuel du travail des vins mousseux. Épernay, 1929.

[32VOGUÉ (Comte Bertrand de). Madame Veuve Clicquot à la conquête pacifique de la Russie. Reims,

[33TOEPFFER (Rodolphe). Histoire de M. Cryptogamme. Genève, 1846.

[34BARRELET (James). La Verrerie en France de l’époque gallo-romaine à nos jours. Paris, 1953.

[35GUYOT (Dr jules). Culture de la vigne et vinification. Paris, 1860.

[36En 1892, J. de Saint-André écrivait : Si la quantité de sucre contenue dans le vin est trop faible, on manque la mousse, c’est-à-dire que celle-ci n’est pas suffisante, on dit alors que le vin est crémant . En 1918 encore, Pacottet et Guittonneau disaient que le vin crémant résulte souvent d’une cuvée manquée.

[37Le crémant était au XIX e siècle appelé creaming en Grande-Bretagne. On le trouvait sur les prix-courants de The London Wine Company, en 1823, et de Charles Harris, en 1829.

[38JULLIEN (André). Topographie de tous les vignobles connus. Paris, 1816, 1822, 1832, 1866 (Se édition, revue et corrigée et augmenlée par C.E. 7ullien).

[39RAISSON (Horace). Gode Gourmand. Paris, 1829.

[40JULLIEN (André). Topographie de tous les vignobles connus. Paris, 1816, 1822, 1832, 1866 (Se édition, revue et corrigée et augmenlée par C.E. 7ullien).

[41LURINE et BOUVIER. Physiologie du vin de Champagne par Deux buveurs d’eau. Paris, 1841.

[42Notice sur le vin de Champagne (Maison Veuve Pommery, Fils et Cie. Reims, 1891.

[43BONNEDAME (Raphaël). Notice sur la Maison Moët & Chandon. Épernay, 1894.

[44Guyot en 1860 employait l’expression liqueur à vin, et Robinet en 1877, et encore en 1900, celle de liqueur de titrage. Aujourd’hui on dit liqueur de tirage.

[45ARON (Jean-Paul). Le Mangeur du XIX e siècle. Paris, 1973.

[46HENDERSON (Alexander). History of Ancient and Modern Wines. Londres, 1824.

[47REDDING (Cyrus). À History and description of Modern Wines. Londres, 1833.

[48VIZETELLY (Henry). A History of champagne with notes on the other sparkling wines of France. Londres, 1882.

[49C’est pour le marché britannique qu’a été conçue la pinte, contenant un huitième de gallon, citée en 1879 par Vizetelly. Selon André Simon la pinte impériale était à l’ère victorienne la taille idéale pour un homme tempéré qui pouvait considérer la bouteille comme un peu plus que ce qu’il souhaitait pour son repas, mais qui ne se serait pas satisfait d’une demi-bouteille.

[50Pour Littré, le mot recouleuse est un adjectif : Se dit, en Champagne, des bouteilles dont le vin s’échappe à travers le bouchon.

[51ROBINET (E.). Manuel général des vins. Fabrication des vins mousseaux. Paris, 1877

[52CAVOLEAU. Œnologie française ou Statistique de tous les vignobles et de toutes les boissons vineuses et spiritueuses de France, suivie de considérations générales sur la culture de la vigne. Paris, 1827.

[53MAUMENÉ (E. J.). Catalogue des instruments et appareils pour le travail des vins mousseux inventés par MM. E. Maumené et L. Jaunay. Corbeil, 1873.

[54Équipée à l’électricité, la lampe de cave est aujourd’hui un article apprécié de l’artisanat champenois.

[55MOREAU-BÉRILLON (C.). Au pays du Champagne. Le Vignoble. Le vin. Reims, 1922.

[56Pour Guyot, en 1860, après 1 ½ an ou 2 ans, on peut préparer l’expédition. Pour la maison Pommery, en 1891, après 1 ½ an ou 2 ans, quand le dépôt est bien formé, on peut préparer les vins pour l’expédition. Pour la maison Louis Roederer, en 1892, on remonte les vins au bout de 2 à 5 ans environ

[57Pour faciliter le transvasement, André Jullien avait inventé des cannelles aérifères pour transvaser le vin en bouteilles, adoptées par la maison Moët.

[58MACCULOCH (John). Remarks on the art of making ruine, with suggestions for the application of ils principles to the improvemeni of domestic ruines. Londres, 1821.

[59Aujourd’hui, on appelle remuage l’opération qui a pour but de faire descendre le dépôt sur le bouchon. Quant au terme dégorgement, il était déjà utilisé en 1813 par Jullien et en 1821 par Macculoch.

[60Dans le Manuel du sommelier, Jullien précise qu’en Champagne on transvase la majeure partie des vins qui déposent. C’est dire que le dégorgement n’en était encore qu’à ses débuts en 1813.

[61Selon Pacottet et Guittonneau, l’opération qui consistait à coller le vin dans la bouteille s’appelait le blanquetto. En 1911 encore, Manceau envisageait de coller en bouteille les vins que leur insuffisance de limpidité obligerait à remettre en cercle ( Le Vigneron champenois, 13 décembre 1911).

