UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Histoire du champagne

Champagne, maux de tête et migraines

Sauf s’il y a allergie ou consommation imprudente et abusive dans les conditions qui viennent d’être citées, le champagne ne donne ni migraine, ni céphalées. C’est un fait d’expérience, reconnu par tous les connaisseurs, comme Maurice Constantin-Weyer qui, parlant des champagnes des orgies nocturnes, écrivait : Ces derniers ont d’ailleurs une grande qualité : ils ne laissent pas le lendemain de souvenirs désagréables, si l’on s’est laissé entraîner à en boire un coup de plus qu’il n’était raisonnable de le faire [1]. Cela se trouve confirmé, année après année, par le témoignage de centaines de jeunes gens et jeunes filles élèves des écoles hôtelières étrangères venant en Champagne en voyage d’études. Pendant deux ou trois jours, à chaque repas et entre les repas, ils boivent abondamment du champagne qui, pour beaucoup, leur était jusque-là inconnu. Lorsque, repartant dans leur pays d’origine, on leur demande s’il leur a donné mal à la tête, leur réponse est toujours négative et ils sont même déconcertés par une question qui leur paraît saugrenue : comment le champagne pourrait-il en être seulement soupçonné ?

II reste à examiner les raisons pour lesquelles le champagne ne donne pas mal à la tête, contrairement à certains vins, et en particulier à des mousseux auxquels trop de buveurs doivent de mémorables gueules de bois. Il faut certainement invoquer en premier lieu sa grande salubrité, dont les causes ont déjà été expliquées mais qu’il est bon de rappeler ici perfection technique de l’élaboration d’un vin épuré par deux fermentations, pauvreté en méthanol, connu pour ses effets nocifs et qui est dans certains vins cinq à dix fois plus abondant, faible teneur en anhydride sulfureux, dont on sait qu’à plus haute dose il peut occasionner des maux de tête, action bénéfique de quantités importantes de gaz carbonique, intimement dissous dans le vin. On peut noter aussi que comme tous les vins blancs, sauternes excepté, il est exempt de tyramine, facteur de migraine, qui existe dans les vins rouges, mais aussi dans les vins cuits, la bière, la vodka et le gin [2].

Ces raisons pourraient expliquer à elles seules pourquoi le champagne ingéré dans des conditions raisonnables ne provoque jamais de maux de tête ni de migraines. Mais il le doit peut-être aussi au fait qu’il comporte très peu d’histamine. La relation de cause à effet n’est pas prouvée, mais la question vaut la peine d’être posée.

L’histamine, ou imidazoléthylamine, a été découverte par Ackermann en 1910 dans les produits de dégradation bactérienne de l’histidine, acide aminé qui se rencontre dans de nombreux tissus animaux et végétaux. Dans les vins, l’histamine se forme principalement au cours de leur fermentation par décarboxylation de l’histidine des moûts. Selon le docteur américain John Doull, l’histidine est présente dans la peau du raisin et dans les pépins [3]. On lit d’autre part dans les conclusions du Colloque de Tours que puisque ce sont les vins rouges, donc les vins de macération, qui contiennent le plus d’histamine, il faut en déduire que l’histamine elle-même ou un corps précurseur d’origine protéique se trouve dans les matériaux solides de la rafle.

Les teneurs en histamine des différents vins figuraient dans la communication présentée au même colloque par le Groupe de recherches de Toulouse sur la toxicologie des aliments et des boissons de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (MM. de Saint-Blanquat, Gaillard et Derache). Elles s’établissaient comme suit, données en mg/l : bordeaux blanc doux (A.O.C.) 0,05 ; champagne 0,25 ; vin d’Alsace (V.D.Q.S.) 0,52 ; bordeaux blanc sec (A.O.C.) 0,79 ; bordeaux rouge (A.O.C.) 2,15 ; bourgogne rouge (A.O.C.) 2,69 ; vin de table rouge 9,30. Pour sa part, A. Quevauviller, interviewé par M. Bousquet pour le Concours médical du 9 mai 1970 (La teneur des vins en histamine), a fait état de 0,17 mg/l pour la moyenne de 4 crus de champagne, mais a cité deux vins A.O.C. rouges de très grands crus ayant 30,30 et 31,21 mg/l ! On voit donc que les extrêmes sont très éloignés et que la différence est toujours en faveur du champagne.

On doit être très prudent dans les tentatives d’explication de ce phénomène que la science n’a pu encore entièrement éclaircir. Il est normal que les vins rouges soient plus chargés en histamine que les vins blancs ; fermentant plus longtemps et à une température souvent plus élevée, ils sont plus favorables aux réactions bactériennes. D’autre part, le Colloque de Tours, dans ses conclusions, n’écarte pas le rôle joué par les cépages.

