La liberté du commerce et de l’industrie s’installe en France à la fin du XVIIIème siècle. D’un coup de baguette juridique, la loi Le Chapelier fait disparaître en 1791 les Jurandes et les Corporations qui existaient depuis le haut Moyen-Age, et avec elles leur système compliqué, tatillon, de réglementation des métiers. La Révolution réalise soudain l’espace économique sans entraves auquel, depuis cent ans ou plus, entrepreneurs et marchands aspiraient.
Pour empêcher la résurgence d’un passé dont on ne veut plus, les "coalitions" sont interdites, qu’elles soient ouvrières ou patronales. Les infractions à l’interdit sont punies par la loi pénale toute neuve. L’heure est au "laissez faire, laissez passer" de l’économie libérale la plus pure. Cette liberté nouvelle et pleine ne va pas sans dangers. Celui de l’exploitation du faible par le fort est bien sûr le plus grave : deux cents ans de luttes sociales se préparent.
Mais la disparition soudaine des garanties de bonne fabrication qu’impliquaient les multiples règlements d’Ancien Régime crée un autre danger : celui que l’ardeur à produire et à vendre, désormais sans règle, ne s’exerce au détriment de la qualité des produits. Les vieux règlements corporatifs n’instituaient pas seulement la défense des métiers et la protection de ceux qui les pratiquaient : ils commandaient aussi les conditions de la fabrication et de la vente des choses du commerce, souvent avec une extraordinaire minutie. Ils étaient le corpus des règles d’une stricte morale artisanale et marchande dont le respect assurait ce qu’on appelle joliment la loyauté des marchandises. Le mot suggère justement une sorte d’investissement moral du monde des objets par l’amour des Hommes pour leur travail et par la soumission à un ordre strict de ce travail.