UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

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Yves Gandon

Littérature générale (1952)

A la Belle Epoque.

LE PRÉ AUX DAMES

LÉONE

Je ne pus cependant réprimer un mouvement d’impatience, un soir d’avril où mon Gérôme rentra, le képi légèrement penché sur l’oreille,
comme sonnaient tout juste neuf heures. J’avais fait servir à huit, sans toutefois me mettre à table. [...]

-  On boude, mon coeur, et je dois reconnaître qu’on a tout sujet de plainte. Le méchant cuirassier a oublié dans le Roederer 89 le premier de ses devoirs qui est de complaire à la plus aimable des femmes. [...] Si j’arrive tard, c’est que le président du Jockey a voulu arroser sa cravate. [...] Il y a eu au moins dix toasts. [...]

-  Serais-tu ivre, Jérôme ?

-  Ivre ! Moi ! Malheur ! Regarde.
Il plaça trois chaises l’une contre l’autre au milieu de la pièce et, ayant pris son élan, franchit d’un bond le triple obstacle. [...]
Qu’il était drôle, mon Gérôme, et qu’il était amoureux, dans ce temps-là !
1952

LA VILLE INVISIBLE

Un soir de novembre, après un dîner d’anciens de Centrale, j’avais donné rendezvous à Juliette dans un café de Saint-Germain-des-Prés. J’étais sorti du restaurant avec Jeff et un autre camarade de promotion, Marcel Agassiz, qui, médiocrement classé à l’École, avait cependant connu la plus brillante réussite. [...]

- Et maintenant, les enfants, dit-il, je vous paye à tous deux le champagne de l’adieu.

Je protestai qu’on m’attendait.

- Eh bien ! nous allons "la" chercher. [...]

Elle était assise, le menton dans la main, sur une banquette de ce café désert [...]. Avec son sans-gêne habituel, Agassiz s’écriait en me frappant sur l’épaule

- Figurez-vous, mademoiselle, que cet égoïste endurci voulait m’empêcher de vous offrir le champagne. Pour un peu, il aurait prétendu que vous ne l’aimiez pas - je parle du champagne, bien entendu.

- Par exemple ! reprit Juliette en lui jetant un regard de joyeuse complicité qui me fit froid dans le dos, je te reconnais bien là. [...]

Ce fut bien autre chose dans cette cave du quartier, où Agassiz nous avait entraînés et où il semblait comme chez soi, tutoyant [...] ces étranges garçons, [...] d’une malpropreté scandaleuse, avec des barbes de huit jours et des cheveux en broussaille.

- Ce sont de vrais existentialistes, expliqua-t-il complaisamment à Juliette, après avoir commandé une bouteille de Salon brut 41.

S’ensuit entre Jeff et Marcel une discussion sur l’existentialisme.

- Alors, pauvre Jeff, tu donnes dans ces godants ? [...] L’existentialisme pour moi, c’est ça. Il désignait du menton les éphèbes chevelus et crasseux, les filles négligées. [...] C’est pourquoi je te convie, dans l’oubli de la situation, sartrienne ou non, à lever nos coupes en l’honneur et à la santé de Mademoiselle.

- Merci et bravo ! dit Juliette.
Elle but [...] une coupe, deux coupes de champagne. Elle ne m’avait jamais paru plus séduisante.
1953

CHAMPAGNE

Nous regagnons Pierry par les sentiers caillouteux qui dévalent entre les vignes. [...] Les bénédictins de l’abbaye de Saint-Pierre de Châlons y cultivaient [...] une vigne appelée le Clos Saint-Pierre, dont la renommée passait presque celle d’Hautvillers. Dom Oudart 1 [...] en était le maître de chai, et cet humble frère convers savait accommoder le vin de Champagne comme personne.

