En anéantissant d’un trait de plume toutes ces règles très anciennes, sans autre précaution qu’une élémentaire sanction pénale en cas de tromperie sur la nature et la quantité des marchandises, on s’expose à payer la liberté du commerce de la corruption des produits marchands. Ce prix n’est pas mesurable, mais il peut devenir étouffant.
On voit bien dans les musées que les objets aimés des princes du passé valent infiniment mieux que ceux que possédèrent les bourgeois qui leur ont succédé ; et dans les supermarchés aujourd’hui, les objets offerts à tous valent beaucoup moins que ceux hier réservés aux bourgeois. La marche en masse vers la prospérité est l’objectif heureux de la liberté d’entreprendre, mais il a sa grise contrepartie : la standardisation, cette pauvreté masquée. Comment le "Vin des Rois" va-t-il traverser le naufrage des monarchies de droit divin et la fin des sociétés aristocratiques ?
Il n’est pas difficile de deviner que les bourgeois, imitateurs de la noblesse et amateurs de bonne chair, voudront conserver cette merveille de l’art vinicole. Mais pourront-ils le faire sans l’adultérer ? Parviendront-ils à sauver la qualité de son élaboration, sa saveur fragile ? Champagne ou mousseux ? La distinction n’existe pas encore à l’aube du XIXè siècle, mais telle se pose déjà la question pourtant, une question dont la réponse va se jouer sur plus d’un siècle d’histoire vinicole...