Le 1er août 1905, une loi est prise pour remédier aux excès en général de la liberté des producteurs vis-à-vis des acheteurs. Après un siècle d’enrichissants abus, la loyauté marchande du bon vieux temps fait rêver le citoyen qui se découvre consommateur après s’être voulu avant tout producteur.
Dans la France de la Belle Epoque, à l’image d’un homme devant une glace, le trompeur et le trompé accoudés de part et d’autre du comptoir ne font plus qu’un. Le législateur doit donc, parce qu’il devient invivable, mettre fin dans les transactions commerciales au "laissez faire" des tombeurs de Jurandes. Le texte prévoit la réglementation par décret des indications de composition et d’origine qui devront figurer sur les produits ou sur leur emballage. Paradoxalement, le Syndicat du Champagne s’empare de cette disposition, pourtant prise en faveur des consommateurs, et il se fonde sur elle pour affirmer la politique de qualité, toujours défendue par les Maisons. En se précipitant ainsi au devant de l’exigence de la clientèle, les Maisons champenoises font à l’aube du siècle un choix stratégique courageux et habile. Elles projettent l’avenir dans la perspective du passé : les descendants des fournisseurs du Roi-Soleil demeurent fidèles au respect dû jadis au plaisir de leur souverain client, cependant que les ancêtres des industriels du luxe anticipent le règne moderne du client-roi. Dans cette idée puissante, le Syndicat du Champagne suggère une politique au Ministère de l’Agriculture qui est là pour ça, après tout. En premier lieu, il propose la délimitation territoriale précise de la "Champagne viticole" ; en second lieu, il demande que l’exclusivité du nom de "Champagne" soit réservée aux vins "récoltés et manutentionnés complètement dans la région reconnue comme Champagne viticole" ; et enfin, il appelle l’interdiction du nom de "Champagne" à tous les vins qui seraient rendus effervescents par un quelconque procédé artificiel, quand même cela se ferait en Champagne avec des vins champenois. Ces demandes vont plus loin que la seule définition géographique des terres du Champagne. Elles portent sur la définition technique du vin lui-même, et elles forment un tout. En fait, les Maisons voient clair et loin, et cela moins par un inexplicable génie que par l’effet d’un commerce ancien et par nature privilégié. Les exportateurs mondiaux de l’ivresse légère des fêtes de l’élite gagnante ont de la lucidité d’avance. Ils tiennent le moyen de faire de la Champagne un château, et ils le savent. Ils attendent seulement du pouvoir politique qu’il en délimite le domaine et poinçonne son or pâle dont les lingots ont forme de bouteille.