Papa Xandre [...] connaissait sur le bout du doigt (sur le bout de la langue serait peut-être ici une expression plus adéquate) [...] toute la gamme des crus. [...] II discernait même fort bien la composition des coupages, et il me souvient d’un jour que, l’ayant accompagné chez un grand propriétaire voisin, et celui-ci lui ayant demandé son avis sur la dernière cuvée, papa Xandre, buvant à petits coups et ramenant sa lèvre inférieure sur sa moustache, finit par conclure : « Mareuil et Pierry se marient bien, mais un doigt dAvize lui aurait donné de l’esprit. »

II avait d’ailleurs été longtemps chef de cave d’une excellente marque d’Épernay, et, du dosage des crus à la mise sur pointe, au remuage et au dégorgement, sans oublier l’addition de la liqueur et le "coup de poignet" terminal, aucune des délicates opérations qui concourent à l’élaboration d’une bouteille digne de l’amateur le plus raffiné ne gardait de secret pour lui.

Souvenirs d’enfance.

Quand je tirai [...] la chaîne grinçante de la sonnette du presbytère, la chaleur vibrante et sèche du fort de l’été pesait sur la colline de Châtillon. [...] Le maître des lieux, à cette heure, n’élaborait pas son sermon du dimanche, ni ne se livrait à la méditation sur quelque point douteux de patristique. Plus simplement, il avait la flûte en main, une bouteille était posée sur son bureau, et un petit homme chafouin, [...] et pareillement armé d’une flûte où s’élançaient les bulles pressées de la mousse, lui faisait vis-à-vis. [...] Le curé dodelina une tête réjouie.

- Noémi, vous voudrez bien apporter une flûte pour ce troisième larron.

Noémi me regarda d’un ceil sévère, mais obéit. Je trinquai comme un homme, et le curé Turelure, promenant ses larges narines au-dessus de sa flûte, puis levant celle-ci pour considérer le travail du vin dans la longue fleur de cristal, reprit

1. 11 s’agit de frère Oudart ; les frères convers n’avaient pas droit au titre de "dom".

- C’est du Mareuil 1904, garçon, une année bien estimable. Connais-tu le dicton ? « Ay le renom, Mareuil le bon ». De fait, entre Mareuil et Ay, je ne trouve pas de différence sensible. Le parfum, le corps, le montant sont ici et là. Il faut dire que ce vin que tu bois est du vin de propriétaire. Les grandes marques, avec leurs mélanges de crus, d’ailleurs légitimes, voire nécessaires, et qui ont fait la fortune du vin de Champagne, ont eu l’inconvénient, pour l’amateur, de supprimer les vertus autonomes des terroirs.

Le curé Turelure retrace l’histoire du champagne.

Le chevalier Glück ne pouvait écrire ses mélodies qu’assis dans l’herbe, plusieurs bouteilles de vin de Champagne rafraîchissant dans une source à

côté de lui. [...]

On peut dire que le XVIIIe siècle fut l’âge d’or pour le vin de Champagne. Il semblait accordé à merveille avec cette époque légère, mousseuse comme l’écume pétillante qui déborde des flûtes. A propos de celles-ci, note en passant qu’on les appelait "impossibles", pour ce qu’on les faisait de plus en plus longues et effilées. [...] Des Champenois comme toi et moi ne

peuvent que maudire la funeste aberration du goût qui a fait, depuis, adopter la coupe [...] : désastre à la fois pour l’oeil et l’odorat, car le bouquet du vin se disperse dans la coupe au lieu de se rassembler, et le travail de la

mousse n’y apparaît plus. [...]

Durant qu’il tonnait contre la coupe, le curé avait ébauché un geste à

l’adresse de Noémi qui, d’un air grinchu, apportait une deuxième bouteille. L’excellent homme étouffa dans sa paume le départ du bouchon et versa

son Mareuil. Je bus ; c’était ma quatrième flûte, et mes onze ans commençaient de trouver la vie prodigieusement intéressante.

Une anecdote imaginée par J’auteur : passant par Épernay, François de Créqui, duc de Lesdiguières, vient saluer la baronne de Thierzy, qui lui refuse ses faveurs.

