Quant aux vignerons de la côte des Bar, ils savent à quoi s’en tenir désormais sur la solidité du château marnais.
S’ils veulent échapper à l’injuste misère qui les guette, il ne leur reste qu’à ravaler leur trop d’amour-propre pour accepter ce que l’administration leur offre : la porterie du domaine. Ils regimbent bien un peu, et à juste titre, mais que peuvent-ils contre ce qui est en place, et si solidement établi. Le décret du 7 juin 1911, approuvé par le Conseil d’Etat comme le fut celui dont il est censé rattraper les bêtises, ramasse les oubliés de la délimitation de 1908. On envisage pour la région viticole nouvelle les noms de "Petite Champagne" ou "Basse Champagne", mais les fonctionnaires, qui ont décidément le sens de ce qui peut plaire aux riches New-yorkais ou aux Princes d’Arabie, imposent un terrible "Champagne deuxième zone". Et les viticulteurs des arrondissements de Bar-sur-Seine et de Bar-sur-Aube, ceux du canton de Chavanges dans l’arrondissement d’Arcis-sur-Aube et de celui de Villenauxe dans l’arrondissement de Nogent-sur-Seine, ceux encore de l’arrondissement de Wassy et des communes de Nanteuil et de Citry, reçoivent ainsi l’honneur mesuré d’être admis à élaborer du sous-Champagne. Les vignerons de ces régions peuvent désormais s’asseoir à la table des maîtres, mais sur un tabouret. Ils perçoivent l’outrage, et ils sont bien près, il faut le dire, de brandir à leur tour les échalas, les paragrêles et les clairons qui ont si bien réussi aux marnais de bonne souche. Le gouvernement voit venir le coup cependant, et il n’en est pas à une lâcheté parlementaire près. Il décommande la fête en promettant de donner à l’avenir aux tribunaux le pouvoir de délimiter l’indélimitable "Champagne viticole". A l’heure où l’on s’apprête à juger en Cour d’Assises les meneurs des émeutes d’avril, la manoeuvre est cauteleuse, mais elle n’est pas sans habileté.