En ce qui concerne particulièrement le vin blanc de Champagne, effervescent ou non, la faiblesse de son taux d’histamine pourrait être, partiellement tout au moins, la conséquence de son pH particulièrement bas. Trois chimistes œnologues suisses, MM. Mayer, Pause et Vetsch, ont en effet démontré que la formation d’histamine dans les vins est due principalement à des bactéries lactiques cocciques qui se développent d’autant plus facilement que le pH du vin est élevé. Or, celui du champagne est très bas comme on le sait, ce qui pourrait expliquer qu’il soit à peu près exempt d’histamine.

Enfin, et ce pourrait être la raison majeure de cette particularité, le pressurage champenois, et lui seul, écarte du moût la rafle, les peaux et les pépins qui, comme on vient de le voir, seraient la source de l’histidine qui sera transformée dans le vin en histamine. Puisqu’il en va tout différemment pour les autres vins, il vient tout naturellement à l’esprit que l’on pourrait voir là la meilleure explication de la différence des teneurs en histamine qui existe entre le champagne et les autres vins, mais cela reste à démontrer. Il est, à ce propos, assez troublant de constater que Pline l’Ancien, il y a 2 000 ans, écrivait que ce sont les pépins qui, dans le vin, sont la cause du mal de tête (nuclei sunt qui in vino capitis dolorem faciunt — Histoire naturelle, XXIII, 9).

Des liens semblent bien exister entre l’histamine d’une part, les céphalées et la migraine d’autre part. Mais les définir est ardu car les chercheurs sont encore loin d’avoir pu faire toute la lumière dans ce domaine. Pour le professeur Dry, directeur du Centre d’allergie de l’hôpital Rothschild de Paris, spécialiste reconnu de ces questions, s’il semble bien que l’excès d’histamine dans certains aliments soit parallèle à leur capacité de provoquer des migraines, le rôle de l’histamine elle-même, dans la crise de migraine, au minimum n’est pas expliqué, et en fait n’est pas reconnu sauf peut-être pour le cas des migraines en chapelet. En fait, on ne connaît toujours pas de manière exacte quel est le mécanisme précis des crises de migraine (lettre personnelle adressée le 4 septembre 1981 à l’auteur du présent ouvrage). Il est toutefois admis que l’histamine participe aux troubles circulatoires et qu’à ce titre elle peut être à l’origine de céphalées et de migraines ou de diverses intolérances, d’autant plus que l’on sait également qu’il s’agit d’une substance très diffusible et que, de ce fait, le symptôme histaminique ne correspond pas forcément au lieu du conflit allergique.

Il semble en outre que la toxicité de l’histamine soit beaucoup plus grande en solution alcoolique qu’en solution aqueuse (Travaux de la Société de Pharmacie de Montpellier, 1968, 28, 1). Le docteur Doull arrive à la même conclusion et mentionne les maux de tête dans les effets de l’histamine des vins. A. Quevauviller, dans l’interview précitée, fait état de céphalées légères parmi les troubles que peut causer l’histamine, précisant d’ailleurs que la susceptibilité à l’histamine est très variable d’un individu à l’autre.

La prise de position la plus nette émane du docteur américain Geoffrey H. Kalish qui, dans The Wine Spectator du 1er mai 1981, a écrit ce qui suit : Il est admis que la migraine résulte d’un afflux excessif de sang au cerveau consécutif à une ingestion d’histamine. Travaillant sur des vins australiens, un groupe de chercheurs a récemment démontré que les vins à teneur élevée d’histamine causent chez un nombre important de migraineux de sévères maux de tête. Cet effet est inexistant avec les vins à faible teneur d’histamine.

Encore une fois, l’état actuel des recherches en matière d’histamine associée au vin d’une part, la méconnaissance des origines précises de la migraine et des céphalées d’autre part, ne permettent pas de se prononcer catégoriquement, mais tout le monde est conscient de importance du problème. Il fait partie des travaux proposés aux chercheurs par l’Institut technique du vin à la suite du Colloque de Tours de 1969 et par le Wine Advisory Board de San Francisco à la suite du congrès national américain de 1973 sur l’importance médicale du vin. Peut-être un jour pourra-t-on démontrer que si le champagne ne donne pas mal à la tête, ce qui n’est pas le cas de tous les vins, cela est principalement dû à l’absence presque totale d’histamine dans ses constituants en raison essentiellement du fait que les procédés de pressurage qui lui sont propres n’ont pas permis à celle-ci de passer dans le moût. En tout état de cause, on peut souligner que la très faible teneur en histamine reconnue au champagne en fait un vin d’une particulière salubrité car cette substance, a écrit dans le numéro du 3e trimestre 1976 de la Revue française d’œnologie Mme Lafon-Lafourcade, est un toxique sévère, dont l’ingestion à la dose de 10 mg suffit pour provoquer des troubles pathologiques notables et dont le seuil de tolérance est donc largement au-dessous de la quantité contenue dans certains vins rouges.

Notes

[1CONSTENTIN-WEYER. L’âme du vin. Paris, 1932.

[2SCHWOB (Dr Marc). 101 Réponses sur les maux de tête et la migraine. Paris, 1982.

[3Final report of the National Study on the médical importance of reine, publié par Salvatore P. Lucia et Théodore Berland, San Francisco, 1973.