Le lendemain matin, comme le duc allait donner à son postillon l’ordre du départ, elle monta sur le marchepied du carosse et dit très vite

- Monsieur le maréchal, croyez-bien que je ne vous garde pas grief de votre galanterie de cette nuit. Pardonnez-moi si je l’ai attribuée au vin mousseux que je vous fis boire et auquel vous parûtes prendre plaisir. La fortune de ce vin me tient à coeur. Je souhaiterais qu’il fût connu à la Cour. S’il était, par vos soins, admis à la table du roi, notez sur vos tablettes que vous obtiendriez de moi ce qui vous pressait si fougueusement.

Une de ses chambrières apportait un panier garni de flacons, qu’elle passa par la portière au maréchal stupéfait. [...]

Arrivé à la Cour, il s’employa sans débrider pour faire goûter au roi les précieux flacons. Louis XIV se récria sur la merveille. [...]

Que fit alors le bouillant maréchal ? [...] Il creva ses chevaux pour arriver plus vite à Épernay où Jeanne de Thierzy lui accorda tout ce qu’il

désirait. [...]

On n’a pas de raison de soupçonner la véracité de cette aimable histoire

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rapportée par Saint-Simon’. Eût-elle été d’ailleurs le fruit de son imagination que, pour la moralité de la cause, il eût été justifié de l’inventer. Car si, à l’origine, le vin de Champagne dut beaucoup à l’amour, on peut penser que, depuis ces temps héroïques, il le lui a bien rendu.

La célèbre "Avenue de Champagne".

L’avenue de Champagne, à Épernay, est assurément la seule voie en France à rassembler, sur un parcours en somme restreint, tant de noms à qui notre pays doit, à l’égard du goût, une renommée universelle. L’armorial du vignoble s’y trouve, en effet, représenté par plusieurs maisons, dont plusieurs ont dépassé les cent ans d’âge, et dont Moët & Chandon, Perrier-Jouët, Pol Roger, de Venoge ne sont pas les moindres. [...]

Il flotte dans cette avenue [...] la sorte de recueillement ailé qui saisit l’esprit et le coeur à la révélation de toute chose parfaite.

ÉPILOGUE

[...] J’ai connu par hasard [...] un vestige de la "belle époque". [...]

« Monsieur, [...] vous voyez en ma personne, sauf erreur, le suprême échantillon de ces incorrigibles "viveurs", [...] un de ces hommes pour qui l’acte de sabler le vin de Champagne était une vertu, pourvu qu’il soit fait avec grâce. [...] Ah ! le vin de Champagne, monsieur, on le boit partout dans le monde, mais on ne sait le boire qu’à Paris. [...]

C’était le temps [...] des Castellane, Boni et Florens qui lança la marque à son nom, [...] ce temps héroïque du boulevard, où une Alice Ozy pouvait prendre son bain - ô sacrilège ! - dans le crémant d’Ay, où un chroniqueur remplissait de vin de Champagne une cloche à fromage qu’il vidait ensuite sans ciller, où les princes russes commandaient d’un clin d’yeux, en levant négligemment une main aux cinq doigts écartés, cinq bouteilles de "La Veuve" à dix francs. [...]

Il se fait décidemment tard, et si je ne veux pas mourir de froid et de nostalgie, mieux vaut pour moi aller rejoindre à la maison cette demibouteille d’Ayala qui m’attend dans un seau à glace. Adieu, monsieur. » [...]

Je n’ai pas revu celui qui s’intitulait fièrement "le dernier viveur", mais j’ai pensé que cette rencontre singulière méritait de figurer en épilogue à ce petit livre voué à la gloire du vin de Champagne.

1958
1. L’anecdote ne figure pas dans les "Mémoires" de Saint-Simon.
L’AFFAIRE DOLABELLE
Ce soir-là [...] j’ai vraiment fait un excellent dîner. [...] Je me chargeais d’apporter le nécessaire. [...] Ayant, de surcroît, été quérir à la cave une bouteille de champagne d’un grand millésime, je versai le vin effervescent dans les flûtes-ballons’ et trinquai joyeusement.
1967
Nouvelles histoires insolites

1. au verre à champagne de l’invention de l’auteur et a t Il
N (Publicité gratuite). (Note de l’auteur)
Nouvea u
actuellement ement dans le commerce.