UMC - Grandes Marques et Maisons de Champagne

Qui t’as fait roi ?

Le mousseux honteux

La législation de protection est alors très mince : une loi du 28 juillet 1824 prévoit la sanction pénale de ceux qui pour vendre un "objet fabriqué" invoqueraient "le nom d’un lieu autre que celui de la fabrication".

Et il faut batailler ferme pour obtenir l’application du texte au vin, dont la fermentation naturelle ne serait pas la même sans le travail des hommes, sans leur art, mais qui est cependant le contraire d’un produit "fabriqué". Il faut encore se sortir du débat difficile sur le lieu de naissance du vin qui peut être celui de la vigne ou celui de la cave. Ce débat pourrait séduire dangereusement certains négociants, tentés de tirer parti de la courte longueur du chemin qui va du coteau au chai pour chiper au juge, empêtré dans sa logique juridique, le droit (dont les moins scrupuleux savent se passer d’ailleurs) de transporter le vin d’un bout à l’autre de la France par le tout neuf et très prometteur chemin de fer. Les Maisons champenoises l’emportent cependant : le 12 septembre 1844, le Tribunal Correctionnel de Tours inflige à trois négociants tourangeaux une infamante sanction pénale pour avoir :

apposé sur des bouchons fermant des bouteilles de vins mousseux fabriqués en Touraine des noms de lieux autres que ceux de la fabrication, et avoir en outre mis sciemment en circulation ces mêmes vins ainsi marqués d’un nom de lieu supposé

Les Champenois sont spécialement ravis par une phrase de cette décision qui les comble et à laquelle ils donnent une large diffusion en la publiant par voie d’affiche et de presse :

Attendu qu’il est établi, tant par les débats que par les aveux de M ...., que ce prévenu et C... ont vendu du vin de Vouvray mousseux pour du vin de Champagne et ont ainsi trompé les acheteurs sur la nature de la marchandise par eux vendue

Tout y est : la mauvaise foi d’un adversaire, les aveux d’un autre, la dénonciation judiciaire de la honteuse tromperie commise par les deux. Mais plus que tout, les juges remettent le "Vouvray mousseux" à sa place, rendue ridicule par l’échec de sa déloyale présomption à se comparer à l’incomparable. Il y restera d’ailleurs, malgré l’appel, et même la cassation, tentés tour à tour par les trois Tourangeaux, probablement moins mortifiés par la peine elle-même que par l’impunité de nombre de leurs collègues. (La noblesse des vinificateurs se repère à des signes subtils qui échappent aux magistrats : les négociants en vins sont entre eux collègues, tandis que ceux du Champagne sont confrères, en souvenir des pionniers bénédictins peut-être.) Mais la Cour de Blois confirme, et le 12 juillet 1845 la Cour de Cassation se montre à son tour insensible aux acrobaties juridiques des fraudeurs. Cette première victoire est nette et elle assainit la situation, mais elle n’empêche pas certains impudents de recommencer. Le 4 mars 1870, la Cour d’Appel d’Angers, alertée bien entendu par les vigilantes Maisons champenoises, prendra la main dans la cuve, si l’on peut dire, un marchand qui vend sans vergogne du "Aÿ mousseux", du "Fleur de Sillery" et du "Fleur de Bouzy", tous élevés dans la plus pure douceur angevine.