[62PACOTTET et GUITTONNEAU. Vins de Champagne et vins mousseux. Paris, 1918.

[63FIÉVET (Victor). Madame Veuve Clicquot (née Ponsardin). Paris, 1865.

[64L’inclinaison des bouteilles était de 25 à 30° pour Cavoleau en 1827, de 25° pour Redding en 1833, et encore dans l’édition de 1851.

[65Les chaises de cave étaient paillées, avec un dossier haut seulement de 20 à 30 cm, en forme de traverse, ce qui permettait de les saisir facilement pour les déplacer.

[66BERTALL. La Vigne, voyage autour des vins de France. Paris, 1878.

[67L’expression mise en masse a été employée à partir du début du XXe siècle.

[68PACOTTET et GUITTONNEAU. Vins de Champagne et vins mousseux. Paris, 1918.

[69Le dégorgement était parfois appelé dégorgeage, par exemple par Cavoleau et par Bertall. Redding faisait remarquer que le mot qui aurait le mieux convenu aurait été dégagement .

[70MAUPASSANT. Bel-Ami.

[71BONNEDAME (Raphaël). Quelques mots .sur le vin de Champagne. Épernay, 1899.

[72Les premières maisons de champagne à faire usage du dégorgement à la glace furent Henri Abelé, en 1884, selon Robert Andrieu, Moët & Chandon et Gallice et Cie en 1891, selon Emile Manceau.

[73HAMP (Pierre). La Peine des hommes. Marée raîche. Vin de Champagne. Paris, 1913.

[74Pour Guyot, en 1860, un vin dosé était opéré, un vin non dosé était non opéré. C’était encore vrai pour Moreau-Bérillon en 1922.

[75En 1827, Cavoleau ne parlait pas encore du dosage ; en 1843, dans son pport précité, Sutaine citait une machine à remplir et à doser.

[76LEGRAND d’Aussy (Pierre Jean-Baptiste). Histoire de la vie privée des François depuis l’origine de la nation jusqu’à nos jours. Paris, 1782.

[77SIMON (André). The History of champagne. Londres, 1962.

[78WALKER (Thomas). The Original, publié par Henry Morley. Londres, 1887 (paru en 1835 sous forme de livraisons périodiques).

[79PLONQUET (J.-L.). Recherches historiques, théoriques et pratiques sur la culture de la vigne dans le département de la Marne et la confection des vins de Champagne. Reims, s.d.

[80YOUNGER (William). Gods, men and wine. Londres, 1966.

[81ARLOTT (John). Krug, House of Champagne. Londres, 1976.

[82D’après Cyril Ray, ce sont les classes moyennes britanniques qui aient un goût ostentatoire pour le champagne sec.

[83Le professeur Saintsbury a précisé que le changement du doux au sec n’était pas complètement terminé en Grande-Bretagne quand il a commencé à tenir son registre de cave en 1884.

[84ARLOTT (John). Krug, House of Champagne. Londres, 1976.

[851874, on l’a vu, était une année exceptionnelle, suffisamment corsée pour ne nécessiter qu’un très faible dosage.

[86SAINTSBURY (Professor George). Notes on a cellar-book. Londres, 1920.

[87FEUERHEERD (H.L.). The Gentleman’s Cellar and Buller’s Guide. Londres, 1889.

[88On vendait en Grande-Bretagne non seulement les rich et medium-dry, pour les amateurs de champagne sucré, mais même des champagnes à la Russe.

[89La vérification du bouchon était confiée au releveur.

[90RESTIF DE LA BRETONNE. Les Nuits révolutionnaires.

[91Opinions sur le vin de Champagne, adressées à Monsieur Armand Bourgeois par diverses personnalités littéraires et artistiques. Châlons-sur-Marne, 1894.

[92HERPIN (J. Ch.). Mémoire sur la graisse des vins. Châlons-sur-Marne, 1819.

[93BERTALL

[94URBAIN (Paul) et Léon JOURON. Le Vignoble champenois, sa culture et ses produits du Ve siècle à nos jours. Neufchâtel-en-Bray, 1873.

[95On doit noter que le docteur Guyot était producteur de champagne et qu’il écrivait en 1860, alors que la fraude n’était pas aussi répandue qu’à la fin du siècle.

[96WEINMANN (J.). Guide de champagnisation. Epernay, 1899.

[97FIÉVET (Victor). Histoire de la ville d’Épernay, depuis sa fondation jusqu’à nos jours. Épernay, 1868.

[98ROCHE (Émile). Le Commerce des vins de Champagne sous l’ancien régime. Châlons-sur-Marne, 1908.

[99Pour les marchés anglo-saxons, le mot champagne, aussi écrit champaign, a été utilisé plus tôt que pour le marché français. Exemple : Verzenay champaign 1846.

[100CHEVIGNE (Louis de). Les contes rémois. Paris, 1836